Arnaud Ngatcha, le chef franco-camerounais de la diplomatie parisienne
Adjoint de la maire de Paris chargé de l’international et membre de la direction des programmes de France Télévision, l’élu parisien mène une double carrière couronnée de succès et voudrait voir les Français issus de l’immigration s’entraider davantage pour réussir professionnellement.
Le 1er février dernier, Arnaud Ngatcha était à Nouakchott pour participer au Forum des autorités locales du Maghreb et de leurs homologues du Sahel. Il y représentait la maire de Paris, Anne Hidalgo, en sa qualité d’adjoint chargé des relations internationales et de la francophonie. Un portefeuille auquel est venue s’ajouter, en 2022, l’Europe, ce qui fait de l’élu, né en 1971 d’une mère française et d’un père camerounais, une sorte de « ministre des Affaires étrangères de la ville de Paris ».
Il récuserait sans doute ce titre, trop soucieux du respect des règles et de la séparation des pouvoirs pour entretenir la confusion, mais comme il l’avait déclaré dans l’un de nos précédents entretiens, il existe bien « une diplomatie des villes, même si certains ont du mal à le comprendre ». « La plupart des grands pays du monde veulent avoir des relations avec Paris, qui mène ses propres actions à l’international », en particulier avec le continent car, comme l’élu parisien aime le rappeler, « Paris est la première ville de la diaspora africaine ».
Aujourd’hui, Arnaud Ngatcha maîtrise sur le bout des ongles ce subtil équilibre entre diplomatie française et diplomatie parisienne, sait jusqu’où il peut aller avec ses interlocuteurs, a appris à capitaliser sur sa double culture franco-camerounaise pour faire passer certains messages, adopter une position qu’un diplomate français ne saurait pas – ou ne pourrait pas – tenir en Afrique. Le poste qu’il occupe depuis 2020 – et son élection comme conseiller municipal dans le 9e arrondissement de la capitale française – est éminent, mais moins exposé que d’autres, dont il évoque volontiers les noms. Élisabeth Moreno, Sibeth Ndiaye, Rama Yade, Najat Vallaud-Belkacem, Pap Ndiaye… Des symboles de la « diversité » nommés parfois du jour au lendemain à la tête de ministères sans avoir forcément la formation ou l’expérience nécessaires et qui, à de rares exceptions près, s’y sont brûlé les ailes.
Arnaud Ngatcha n’a pas eu le même type de parcours. Professionnel des médias, occupant depuis des années des postes de plus en plus élevés au sein du groupe France Télévision, il a pu goûter une première fois à la politique entre 2017 et 2018, lorsqu’il a rejoint le cabinet de la ministre des Sports, l’ancienne escrimeuse Laura Flessel, comme conseiller en communication. Puis, en 2020, il a aussi découvert l’univers des campagnes électorales en se faisant élire sur une liste de la majorité réunissant socialistes et écologistes – même si lui-même n’est encarté nulle part – aux élections municipales. « Contrairement aux gens qu’on nomme ministres du jour au lendemain, j’ai pu apprendre, la maire de Paris m’a formé », souligne-t-il.
Autre originalité : celui qui a commencé comme journaliste au quotidien Le Figaro a toujours conservé un pied dans les médias, partageant son temps entre l’hôtel de ville de Paris et le siège de France Télévision où il a été producteur, directeur des magazines culturels, directeur des études de la diversité et où il siège aujourd’hui à la Direction des antennes et des programmes. Un univers dans lequel il conserve de grandes ambitions, comme on a pu le vérifier en 2022, quand il a fait partie des candidats à la succession de Marie-Christine Saragosse à la tête de France Médias Monde (FMM), la structure qui réunit les grands médias audiovisuels publics français d’information internationale.
« Des milieux très compétitifs »
Malgré un dossier solide, ni Arnaud Ngatcha ni ses concurrents n’ont été retenus, l’autorité de tutelle préférant finalement reconduire la sortante pour un mandat supplémentaire. L’adjoint d’Anne Hidalgo a félicité la gagnante avec fair-play, sans toutefois cacher complètement sa déception. Et lorsqu’on lui demande s’il sera à nouveau candidat quand le poste sera remis en jeu, il préfère botter en touche, estimant qu’il est trop tôt pour en parler. Sans dire non, ce qui contribue à alimenter les hypothèses sur ses ambitions et ses envies.
Mais aussi ses interrogations sur les obstacles qui se dressent devant lui, et devant toutes les personnes issues de l’immigration africaine en France. « Quand vous arrivez à des postes de haut niveau, que ce soit en politique ou dans des grandes entreprises, vous êtes de plus en plus exposé. Ce sont des milieux très compétitifs par nature où, dans notre cas, on nous renvoie sans cesse en plus l’argument selon lequel nous ne sommes là “que pour la diversité”. C’est brutal, et vous vous sentez seul. »
De ce constat est née chez l’élu parisien l’idée que les membres de la diaspora devraient se serrer les coudes, s’entraider. Fonctionner en réseau. Une conviction qu’il partage avec l’ancienne ministre Élisabeth Moreno, dont il est devenu proche avec les années. « Je l’ai d’abord découvert dans les médias, raconte celle qui a eu une première carrière à la tête de grandes entreprises du secteur de la tech. J’ai été impressionnée qu’il soit arrivé à un poste si important, et ensuite, quand je l’ai rencontré, je l’ai trouvé très intéressant, très posé. Et je n’ai pas été étonnée de le voir s’orienter vers la politique, parce que c’est un homme engagé. »
Autre membre de l’entourage d’Arnaud Ngatcha : Elizabeth Tchoungui, qui l’a d’abord croisé sur les plateaux de télévision à l’époque où tous les deux étaient journalistes, et qui occupe aujourd’hui le poste de directrice exécutive chargée de la responsabilité sociétale d’entreprise du groupe Orange. « On était les deux seuls issus de la diversité, ça nous a rapprochés, puis on s’est rendu compte qu’on avait tous les deux un père camerounais. C’est moi qui l’ai emmené au Cameroun pour la première fois, il a fait partie de ceux qui ont proposé mon nom pour une émission culturelle sur France Télévision… En fait oui, nous avons fini par fonctionner comme une sorte de réseau informel. On est en veille sur les postes qui s’ouvrent, on se tient informés… Comme tous les réseaux d’ailleurs, en France ça fonctionne comme ça. »
Ouvrir une brèche
À ceci près que, dès que le réseau regroupe des personnes de même origine, le soupçon de communautarisme n’est jamais loin. Ce qui a le don d’agacer Élisabeth Moreno : « Les réseaux ça ne dérange personne, mais dès que cela concerne des Noirs, on dit que c’est du communautarisme. » « C’est vrai que quel que soit le milieu, quand on atteint un certain niveau on se trouve visé par le même procès en légitimité, renchérit Elizabeth Tchoungui. C’est dur, c’est usant, mais d’un autre côté nous savons aussi quelle image nous renvoyons aux jeunes générations. Nous leur donnons l’idée que c’est possible. Et c’est en cela qu’Arnaud est exemplaire : il est ambitieux, mais au sens collectif. Il cherche une reconnaissance pour les personnes comme lui ou comme moi, il veut créer un effet d’entraînement, ouvrir une brèche… C’est malheureusement assez rare : souvent les gens issus de minorités se disent qu’il y a la place pour une personne mais pas pour deux. C’est un mauvais réflexe et le résultat, c’est qu’on se retrouve isolé. Arnaud ne réfléchit pas du tout comme ça. »
Ambitieux, Arnaud Ngatcha ? Assurément. Fin 2023, dans son immense et superbe bureau de l’hôtel de ville de Paris, il nous confiait sans hésiter : « La politique nationale me démange. » Élisabeth Moreno, l’ancienne ministre originaire du Cap-Vert, l’y encourage, jugeant qu’il serait parfait pour le rôle : « Il est très collectif, il veut faire de grandes choses, embarquer les gens… Et il est beaucoup plus expérimenté en politique que je ne l’étais moi-même quand je suis devenue ministre. »
Deux questions se posent toutefois sur la suite du parcours de l’élu parisien. La première : la politique oui, mais sous quelle étiquette ? S’il est proche de la maire socialiste de la capitale, Arnaud Ngatcha n’a jamais pris sa carte dans aucun parti et, lorsqu’on l’interroge sur le sujet, il passe en revue l’ensemble du spectre politique, à l’exception de l’extrême droite dont il ne saurait être question. La droite républicaine ? « Je ne vois pas qui l’incarne aujourd’hui », tempère-t-il. Le camp présidentiel ? « Le président Macron va bientôt sortir du jeu. » La gauche « insoumise » ? « Jean-Luc Mélenchon est un gourou et je n’aime pas les gourous. » La gauche sociale-démocrate ? Cette fois, Arnaud Ngatcha prend plus de temps pour formuler sa réponse. « Le seul que je vois, c’est Bernard Cazeneuve [ancien Premier ministre de François Hollande et fondateur, en 2022, du mouvement de centre-gauche La Convention, NDLR]… Mais il est isolé. »
Autre interrogation : la singularité d’un double parcours, un pied dans les médias et un autre en politique. Jusqu’à quel point ce choix – ou ce non-choix – restera-t-il tenable ? « Je suis bien conscient que je ne vais pas pouvoir marcher longtemps sur les deux pieds, admet l’élu municipal. À un moment ou à un autre, une rupture avec ma vie professionnelle va s’imposer. »
« Je me laisse jusqu’aux Jeux olympiques »
Mais dans quelle direction ? « Choisir c’est renoncer, et je ne vois pas pourquoi il renoncerait, assure Élisabeth Moreno. Il aime autant un domaine que l’autre et, dans les deux cas, il agit dans le sens du bien commun, de l’intérêt général. » « Il n’est pas clivant, il a de très bonnes relations avec tout le monde, il a un côté caméléon », ajoute son amie Elizabeth Tchoungui. Qui résume le double parcours d’Arnaud Ngatcha, entre médias et politique, d’une jolie formule : « Il a toujours réussi à naviguer de manière élégante dans ces milieux qui ne le sont pas. »
Le principal intéressé, pourtant, sent que l’heure du choix approche. Mais dans quelle direction ? Un poste de responsabilité dans l’audiovisuel ? Un mandat politique à l’échelle nationale ? « Je me laisse jusqu’aux Jeux olympiques de cet été, glisse-t-il. Après je prendrai une décision. » Avec une certitude toutefois : « Plus jamais je ne veux être “Monsieur Diversité”. C’est une façon de vous enfermer dans un rôle, de faire de vous une caution, je ne veux plus de ça. »
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