Quand Lomé se rêve en capitale ouest-africaine de la finance

Attirées par des avantages fiscaux et séduites par le volontarisme du Togo de Faure Essozimna Gnassingbé, plusieurs institutions financières ont implanté leur siège dans la capitale. Suffisant pour en faire un hub financier ? Eléments de réponse.

Les sièges de la BIDC et de la BOAD à Lomé. © Baudelaire Mieu pour JA

Les sièges de la BIDC et de la BOAD à Lomé. © Baudelaire Mieu pour JA

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Publié le 23 février 2024 Lecture : 5 minutes.

L’industrie bancaire en Afrique connaît de profonds changements. © ADOBESTOCK.
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Les habits neufs de la banque en Afrique

Dans ce dossier exclusif, JA se fait l’écho de la mutation du secteur bancaire sur le continent et explore, notamment au moyen de classements régionaux, les dynamiques spécifiques aux régions francophone et anglophone. L’interconnexion entre acteurs financiers ouvre un chapitre inédit, avec plus d’inclusion, une industrie résolument autonome et ancrée dans la réalité continentale.

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Du haut de ses 102 mètres de béton, le bâtiment domine le quartier administratif et financier de Lomé. L’édifice n’est pourtant qu’un hôtel : le 2-Février. La date anniversaire de l’indépendance du pays ? Il s’agit en fait de celle de son « émancipation économique ». En 1974, l’avion de Gnassingbé Eyadema s’écrase. Miracle, le président togolais est le seul survivant du crash.

Le leader africain accuse alors les actionnaires de la Compagnie togolaise des mines du Bénin (CTMB), hostiles à son projet de nationalisation, d’être derrière le sabotage de l’aéronef. Remonté, il décide, dans un discours prononcé le 2 février de la même année, que « désormais, rien ne doit sortir du Togo sans avoir versé l’argent dans l’une des banques togolaises ».

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Cinquante ans plus tard, c’est son fils, Faure Essozimna Gnassingbé, qui préside aux destinées du Togo. Et les banques togolaises sont plus que jamais au cœur de la stratégie de développement du pays. En 2018, le gouvernement a lancé son plan national de développement (PND), au sein duquel l’un des piliers n’est autre que celui de « positionner Lomé comme un hub logistique et financier de premier plan ». Hélas, la pandémie de Covid-19 a contraint le pays de revoir ses ambitions à la baisse, et en 2020, le PND se transforme en feuille de route 2025.

Mais consolider le secteur financier reste une priorité du gouvernement, qui compte capitaliser sur l’un des points forts de son économie. La capitale togolaise abrite quatorze établissements bancaires et le siège de plusieurs institutions financières multilatérales : la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) et la Banque d’investissement et de développement de la Cedeao (BIDC). « Avec un ratio de cinq succursales bancaires pour 100 000 habitants, le Togo affiche l’un des plus hauts indicateurs de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) », se réjouissent les autorités.

Des filiales d’Ecobank dans 36 pays

L’histoire d’amour entre le pays et la banque a commencé dès les années 1980. À l’époque, l’industrie bancaire de l’Afrique de l’Ouest était dominée par les banques d’État et les banques étrangères. « C’est en réaction à ce déficit bancaire africain qu’Ecobank Transnational Incorporated (ETI), société anonyme, a été créée, en 1985 », explique le groupe panafricain, fruit d’une initiative de la Fédération des chambres de commerce d’Afrique de l’Ouest avec le soutien de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao).

La banque signe alors un accord de siège avec le gouvernement du Togo qui lui confère le statut d’organisation internationale. « Cela permet à Ecobank de jouir des droits et privilèges équivalent à celui d’une institution régionale, avec un statut d’établissement financier non résident », détaille le groupe, qui dispose à présent de filiales dans 36 pays du continent avec des bureaux à Paris, Londres, Dubaï ou encore Pékin.

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Vu de Johannesburg ou de Nairobi, il est parfois difficile de croire que le géant bancaire est né dans ce petit pays d’Afrique de l’Ouest. « Compte tenu du manque de profondeur du marché togolais, cela peut surprendre qu’il y ait autant d’institutions financières basées à Lomé », sourit Guy Martial Awona, le directeur général d’Orabank Togo, dont le holding, Oragroup SA, est également installé dans la capitale togolaise.

Statut diplomatique pour les banques

Tout comme Ecobank, Oragroup a vu le jour à Lomé, en 1985 aussi, sous le nom de Financial Bank, avant de changer en 2011 pour son nom actuel. Désormais présent dans douze pays d’Afrique de l’Ouest et centrale, Oragroup a été racheté en août 2023 par le groupe Vista de Simon Tiemtoré – une acquisition qui reste cependant suspendue aux différentes approbations réglementaires. Le financier américain d’origine burkinabè envisage d’ailleurs de céder aux sirènes togolaises pour y implanter le siège de Vista Group.

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Comment expliquer cet engouement pour la petite capitale d’Afrique de l’Ouest ? « Le Togo a pris l’option de donner des accords de siège aux institutions financières, explique le banquier ivoirien Charles Kié. Cela leur confère un statut diplomatique et des exonérations fiscales. Très peu de pays accordent un tel privilège à des institutions privées. Cela peut finir de convaincre certaines structures, surtout lorsqu’elles sont en train de se lancer : les premières années sont souvent difficiles. »

Ce sont ces mêmes avantages qui ont poussé le dirigeant de SBNA à enregistrer à Lomé la filiale ouest-africaine de cette coentreprise de SouthBridge Investments (SBI) et de New African Capital Partners (NACP). « Il y a un volontarisme politique des autorités. Les démarches sont claires, il faut le saluer. Nous ne regrettons pas notre choix », détaille celui qui est aussi l’ancien patron d’Ecobank Nigeria. « Ils sont très accueillants envers les investisseurs, confirme Guy Martial Awona. La disponibilité des plus hautes autorités est à souligner. »

Carrefour logistique

Au sein de l’UEMOA, le Togo tire aussi parti de sa position géographique centrale. En plus d’être une place forte financière, le pays joue ainsi le rôle de carrefour, avec le premier port en eau profonde de la région et une compagnie aérienne, Asky, qui relie toutes les capitales de la Cedeao. « Il est très facile de se déplacer depuis Lomé, appuie Guy Martial Awona. Le pays est un passage naturel vers l’hinterland, c’est-à-dire le Mali, le Niger et le Burkina Faso. Il est parfois plus simple d’avoir des partenaires qui sont au Togo, cela facilite les transactions commerciales et par conséquent financières. »

Les financiers interrogés font aussi valoir la stabilité politique et sécuritaire qui prévaut dans le pays. Ces atouts mis bout à bout produisent leurs effets. En 2021, African Guarantee Fund (AGF) a choisi Lomé pour implanter sa filiale ouest-africaine. Deux ans plus tôt, c’est African Lease, une entreprise spécialisée dans la prise de participations et leur gestion dans les établissements financiers, qui établissait son quartier général dans la petite capitale.

Suffisant pour qualifier Lomé de hub financier d’Afrique de l’Ouest ? « Je n’irai pas jusque-là, tranche le directeur général d’Ecobank Togo. Abidjan reste devant, et de loin. Au niveau de la circulation des capitaux et même des sièges d’institutions, l’attractivité de la capitale économique ivoirienne est sans commune mesure. » On y trouve, entre autres, la Bourse régionale des valeurs immobilière (BRVM) ou le siège de la Banque africaine de développement (BAD).

Note souveraine défaillante

Reste que le pari du Togo produit déjà des effets. « Toutes ces institutions créent de l’emploi, investissent… L’impact sur le PIB n’est pas négligeable », souligne Charles Kié, de SBNA. Selon la Banque mondiale, la banque, l’assurance et les autres services marchands pèsent pour plus de 18 % du produit intérieur brut (PIB) togolais.

Chaque année, le secteur tertiaire s’impose de plus en plus comme le moteur de l’économie du pays, qui affiche également le taux de bancarisation le plus élevé de la sous-région avec un Togolais sur deux qui possède un compte bancaire.

Mais le Togo conserve un handicap de taille. Selon les critères des agences de notation, le profil de crédit d’une institution ne peut dépasser la note souveraine du pays dans laquelle elle est basée. L’agence américaine Moody’s lui attribue par exemple la note B3, c’est-à-dire « hautement spéculatif », et ce, depuis plusieurs années. La perspective est même passée de stable à négative en 2023. « Le Togo doit améliorer son rating s’il veut attirer encore plus d’institutions financières », conclut Charles Kié. C’est à ce prix que d’autres institutions de poids pourraient suivre les exemples d’Ecobank et d’Oragroup.

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