Entre la Cedeao et l’AES, l’impossible dialogue

Loin d’être une surprise, le retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Cedeao est la conséquence des positions inconciliables des juntes au pouvoir et des représentants de l’organisation sous-régionale. Il faudra donc plus qu’un appel à l’unité pour les réconcilier.

Des partisans de l’Alliance des États du Sahel (AES) célèbrent la sortie du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Cedeao, à Bamako le 1er février 2024. © OUSMANE MAKAVELI / AFP

Des partisans de l’Alliance des États du Sahel (AES) célèbrent la sortie du Mali, du Burkina Faso et du Niger de la Cedeao, à Bamako le 1er février 2024. © OUSMANE MAKAVELI / AFP

 © Amelie Philbert/Universite de Montreal

Publié le 15 février 2024 Lecture : 3 minutes.

De profonds désaccords ont entouré les questions liées aux sanctions, à la justification des coups d’État, au délai raisonnable pour le retour à l’ordre constitutionnel, ainsi que la compréhension de l’objectif d’une transition politique. La menace d’une intervention militaire brandie par la Cedeao après le coup de force contre Mohamed Bazoum et les sanctions inédites imposées au Niger ont davantage creusé les divergences et considérablement rétréci l’espace des compromis.

Ainsi, contre l’intransigeance de l’organisation sous-régionale face aux coups d’État s’est érigée une solidarité des régimes militaires sous la forme de l’Alliance des États du Sahel (AES), qui se veut avant tout une réponse normative et politique à la communauté ouest-africaine. En signant la charte du Liptako-Gourma le 16 septembre 2023, le Mali, le Burkina Faso et le Niger annonçaient, déjà, la rupture avec la Cedeao.

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Pouvait-on éviter cette rupture ?

Oui et non. Oui, si les médiations de cette dernière avaient réussi à trouver un minimum de compromis durable autour du chronogramme du retour à l’ordre constitutionnel au Mali et au Burkina Faso, si elles étaient parvenues à dégager un consensus sur l’objectif des transitions, si l’AES n’avait pas vu le jour, et enfin, si le contexte d’insécurité régionale et d’instabilité globale était défavorable aux pouvoirs militaires.

Non, parce que les militaires et la Cedeao n’avaient pas la même compréhension de la mission et de l’objectif de la transition : le temps long de la refondation de l’État et de la lutte contre le terrorisme (envisagé par les militaires) s’opposait clairement au temps court du processus de retour à l’ordre constitutionnel (souhaité par la Cedeao ). Ce conflit de compréhension de la temporalité de la transition a forcément un lien avec l’exercice et le contrôle du pouvoir pendant et après la transition. À bien entendre les régimes de l’AES, ce n’est pas en termes de légalité et de légitimité démocratique que se pose la question du pouvoir.

L’adhésion populaire, après un coup d’État, suffit aux tenants du pouvoir pour qu’ils agissent au nom du peuple et défendent ses aspirations profondes. Ce qui est évidemment contraire aux textes normatifs de la Cedeao. L’AES et la Cedeao, ce sont deux espaces normatifs diamétralement opposés, bien qu’au niveau des pratiques du pouvoir, du rapport entre gouvernants et gouvernés, des ressemblances puissent être observées.

Il est un autre facteur non négligeable qui a contribué à rendre la rupture inévitable, c’est la décision du Maroc d’offrir une interface atlantique à quatre pays du Sahel, permettant ainsi d’élargir leur zone de libre-échange en bénéficiant – dans les cas du Mali, du Burkina Faso et du Niger­ – des infrastructures d’un pays allié qui n’est pas soumis aux contraintes de la Cedeao.

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La main tendue

Lors de la dernière session ministérielle extraordinaire du Conseil de médiation et de sécurité, tenue le 8 février 2024, la Cedeao a invité les autorités du Mali, du Burkina Faso et du Niger à privilégier le dialogue pour résoudre leur différend. L’organisation serait même ouverte à la réconciliation avec ces trois pays pour sauver l’intégration régionale. Cette main tendue est toutefois confrontée à deux défis majeurs : le délai raisonnable pour organiser le retour à l’ordre constitutionnel, ainsi que la crédibilité et la légitimité des régimes civils dans l’espace Cedeao.

C’est que la problématique de la constitutionnalité du pouvoir – l’existence dans la pratique de régimes constitutionnels – demeure entière dans toute la région, bien qu’elle prenne une forme différente selon que l’on est confronté à un régime militaire ou civil. Et comme on le voit avec les tensions au Sénégal, le rapport instrumentalisé et conflictuel à l’ordre constitutionnel n’est pas spécifique au régime militaire, ce qui contribue à rendre la Cedeao inaudible auprès des populations, et surtout des militaires au pouvoir. Il faudra donc plus que l’appel au dialogue pour réconcilier les entités politiques de l’espace Cedeao, surtout dans le contexte actuel.

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Faut-il conclure au péril de l’institution régionale ? Je crois qu’il faut distinguer les problèmes structurels et opérationnels de la Cedeao et la conflictualité politique propre aux transitions dirigées par les régimes militaires dans la région. Les militaires et leurs alliés civils ont leur rationalité politique, qui n’a rien à voir avec le fait que la Cedeao ne condamne pas les troisièmes mandats ou qu’elle est inefficace en matière de lutte contre le terrorisme. De même, c’est moins la Cedeao qui est en péril que les populations, les sociétés et les gouvernements de la sous-région qui n’arrivent pas à créer les conditions politiques et institutionnelles favorables à la stabilité et au développement humain, social et économique.

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