En Tunisie, la Chine au secours d’El-Menzah ?
En travaux depuis juin 2022, le complexe sportif doit rouvrir ses portes en novembre 2024. Seulement, le chantier n’avance pas. Le 7 février, le ministre des Sports Kamel Deguiche a indiqué que Tunis envisageait de solliciter une aide chinoise pour terminer les travaux.
Le 16 novembre dernier, le président tunisien, Kaïs Saïed, en visite sur le chantier de rénovation du stade d’El-Menzah, déplorait le manque d’investissement et d’avancement du projet, dénonçant le rythme des travaux, les retards accumulés, ainsi que la qualité insuffisante des matériaux utilisés. Un premier coup de pression. Au cœur de l’histoire sportive de la Tunisie se dressent deux édifices majeurs : le stade Vélodrome, construit en 1927, et le stade d’El-Menzah.
Le premier, avec une capacité initiale de 5 000 places, marquait l’entrée du pays dans l’arène sportive internationale. Rebaptisé stade Victor-Perez après la Seconde Guerre mondiale en l’honneur du boxeur tunisien Young Perez, le stade a ensuite cédé sa place au stade d’El-Menzah en vue des Jeux méditerranéens de 1967. Ce dernier, fruit d’une collaboration tuniso-bulgare, a été conçu comme un complexe sportif moderne comprenant également une piscine et un gymnase olympique.
Depuis son inauguration, le stade d’El-Menzah s’est érigé en symbole de la passion tunisienne pour le sport, accueillant d’innombrables événements marquants et contribuant à forger l’histoire sportive du pays. Le stade d’El-Menzah, aux côtés de la coupole omnisports et de la piscine, forme le complexe sportif olympique imaginé par l’architecte renommé Olivier-Clément Cacoub pour les Jeux méditerranéens de 1967. Le site a également vu se produire des concerts légendaires, avec des artistes d’une grande renommée, allant d’Oum Kalthoum à Michael Jackson, en passant par Fairouz.
Avec le temps, des éléments structurels du complexe, notamment des blocs de béton, ont montré des signes d’usure et de fissuration. Bien que ces détériorations ne constituent pas un danger immédiat d’après les spécialistes, elles ont conduit à une diminution de l’activité sur le site. De plus, depuis l’ouverture en 2001 du complexe sportif de Radès, qui dispose d’un stade de 60 000 places dans la banlieue sud de Tunis, le stade d’El-Menzah est passé au second plan, malgré une utilisation lors de la CAN 2004, remportée à domicile par les Aigles de Carthage.
Initiés le 10 juin 2022, les travaux de rénovation du stade d’El-Menzah sont programmés pour s’achever en novembre 2024, avec un budget total de 100 millions de dinars (près de 30 millions d’euros). Le projet inclut la modernisation des gradins, le renforcement de la structure portante, ainsi que la rénovation des vestiaires, de la tribune de presse, de la tribune d’honneur, du tableau d’affichage et du système d’éclairage. Cependant, compte tenu de l’état actuel d’avancement, il semble improbable que le stade soit prêt à rouvrir pour la date prévue.
Remontrances à Kamel Deguiche
Venu sur place constater la lenteur du projet, Kaïs Saïed déclarait en novembre 2023 que l’état d’avancement du chantier, estimé à environ 20 %, n’était pas normal. Devant les caméras, le président de la République a adressé des remontrances au ministre de la Jeunesse et des Sports Kamel Deguiche, à propos de l’utilisation de barres de fer non conformes aux standards dans les travaux de construction, mettant potentiellement en péril la sécurité des citoyens. Le ministre a rétorqué en affirmant qu’aucune anomalie n’avait été signalée par le bureau de contrôle, malgré les multiples réunions tenues avec son ministère et celui de l’Équipement.
Pour se défendre, le président de la Chambre nationale syndicale des entrepreneurs du bâtiment et des travaux publics, Mahdi Fakhfakh, a attribué le retard dans les travaux au défaut de supervision par les autorités tunisiennes. Le 12 février 2024, Mahdi Fakhfakh a souligné la complexité de la rénovation du stade d’El-Menzah et mentionné l’existence de conflits d’ego parmi les acteurs impliqués. « Nous avons rencontré divers obstacles et divergences d’opinions. Il n’y a pas eu de consensus entre les parties concernées. Il y a quatre mois, nous avons organisé une réunion dans le but de parvenir à un accord. Il était possible de recourir à des ingénieurs tunisiens. L’entrepreneur a, pour sa part, tenu ses engagements », a-t-il expliqué.
Kaïs Saïed a également mis en cause le responsable du projet pour ses manquements, dénonçant un énième complot. Le président a souligné une tentative délibérée de dégrader certains biens appartenant à la communauté nationale dans le but de les vendre à des prix inférieurs à leur valeur. Selon lui, les études réalisées ont pris trop de temps et il n’était pas nécessaire de les répéter, étant donné qu’elles ont conduit aux mêmes conclusions. Il a considéré cela comme un gaspillage des fonds publics et un obstacle à la progression des travaux.
En réaction, l’ex-député et leader d’Attayar, Zied Ghanney, a critiqué l’usage par le président de la République de théories conspirationnistes pour expliquer les échecs et les lacunes de l’État. Soulignant que les défaillances de la Tunisie étaient visibles aussi bien dans les grands que dans les petits projets, illustrant ses propos par les retards dans la rénovation du stade d’El-Menzah, il a affirmé que ces problèmes traduisaient une crise majeure de gouvernance en Tunisie, dont il tenait le gouvernement actuel pour responsable.
Un rapprochement avec Pékin ?
« La même idée se répète. J’échoue, donc il y a des personnes qui me visent. On parle d’un stade construit en 1976. Je pense que les lobbies n’ont plus rien à dérober en Tunisie. Que gagnent les lobbies en empêchant les gens d’aller au stade d’El-Menzah ? Nous sommes dans un pays qui se désintègre, le stade de Radès ressemble à un musée. Y a-t-il un pays sans lobbies ? Sans des personnes cherchant à servir leurs propres intérêts ? », a insisté Zied Ghanney, avant d’observer que le climat actuel en Tunisie décourageait les investisseurs. Il a jugé que l’incapacité à achever même les projets les plus basiques, comme la rénovation d’un stade de football, mettait en lumière une faille critique dans le fonctionnement de l’État.
Plus qu’attendu sur ce dossier, le ministre de la Jeunesse et des Sports, Kamel Deguiche, a – dans le cadre de la discussion en séance plénière sur le projet de loi visant à combattre le dopage dans le sport – expliqué que les retards dans l’avancement de certains projets d’infrastructures sportives s’expliquent par plusieurs facteurs. Il a cité l’augmentation des coûts des matières premières, les problèmes financiers rencontrés par les entreprises et le manque de ressources humaines spécialisées au sein des directions régionales chargées de l’aménagement. Le ministre a également annoncé que, suite à plusieurs interruptions ayant impacté le déroulement des travaux, la rénovation du stade olympique d’El-Menzah pourrait être confiée à une entreprise chinoise afin d’accélérer le processus.
En réalité, ce rapprochement et l’idée de ce partenariat n’étonnent pas vraiment, tant les deux pays multiplient les efforts de séduction depuis quelques mois. Traditionnellement tournée vers l’Europe et les États-Unis, la Tunisie s’affirme comme un partenaire prometteur pour l’initiative chinoise des « nouvelles routes de la soie », à laquelle elle a choisi de participer en 2018. La Chine porte un intérêt particulier au port de Bizerte et envisage un projet ambitieux de port en eau profonde à Enfidha, au sud de Tunis, bien que le gouvernement tunisien n’ait pas encore pris de décision à ce sujet.
Parallèlement, l’influence chinoise en Tunisie s’est renforcée, notamment avec l’inauguration d’un Institut Confucius à Tunis en 2018. Même si les relations commerciales et économiques entre la Tunisie et la Chine sont moins développées que celles entre la Chine et d’autres pays du sud du bassin méditerranéen tels que l’Algérie, le Maroc ou l’Égypte – où la Chine a lancé d’importants projets d’investissement –, l’intérêt pour un rapprochement entre la Tunisie et la Chine est clairement exprimé.
Kaïs Saïed félicite Xi Jinping
Le mercredi 10 janvier 2024, la présidence de la République a publié un communiqué pour marquer le soixantième anniversaire de l’établissement des liens diplomatiques entre la Tunisie et la République populaire de Chine. Pour célébrer cet événement, Kaïs Saïed a envoyé un message de félicitations à son homologue chinois, Xi Jinping. Dans son message, il a exprimé sa fierté de célébrer cet anniversaire significatif et sa satisfaction quant à l’état actuel de la coopération tuniso-chinoise. Quatre jours plus tard, le 15 janvier 2024, Kaïs Saïed a accueilli Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères de la République populaire de Chine. Lors de cette rencontre, il a également mis en avant les fondements historiques de l’amitié entre la Tunisie et la Chine.
Le président tunisien a souligné la qualité exceptionnelle des liens de coopération et de partenariat qui unissent la Tunisie et la Chine, exprimant sa satisfaction quant à la détermination partagée des deux pays à développer ces relations « pour le bien suprême de leur peuple ». Il a évoqué les divers projets de coopération réalisés en Tunisie grâce au soutien chinois, notamment l’inauguration de l’Académie diplomatique internationale, soulignant ainsi l’impact tangible de cette collaboration bilatérale.
Ces rapprochements diplomatiques, sur fond de déclarations et de réceptions en grande pompe, n’ont pour l’instant rien donné de réellement concret. Reste à savoir si la Chine acceptera de venir à la rescousse d’un chantier qui, d’évidence, n’avance plus.
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