Quand Yaoundé pratique la politique de l’oubli en matière d’urbanisme
Au Cameroun, rien n’est fait pour entretenir villes et voirie. On ne réagit, après coup et dans l’urgence, que quand un drame se produit. Et une fois les caméras parties, tout replonge dans le silence.
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Patrick Dieudonné Belinga Ondoua
Politiste, doctorant en sciences politiques à l’université de Genève au sein du Global Studies Institute.
Publié le 28 février 2024 Lecture : 3 minutes.
Le 8 octobre 2023, un glissement de terrain survenu à Mbankolo, dans la commune de Yaoundé II, a causé la mort de près de 30 personnes. Le drame a mobilisé le gouvernement, les autorités locales, les représentants de l’opposition, les internautes, et suscité beaucoup d’émoi et d’élans de solidarité. Ces derniers se sont cependant très vite épuisés.
Quelques mois plus tard, l’énergie déployée par l’État, la kyrielle de débats télévisés et la pluie de commentaires qui avait été déversée sur les réseaux sociaux à l’occasion de cette catastrophe semblent avoir disparu. Fin de la compassion ? Signe que tout est rentré dans l’ordre à Mbankolo ?
Ni l’un ni l’autre. Les traces de l’éboulement restent présentes, tant dans les esprits que dans la vie quotidienne des sinistrés : riverains traumatisés, familles sans toit (ou, pour les plus « chanceuses », casées dans des demeures de fortune mises à disposition par les pouvoirs publics, sans eau ni électricité). Tous sont condamnés à vivre dans l’incertitude, avec la promesse de lendemains meilleurs.
En fait, Mbankolo a tout simplement été oublié. De la même manière qu’ont été oubliés les glissements de terrains mortels survenus à Yaoundé en octobre et novembre 2022, ceux de Foumban (3 morts), en août 2021, et de Bafoussam (plus de 40 morts), en octobre 2019.
La CAN, la visite d’Emmanuel Macron…
Il ne s’agit pas d’un oubli nietzschéen, qui émanerait d’une décision consciente, mais d’une manière de gérer la question urbaine au Cameroun. Celle-ci repose sur un urbanisme de l’après-coup et de l’urgence, qui laisse prospérer le désordre urbain jusqu’à ce que surgisse un événement inattendu, souvent un drame.
L’existence d’habitats insalubres n’est pas méconnue des pouvoirs publics. Mais ces derniers s’accommodent d’une situation où, pour diverses raisons – rapports de force, enjeux fonciers, volonté d’entretenir l’illusion d’une paix sociale, etc. –, on n’intervient qu’après la survenue d’un drame.
Une approche de l’aménagement urbain qui procède d’un urbanisme de l’après-coup. Quand, après un drame, on découvre « soudainement » des constructions illégales, on organise des tournées administratives pour sensibiliser les populations sur le danger de leur construction (sans pour autant leur proposer une alternative durable), on établit des échelles de responsabilités : sanctions de fonctionnaires soupçonnés d’avoir délivré des titres fonciers sur des espaces non constructibles, dénonciation de la corruption qui entoure la délivrance des titres fonciers ou des permis de construire, accusations à l’encontre des populations « irresponsables » ou des autorités urbaines elles aussi « irresponsables », etc.
Cet urbanisme de l’après-coup va généralement de pair avec une logique du ponctuel, en vertu de laquelle les pouvoirs publics camerounais envisagent des solutions « cosmétiques » à l’approche d’une visite diplomatique ou de l’accueil d’un événement international. On fait alors procéder au « déguerpissement » d’habitations et de commerces qui sont « illégalement » construits le long des grands axes, on demande aux habitants d’embellir les façades ou de sarcler les bordures de chaussée, comme ce fut le cas, en janvier 2022, lors de l’organisation de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) et, en juillet de la même année, à l’occasion de la visite du président français Emmanuel Macron.
Magouilles foncières et flou permanent
Ces faits ne sont pas le signe que les pouvoirs publics sont inefficaces et défaillants ; ils illustrent une manière de gouverner. En l’occurrence, en actionnant un mécanisme que le philosophe Michel Foucault assimilait à un « dispositif de sécurité » et qui ne vise pas à faire disparaître un problème mais à l’entretenir en y apportant des réponses obliques et temporaires.
Même incomplètes et inachevées, ces réponses permettent aux pouvoirs publics de gouverner en feignant de se montrer tolérants envers les plus démunis et présents dans l’espace urbain en sanctionnant post-ante les fonctionnaires coupables de magouilles foncières, en entretenant un flou permanent sur les responsables de la politique générale de la ville – laquelle est menée, non sans brouillage, par les maires d’arrondissement ou des villes, par les autorités administratives, par différents ministères et organismes techniques et, même, par la présidence.
Cette manière de gouverner a des effets concrets sur le quotidien de la population et, notamment, sur le façonnement de l’oubli collectif. C’est ce que l’on peut appeler une politique de l’oubli : un dispositif de gouvernement qui amène les Camerounais à s’accommoder de l’état de leurs villes jusqu’à oublier les conséquences des éboulements, des inondations, du défaut d’entretien des voiries, qui sont accidentées, de l’insalubrité, de l’insécurité grandissante, de la vétusté des bâtiments, des coupures récurrentes de l’électricité et de l’eau courante.
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