Retour en 2018, quand Kaïs Saïed annonçait sa candidature à la présidence
Après avoir laissé planer le suspense, le chef de l’État tunisien a confirmé, le 19 juillet au soir, qu’il était candidat à un deuxième mandat. Pour l’occasion, Jeune Afrique republie un entretien d’octobre 2018, avec celui qui n’était encore que candidat à la présidentielle de 2019. L’occasion de mesurer le chemin parcouru… et de se souvenir de ce que promettait l’universitaire qui se disait « sans parti ».
Tunis 2018. Plus de cinq ans en arrière. Élu en 2014, Béji Caïd Essebsi siège alors à Carthage et la prochaine échéance présidentielle est prévue en novembre 2019. Dans un pays encore très marqué par la chute, en 2011, du régime Ben Ali, puis par l’arrivée au pouvoir des islamistes d’Ennahdha, le jeu politique semble ouvert. Qui succèdera à « BCE » ? Le premier à se porter candidat est un universitaire et spécialiste du droit constitutionnel relativement peu connu du grand public : Kaïs Saïed.
Ceux qui le connaissent évoquent à l’époque un homme intègre, intransigeant, plutôt conservateur. Ses liens avec l’idéologie portée par Ennahdha, dont il ne refuse pas explicitement le soutien, interrogent. Le principal intéressé, lui, se présente comme un candidat sans lien avec aucun parti. N’assure-t-il pas, d’ailleurs, qu’il n’a jamais voté de sa vie, refusant de légitimer le pouvoir de Ben Ali ? Pour beaucoup de Tunisiens, le professeur de droit est peut-être l’homme nouveau qu’ils attendaient, celui qui tournera vraiment la page – celle de l’ancien régime, mais aussi celle de l’islamisme – et donnera le grand coup de balai que certains espèrent encore.
Le décès de Béji Caïd Essebsi, en juillet 2019, accélère quelque peu le calendrier. La présidentielle est avancée : premier tour en septembre, second tour en octobre. S’il ne sort que légèrement en tête de la première manche, devant Nabil Karoui, Kaïs Saïed obtient ensuite une victoire écrasante, avec 72,7 % des suffrages. Le 6 octobre prochain, le président-candidat tentera d’égaler ce score, ce qui ne s’annonce pas forcément facile. Mais en attendant cette échéance, il est tentant de relire l’interview que le constitutionnaliste avait accordée, fin 2018, à la correspondante de Jeune Afrique, Frida Dhamani.
Jeune Afrique : Qu’est-ce qui a motivé votre décision de vous présenter à la présidentielle de 2019 ?
Kaïs Saïed : Le sens profond du devoir et une obligation qui s’est imposée. Il s’agit d’assumer des responsabilités face au peuple tunisien. Certains m’imputent une ambition personnelle, mais ils font erreur sur ma personne. Accéder à la magistrature suprême ne rend pas heureux et, lorsque le devoir vous appelle, vous ne pouvez qu’y répondre. Je suis parfaitement conscient qu’une candidature, dans la situation actuelle compliquée aussi bien à l’intérieur et à l’extérieur, est loin d’être simple. Mais je ne peux pas ne pas répondre aux sollicitations incessantes émanant des jeunes.
Les prérogatives du président de la République étant réduites, comment comptez-vous faire pour répondre aux attentes ?
Actuellement, le champ d’action du président est bien limité par la Constitution. Mais une fois à la tête de l’État, je m’adresserais au peuple tunisien pour demander une révision de la loi fondamentale. En 2014, elle a été taillée sur mesure : certaines de ses dispositions ont été choisies pour permettre la répartition du pouvoir entre ceux qui le détiennent. Elle devrait répondre aux attentes et revendications des Tunisiens, et non légitimer un pouvoir. Le meilleur exemple est celui de la prise d’otage de la Cour constitutionnelle, où chacun veut sa part et ne lâche rien.
En aucun cas, notre Constitution est une traduction politique de la volonté du peuple. Nous sommes actuellement dans une nouvelle phase de l’histoire. Et pourtant les dirigeants, ou ceux qui ambitionnent de le devenir, sont dans les petites histoires qui détournent l’attention des véritables problèmes, engendrant une apathie avec le rejet de tout un système. La Tunisie a toutes les potentialités, et surtout toutes les ressources humaines, pour être dans une situation de loin meilleure que celle qu’elle vit aujourd’hui.
Vous pensez jeter les bases d’une troisième république, sans l’appui d’un parti. Comment comptez-vous faire ?
Cela s’impose afin d’assainir les dérives actuelles. Je ne serai candidat d’aucun parti, et ma structure ne sera pas partisane. J’ai le soutien de jeunes dans pratiquement tous les gouvernorats. L’ère des partis, partout dans le monde, est révolue. Les jeunes s’organisent en dehors des structures traditionnelles. C’est ce que nous ferons.
Concrètement, quelles seraient vos priorités ?
Tout d’abord, une totale réorganisation politico-administrative de la pyramide du pouvoir. Il faut inverser la tendance et aller du local vers le régional, pour synthétiser les attentes et les différentes volontés. Des conseils locaux, dont les membres, parrainés par des électeurs et des électrices, seront élus au suffrage universel après un scrutin uninominal à deux tours. Ils siégeront dans chaque délégation pour identifier les programmes de développement local. Leur mandat, basé sur la représentativité, sera révocable.
Les projets seront présentés au conseil régional qui émanera des conseils locaux, et auquel participent également les directeurs régionaux des administrations centrales. Ainsi, le plan de développement régional fera la synthèse des différents projets préparés au niveau local, avec une ergonomie dans les réalisations. Chaque conseil régional aura son représentant à l’Assemblée, et une alternance des membres dans les conseils régionaux permettra un autocontrôle pour se prémunir contre la corruption et les dérives.
Comment comptez-vous financer votre campagne ?
Avec les moyens du bord et la volonté des jeunes. Par principe, mais aussi pour éviter les manipulations, je n’accepterai aucun millime d’aucun parti ni organisation. L’énergie pour la Tunisie est plus porteuse que l’argent.
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