Le Maroc et l’Algérie réconciliés par leurs élites ?

Entre Rabat et Alger, les tensions persistent. Pour créer un climat de confiance et poser les bases d’une entente durable, historiens, chercheurs et intellectuels des deux pays doivent s’impliquer.

Supporters algériens et marocains célébrant la victoire du Maroc sur la Belgique lors de la Coupe du monde de football, à Doha (Qatar), le 27 novembre 2022. © Adil Benayache/SIPA

Supporters algériens et marocains célébrant la victoire du Maroc sur la Belgique lors de la Coupe du monde de football, à Doha (Qatar), le 27 novembre 2022. © Adil Benayache/SIPA

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  • Amr Abbadi

    Analyste, chercheur en sciences politiques à l’université d’Orléans.

Publié le 23 février 2024 Lecture : 4 minutes.

La rivalité entre Marocains et Algériens s’est manifestée une fois de plus à l’occasion de l’élimination des Lions de l’Atlas et des Fennecs de la dernière Coupe d’Afrique des nations (CAN), à Abidjan. Dans les rues algériennes, des cris de joie ont retenti, parfois mêlés à des propos dénigrants à l’endroit du voisin marocain lorsque ce dernier a chuté. De la même manière, au Maroc, c’est dans la liesse populaire qu’a été accueillie la défaite de la sélection nationale algérienne.

Succès diplomatiques de Rabat

Cette fracture est alarmante. Se déchire le voile d’une époque où le sport unissait plutôt qu’il ne divisait, comme en témoignent les souvenirs de la CAN 2019 ou de la Coupe du monde 2022 au Qatar, lors desquelles les fanions des deux nations avaient flotté côte à côte dans un esprit de fraternité.

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Désormais règnent méfiance et aversion réciproques. L’Algérie accuse le Maroc d’être à l’origine de tous ses malheurs – y compris des incendies de forêt qui ont ravagé la Kabylie en 2021 –, ce qui contribue à alimenter une haine grandissante des Algériens envers leur voisin. Les Marocains ont fini, eux, par se persuader que l’Algérie nourrissait à leur égard un réel sentiment de jalousie, dû à leurs nombreux succès diplomatiques.

Quand Bouteflika pleurait Hasssan II

Dans cette crise complexe, les élites intellectuelles du Maroc et de l’Algérie ont un rôle majeur à jouer. Elles doivent sensibiliser leurs compatriotes à cette question et, fortes de leur influence médiatique, publier des articles d’opinion ou des articles scientifiques, participer à des tables-rondes thématiques, intervenir dans des émissions télévisées et radiophoniques.

Elles peuvent en outre utiliser les réseaux sociaux pour partager des réflexions perspicaces et éclairées, et ainsi contribuer à déconstruire les préjugés et les stéréotypes qui exacerbent les tensions, afin de promouvoir un dialogue constructif et une compréhension mutuelle. À travers des débats et des conférences, ces élites peuvent mettre en lumière les similitudes socio-culturelles entre les deux peuples, et souligner l’importance cruciale de la coopération et du respect mutuel.

De même, afin d’atténuer tout sentiment de haine, il incombe aux historiens marocains et algériens de raviver le souvenir des événements au cours desquels les deux pays ont fait montre de solidarité. Les historiens algériens peuvent, par exemple, mettre en lumière l’intervention militaire du Maroc, solidaire de ses « frères algériens » lors de la bataille d’Isly (1844), qui déboucha sur le traité de Lalla Maghnia. Ils peuvent aussi rappeler le discours du roi Mohammed V aux Nations unies réclamant, avec ferveur et abnégation, l’indépendance de l’Algérie – discours qui résonne encore aujourd’hui.

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De leur côté, les historiens marocains peuvent évoquer les gestes de soutien et de respect qu’eut l’Algérie envers le Maroc, comme lorsque Hassan II annonça, le 21 août 1972, que Houari Boumédiène avait été le premier chef d’État à l’avoir félicité d’avoir maté le coup d’État [du général Oufkir], ou encore le comportement émouvant d’Abdelaziz Bouteflika pleurant la mort de Hassan II à Rabat, en 1999. En rappelant ces moments emblématiques, les historiens des deux pays peuvent contribuer à dissiper les brumes de l’ignorance et des préjugés qui alimentent les conflits contemporains, et renforcer les liens fraternels entre les deux nations.

Programmes d’échanges virtuels

Les universités jouent, elles aussi, un rôle crucial dans la facilitation des échanges entre les jeunesses marocaine et algérienne, malgré la fermeture des frontières. En mettant en œuvre des programmes d’échanges virtuels (cours en ligne collaboratifs, webinaires, projets de recherche communs), ces établissements offrent une plateforme qui permet aux étudiants et aux chercheurs des deux pays de collaborer à distance. Cette collaboration favorise la compréhension mutuelle et encourage le dialogue interculturel, ce qui pose les fondements d’une coopération future et d’une réconciliation durable.

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Les instituts de recherche et les think tanks ont le potentiel d’enclencher un changement significatif en sensibilisant les jeunes générations aux enjeux régionaux. Par le biais de recherches approfondies, de l’organisation de débats dynamiques, de la publication de rapports pertinents ou de la création de plateformes interactives en ligne, ils leur offrent un véritable espace d’apprentissage et de dialogue.

En collaborant étroitement avec les ONG et les associations de jeunesse, ils amplifient leur action en proposant des programmes de formation ciblés et en incitant les jeunes à s’engager activement dans la résolution des défis régionaux. Ces efforts concertés éveillent les consciences, stimulent la réflexion critique, et inspirent à la prochaine génération l’envie de construire un avenir maghrébin florissant.

L’implication des élites intellectuelles est donc essentielle pour transformer la perception que les uns ont des autres, et pour instaurer un climat de confiance et de coopération entre le Maroc et l’Algérie. En unissant leurs forces pour abattre le mur de la méfiance, ces élites peuvent ouvrir la voie à un avenir radieux et prospère, où la fraternité triomphera de la division, et où les deux peuples avanceront main dans la main.

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