Occupation israélienne en Palestine : des débats à la CIJ, pour quoi faire ?

Durant toute la semaine du 18 février, États et organisations internationales se sont succédé devant la Cour internationale de justice pour discuter des effets juridiques de « l’occupation par Israël des territoires palestiniens ». Que peut-on attendre de cette grande première ?

Les juges de la Cour internationale de justice (CIJ), dont le président, Nawaf Salam (à dr.), durant une audience portant sur les conséquences de l’occupation, par Israël, des territoires palestiniens, le 21 février 2024. © Photo by Robin van Lonkhuijsen / ANP / AFP

Les juges de la Cour internationale de justice (CIJ), dont le président, Nawaf Salam (à dr.), durant une audience portant sur les conséquences de l’occupation, par Israël, des territoires palestiniens, le 21 février 2024. © Photo by Robin van Lonkhuijsen / ANP / AFP

Publié le 23 février 2024 Lecture : 5 minutes.

« La Cour ne devrait pas conclure qu’Israël est légalement obligé de se retirer immédiatement et sans condition des territoires occupés », assène Richard Visek, conseiller juridique au département d’État des États-Unis, qui participe au marathon des auditions en cours, cette semaine du 18 février, devant la Cour internationale de justice (CIJ), sise à La Haye.

Commission d’enquête sur la Palestine

Autant dire que les États-Unis, comme la Grande-Bretagne et le Canada, autres fervents soutiens d’Israël, entendent peser sur l’avis consultatif que la plus haute juridiction onusienne est invitée à rendre. Cette instance avait été saisie par le Conseil de sécurité de l’ONU, à la suite d’une résolution adoptée, en décembre 2022, par 87 États (53 s’abstenant et 26 votant contre). Ladite résolution, précédée de longues discussions, avait suivi la publication du rapport, accablant, d’une commission d’enquête sur la Palestine mandatée par l’ONU, qui révélait qu’aucune des décisions ou recommandations des Nations unies n’avait jamais été mise en œuvre.

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Les discussions en cours en cette fin de février 2024 constituent une démarche distincte du recours que l’Afrique du Sud a déposé en décembre 2023 et sur lequel la CIJ s’est déjà en partie prononcée en reconnaissant implicitement, dans son ordonnance, qu’un génocide était en cours à Gaza et en demandant à Israël, non seulement un cessez-le-feu immédiat, mais de répondre sous trente jours aux recommandations de la Cour. Ce qui n’a pas été fait.

Les débat actuels portent sur le sujet suivant, ainsi formulé par les juristes : « Les conséquences juridiques de l’occupation par Israël de territoires palestiniens. » Des délégations de 52 pays et plusieurs organisations internationales (dont l’Union africaine et l’Organisation de la coopération islamique) ont été invitées à exposer leur position entre le 19 et le 26 février. Mais, de l’avis d’experts, la Cour ne rendra pas son avis avant la fin de 2024 – « avis qui demeure consultatif », rappelle un spécialiste du droit international auprès d’Amnesty International.

Sur le fond, les discussions de cette semaine portent sur les effets juridiques : des violations, par l’État hébreu, du droit du peuple palestinien à l’autodétermination ; de l’occupation, de la colonisation et de l’annexion effective et indue du territoire palestinien occupé depuis 1967, ainsi que des mesures qui visent à modifier la composition démographique, le caractère et le statut de la ville sainte de Jérusalem. Elles portent aussi sur l’adoption de lois et de mesures discriminatoires connexes, et, enfin, sur « l’incidence des politiques et des pratiques d’Israël sur le statut juridique de l’occupation, et sur les conséquences juridiques qui en découlent pour les États et pour l’ONU ».

Le sujet, d’une actualité brûlante, sera abordé en présence de 90 pays, dans un contexte de tension et de fortes pressions politiques dues à la dégradation de la situation dans la bande de Gaza. Difficile, en effet, de plaider quand les 30 000 victimes de Gaza hantent tous les esprits et que la détention d’otages israéliens par le Hamas est presque oubliée au regard de la tragédie en cours dans les territoires palestiniens.

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Un apartheid pire qu’en Afrique du Sud

La plupart des intervenants appellent Israël à une trêve. L’État hébreu, absent des débats, s’est borné à communiquer à la Cour un document de quelques pages, dans lequel il évoque « une nette distorsion de l’histoire » et reproche aux Palestiniens d’avoir rejeté des propositions de règlement du conflit, qui auraient abouti à l’établissement d’un État palestinien.

Les quinze juges, dont six viennent d’être élus par l’Assemblée générale de l’ONU et par le Conseil de sécurité pour un mandat de neuf ans, ont reçu pas moins de 72 exposés, présentés par des États et des organismes internationaux. Parmi eux, la Palestine, l’Afrique du Sud, la Belgique, le Brésil, la Chine, les États-Unis, la France, l’Indonésie, la Namibie, le Pakistan, le Royaume-Uni, la Russie, la Suisse et l’Union africaine devaient intervenir oralement.

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La question des conséquences juridiques de l’occupation israélienne de la Palestine – et de ce que les États devraient faire face à cette situation – est, de l’avis des spécialistes, plus complexe qu’il n’y paraît. La Convention de Genève du 12 août 1949 décrit précisément cette occupation comme « temporaire et limitée ». Cela pourrait être entendu par tous, mais l’ampleur de la colonisation entamée en 1967 est telle qu’aucun recul ne semble aujourd’hui possible. La situation qui prévaut depuis plus de cinquante ans impose une nouvelle lecture juridique, notamment en matière de responsabilité et de droit humanitaire.

Sans surprise, la délégation palestinienne, qui s’est exprimée la première, le 19 février, a enjoint aux juges de mettre fin immédiatement et sans conditions à un système de colonisation et à une forme d’apartheid bien plus extrême que celle qu’a vécue l’Afrique du Sud. Riyad al-Maliki, le ministre palestinien des Affaires étrangères, a qualifié le moment d’ « historique pour le droit et pour la justice internationale ».

Un avis que ne partagent pas les États-Unis, qui invitent à débattre ailleurs qu’à la CIJ. Ils suggèrent de laisser « à la négociation directe la question du statut du territoire, des frontières et des arrangements sécuritaires », et affirment que « tout mouvement qui conduirait au retrait d’Israël de la Cisjordanie et de Gaza devrait forcément prendre en compte les besoins de sécurité, très réels, d’Israël ».

Les Américains peinent cependant à se faire entendre tant les exactions israéliennes à Rafah et dans toute la bande de Gaza suscitent l’indignation. Les brillants exposés de l’Algérie et de l’Afrique du Sud, qui conditionnent la paix à un retrait total de l’occupant et non à une négociation portant sur la répartition des territoires, ont également marqué les esprits.

Israël sur le banc des accusés ?

Ces journées de débat devant la CIJ peuvent-elles réellement déboucher sur des solutions concrètes ? Les Palestiniens voudraient y croire. Ils ne peuvent cependant se départir du sentiment qu’il existe une stratégie du deux poids, deux mesures, qui exonère Israël « des pires crimes commis au quotidien, alors que des nations sont mises au ban de la scène internationale pour bien moins que cela ».

Les débats entendus à La Haye donnent toutefois l’impression que, cette fois, l’horreur de la situation à Gaza et l’opprobre qui frappe les actuels dirigeants israéliens sont des sentiments très largement partagés, et que les pays qui afficheraient un soutien sans nuance à Israël risqueraient, pour la première fois peut-être, de devenir la cible du même mouvement mondial de désapprobation. C’est en cela, peut-être plus que par les résultats concrets qu’elles auront à court terme, que les plaidoiries prononcées cette semaine devant la Cour pourraient marquer un véritable tournant.

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