Avec « Bye Bye Tibériade », Lina Soualem ravive la mémoire palestinienne

Dans ce documentaire bouleversant, la réalisatrice brosse le portrait de sa mère, l’actrice palestinienne Hiam Abbass, et de toute une lignée de femmes, dont les histoires ont été tues.

Film « Bye Bye Tibériade », de Lina Soualem. © Beall Productions

Film « Bye Bye Tibériade », de Lina Soualem. © Beall Productions

eva sauphie

Publié le 23 février 2024 Lecture : 3 minutes.

Comment redonner la parole à des êtres qui n’ont pas pu « se raconter » : tel est le point de départ du deuxième film de Lina Soualem. Comme pour Leur Algérie, documentaire tendre et émouvant, dans lequel la réalisatrice sondait l’histoire faite d’exil et de refoulement de ses grands-parents paternels, Bye Bye Tibériade évoque la mémoire de sa famille maternelle en mêlant archives écrites, images capturées par son père, Zinedine Soualem, prise de vues et témoignages actuels.

L’exil après la Nakba

Au cœur du dispositif, l’actrice Hiam Abbass, mère de la réalisatrice, qui a quitté son village de Deir Hanna, en Galilée, pour vivre son rêve de devenir comédienne à Paris, dans les années 1980. On la voit revenir sur les planches du théâtre où elle fit ses premières classes avec la troupe palestinienne d’Al Hakawati. Mais, aussi et surtout, dans cette maison familiale qui se dresse face au Mont des Béatitudes, où elle vécut en partie avec sa mère et sa grand-mère après qu’elles eurent été chassées de Tibériade lors de la Nakba (« catastrophe », en arabe), en 1948.

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Sur cette terrasse carrelée, où Lina elle-même fit ses premiers pas pendant les vacances, l’actrice montre la Jordanie, et de l’autre côté, la Syrie, où l’une de ses tantes dut se réfugier, loin des siens. Une manière, pour Lina Soualem, que l’on revoit enfant barboter dans le lac de Tibériade ou rire avec sa grand-mère, de remonter le fil de quatre générations de femmes dont l’histoire a été passée sous silence.

Héritière d’une parole fragmentée transmise dans la douleur, la réalisatrice a recollé les morceaux des récits individuels pour les inscrire dans un tout. « Je ne voulais pas filmer l’intimité de ma mère, mais son parcours de femme palestinienne dans une lignée de femmes palestiniennes, expose-t-elle. Il fallait réactiver ces mémoires individuelles, qui n’ont pas été transmises de manière complète, pour qu’elles s’ancrent dans une mémoire collective. »

Histoire de Palestiniennes

Et c’est là toute la force de ce documentaire aussi émouvant que nécessaire. Présenté dans le contexte tendu des événements de Gaza, il a été projeté dans de nombreux festivals consacrés au cinéma du monde arabe, ainsi qu’à Venise (Italie) et à Toronto (Canada), avant d’être diffusé sur la chaîne Arte et de sortir en salles. « Ce film a touché les spectateurs, même s’ils sont éloignés du territoire que je filme, observe Lina Soualem. Ils voient une forme d’universalité dans cette histoire de déracinement, de déplacement, dans cette histoire de vie et de famille. »

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Bye Bye Tibériade raconte l’histoire d’un exil forcé et d’un exil choisi post-Nakba à travers la trajectoire de Hiam Abbass. Surtout, il évoque avec finesse une zone grise, peu souvent abordée, celle d’un départ qui n’en demeure pas moins un déchirement. « Si le contexte politique avait été différent, cet exil choisi aurait-il finalement eu lieu ?, s’interroge-t-elle. Même quand on choisit de partir, on laisse quelque chose derrière soi. Se pose alors la question de comment trouver sa place, aujourd’hui, dans la société, quand on est entre plusieurs mondes et entre plusieurs pays, et comment se réinventer dans la marge », poursuit la réalisatrice.

Film "Bye Bye Tibériade", de Lina Soualem. © Collection Lina Soualem

Film "Bye Bye Tibériade", de Lina Soualem. © Collection Lina Soualem

Une réinvention que le cinéma rend possible. « Transmettre cette histoire sous la forme d’un film permet de rendre à ces femmes des territoires imaginaires, même si elles ont subi la dépossession. Ma grand-tante a été de l’autre côté de la frontière, mais, le temps d’un film, toutes ont existé les unes avec les autres. »

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Bye Bye Tibériade, de Lina Soualem, est en salles depuis le 21 février.

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