Mohamed Laagab, l’attaquant de pointe d’Abdelmadjid Tebboune
Recadrage de la presse sportive, convocation des patrons des chaînes de télévision, création de deux « commissions de veille »… Le ministre algérien de la Communication multiplie les décisions autoritaires. Une façon pour ce fidèle du président d’imposer son image de collaborateur incontournable.
« Il donne l’impression d’être un bulldozer dont les freins ont lâché », dit de lui cet ancien journaliste qui a requis l’anonymat. Convocations, commissions, sermons et menaces de sanctions, Mohamed Laagab, ministre de la Communication, s’est juré de mettre de l’ordre dans le secteur des médias.
Le problème, toujours selon ce rédacteur en chef qui l’a longuement côtoyé, est que, face à ses anciens confrères, Mohamed Laagab se comporte davantage comme le professeur qu’il fut, allant jusqu’à leur faire la leçon sur la manière d’écrire un article de presse, de conduire une interview ou de faire un reportage, que comme un ministre.
Ces derniers jours, deux décisions importantes ont été prises coup sur coup. La première concerne l’installation de deux commissions de veille chargées de suivre les programmes devant être diffusés sur toutes les chaînes de télévision. La première commission surveillera du coin de l’œil « tout ce qui sera diffusé durant le mois de ramadan », tandis que la seconde assurera le suivi de tout contenu sportif diffusé à travers les différents médias électroniques, radiophoniques et audiovisuels, ainsi que dans la presse écrite.
Selon le communiqué du ministère, ces deux commissions veilleront au « respect des orientations du ministère de la Communication » concernant les programmes de ramadan qui « doivent être aussi variés que ciblés », mais aussi le contenu des programmes sportifs diffusés dans les différents médias. Gare aux dépassements car pendant le mois de carême, toute la famille est réunie devant la télé à l’heure du dîner et les sketchs-chorbas et autres « caméra cachées » de très mauvais goût prolifèrent. La morale doit être sauve.
Ramadan sous surveillance
La deuxième décision du ministre a été de convoquer, le 27 janvier dernier, tous les directeurs des chaînes de télévision pour tracer les grandes lignes de la grille des programmes de ramadan, connu pour être une période de surconsommation alimentaire et télévisuelle.
« Nous sommes appelés, aujourd’hui, à assumer la responsabilité morale et à suivre tout ce qui est diffusé par les différents médias, quelle qu’en soit la nature, notamment après avoir enregistré nombre de dépassements de la part de journalistes eux-mêmes ou de responsables de diffusion », a affirmé de façon péremptoire Mohamed Laagab.
Le 1er février dernier, il avait déjà convoqué les journalistes et responsables de la presse sportive pour les sermonner face à ce qu’il qualifiait de « dépassements et dérapages » observés dans la couverture de la CAN disputée en Côte d’Ivoire et les appeler au respect de l’éthique professionnelle lors de l’accomplissement de leur mission. Cette fois encore, nouvelle mise en garde du ministère, qui « prendra les mesures nécessaires en cas de dépassement ».
Nommé à la faveur du limogeage de Bouslimani
C’est en septembre 2023 que Mohamed Laagab a été nommé ministre de la Communication par le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, qui venait de limoger brutalement son prédécesseur, Mohamed Bouslimani.
La diffusion par la chaîne de télévision privée Ennahar TV, tard dans la soirée du 20 juin 2023, d’une fausse information faisant état de l’expulsion de l’ambassadeur des Émirats arabes unis (EAU) à Alger pour une prétendue affaire d’espionnage avait valu à Mohamed Bouslimani une éjection immédiate de son poste. Ironie du sort, cet ancien haut cadre de l’État avait succédé, une année auparavant jour pour jour, à Amar Belhimer, lui-même brutalement débarqué alors que personne ne s’y attendait.
Décrit comme un proche du président Tebboune, Mohamed Laagab est né le 14 mai 1966, à Dellys, ville côtière à une centaine de kilomètres à l’est d’Alger. Il va d’abord exercer comme journaliste dans plusieurs quotidiens et hebdomadaires arabophones, puis comme enseignant à la faculté des sciences de l’information et de la communication de l’Université d’Alger 3.
Directeur de campagne de Tebboune
Son premier poste politique, il l’obtient lors de l’élection présidentielle de décembre 2019, quand il remplace au pied levé, au poste de directeur de campagne d’Abdelmadjid Tebboune, l’ancien diplomate Abdallah Baali, qui avait subitement claqué la porte de la permanence électorale pour de mystérieuses raisons.
À l’époque, les retournements de veste étaient spectaculaires, car des rumeurs savamment distillées donnaient le candidat Tebboune « grillé » par les « décideurs » étoilés, qui auraient misé sur un autre cheval.
En août 2017, déjà, Mohamed Laagab avait su rester fidèle à son ami Abdelmadjid quand celui-ci avait été brutalement éjecté de son poste de Premier ministre par le président Abdelaziz Bouteflika après seulement deux petits mois au Palais du gouvernement. Tombé en disgrâce, Abdelmadjid Tebboune avait vu tout le sérail se détourner de lui.
La présidentielle de 2024 en point de mire
À l’arrivée de son ami au pouvoir, Mohamed Laagab est désigné comme chargé de mission à la présidence de la République. Mais il commet une grosse bourde deux mois seulement après sa nomination : au cours d’une intervention à l’université algérienne, il a l’outrecuidance de demander aux étudiants de consacrer leur thèse à la personne de Gaïd Salah, l’ex-chef d’état-major de l’armée décédé fin décembre 2019.
Il est congédié manu militari de la présidence le lendemain même de cette intervention. Selon un directeur de journal auquel il s’était confié à cette époque, des conseillers du président lui en voulaient personnellement et avaient réussi à avoir sa tête. Qu’à cela ne tienne, Abdelmadjid Tebboune le récupère en avril 2022 et le nomme sénateur au titre du tiers présidentiel, avant de le désigner comme ministre de la Communication six mois plus tard.
Aujourd’hui, le ministre semble plus actif que jamais dans le dispositif d’El Mouradia. L’élection présidentielle algérienne étant prévue pour décembre 2024, il se murmure dans les milieux journalistiques que Mohamed Laagab se donne beaucoup de peine pour paver à son puissant ami le chemin d’un second mandat.
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