De l’urgence d’un financement durable pour les économies africaines
Après une période faste, de 2011 à 2020, les pays d’Afrique subsaharienne, dans leur grande majorité, se sont vu restreindre l’accès au marché obligataire international à la suite de la crise du Covid-19 et du conflit russo-ukrainien.
Ce début d’année 2024 marque ce qui pourrait être considéré comme l’Acte II de l’expérience des eurobonds en Afrique subsaharienne. En témoigne les émissions récentes sur le marché international de la Côte d’Ivoire, du Bénin et du Kenya, qui ont levé respectivement 2,6 milliards de dollars, 750 millions de dollars et 1,5 milliard de dollars. Ces succès sont accompagnés des habituelles expressions hyperboliques de satisfecit de la part des autorités : le ministre ivoirien des Finances et du Budget saluait une mobilisation « historique » des investisseurs, pendant que le gouvernement béninois se félicitait de « son plus fort taux de souscription jamais atteint » sur les marchés internationaux.
Dette externe, ligne d’alerte
Les investisseurs internationaux seraient-ils sublimés, en ce début d’année 2024, par les politiques budgétaires et les perspectives macroéconomiques de ces pays ? Le contexte actuel, marqué par une fragmentation géoéconomique et géopolitique à l’échelle mondiale, pointe à un environnement hautement incertain pour de nombreux pays africains ; reproduire certaines erreurs dans les stratégies publiques de financement des économies pourrait mener à des répercussions nettement plus néfastes que par le passé. Voici quelques considérations essentielles que les pouvoirs publics devraient intégrer dans leur stratégie.
La première est de prendre la pleine mesure des risques associés au recours excessif à la dette externe de marchés et ses potentiels effets dévastateurs sur la croissance à long terme. Dans le jargon économique, l’adage dit que l’histoire ne se répète pas, mais elle rime souvent. Ainsi, les pays africains devraient s’inspirer des enseignements tirés des épisodes précédents de crises économiques causées par l’accumulation de la dette externe de marché, en Amérique du Sud dans les années 1980, et en Asie dans les années 1990-2000.
Dans le contexte volatile actuel, le spectre d’une « décennie perdue » de croissance pourrait avoir des répercussions significatives sur la paix et la stabilité sociale. Il est donc crucial de prêter une attention particulière à la ligne d’alerte lorsque la vitesse d’accumulation de la dette externe de marché, mesurée en croissance par rapport au PIB, reste supérieure à la croissance des recettes fiscales pendant une période de cinq à sept ans; situation déjà observée dans certains pays d’Afrique subsaharienne.
Ensuite, le contexte du marché à moyen terme s’annonce nettement plus contraignant que durant le cycle précédent. Les données récentes sur l’inflation aux États-Unis ont différé les anticipations des investisseurs quant à une baisse prochaine des taux d’intérêt par la Réserve fédérale américaine. De plus, la volatilité cyclique incrémentale autour des élections américaines, aura tendance à augmenter la prime de risque des eurobonds en 2024. À cela s’ajoute que les nouvelles émissions d’eurobonds, destinées principalement au refinancement de dettes existantes, seront intrinsèquement plus onéreuses que celles du cycle antérieur : la majorité des devises africaines ont connu une dépréciation face au dollar américain depuis la crise du Covid, les coupons et des rendements exigés par les investisseurs sont supérieurs aux projections de croissance du PIB, de surcroit les coûts de couverture contre le risque de change se sont accru.
Bien que les options de financement soient restreintes dans le climat macroéconomique actuel, il est essentiel que les pays africains abordent les conditions actuelles du marché des eurobonds avec une grande prudence. D’autant plus qu’en cas de défaut sur ces obligations, les négociations sur leur restructuration s’avèrent hautement complexes en raison de la diversité du profil des investisseurs. Certains fonds d’investissement font partie intégrante de leur business model le fait de prolonger pendant des années les processus de restructuration dans les cours d’arbitration et de justice. L’expérience de la Zambie qui a fait défaut depuis novembre 2020, devrait servir de cas d’école pour le reste de l’Afrique.
Réformes de bon sens
Il est surtout urgent d’engager des réformes de bon sens sur la problématique de la mobilisation des ressources internes pour le financement des économies africaines. Les communiqués des ministères des Finances accompagnant les succès de leurs émissions d’eurobonds pointent souvent du doigt le manque de profondeur des marchés financiers locaux.
Il convient de souligner que les capitaux de ces investisseurs internationaux, courtisés par les délégations africaines lors de leurs roadshow, sont très probablement issus de fonds de pensions de retraite de policiers ou d’instituteurs américains, à qui est offert une large variété de produits d’investissement sur les marchés financiers internationaux. À l’ère du numérique et de l’essor des fintechs, nous devons réfléchir à des solutions pour offrir des opportunités similaires à l’épargnant local africain, lequel est relégué au statut de strict consommateur dans un monde globalisé.
Il faut dire que le consommateur et l’épargnant africain subit les affres de la globalisation du commerce et du système financier international, victime de ce que l’on réfère dans le jargon de la finance quantitative d’une gamma négative : subissant de plein fouet les crises y résultant sans se voir offrir des mécanismes de mitigation contracyclique, tout en bénéficiant le moins de ses aspects positifs.
L’évolution de la part de l’Afrique dans le capital mondial est restée inférieure à 2 % depuis le début de l’accélération de l’ère de la globalisation du commerce et des systèmes financiers au début des années 2000 jusqu’à nos jours. L’appréciation de la capitalisation boursière mondiale durant cette période qui est passée de 30 trillions de dollars en 2000 à près de 110 trillions de dollars en 2023, a été propulsé par les grandes multinationales au cœur de la révolution technologique, digitale et de l’intelligence artificielle : Apple, Microsoft, Netflix, etc. Le consommateur typique de ces géants de la tech est un citoyen d’un monde globalisé : l’africain paie son iPhone et son abonnement Netflix au même prix, sinon plus cher que l’indien ou l’américain, participant ainsi à la croissance explosive de ces multinationales, et devrait pouvoir en bénéficier via l’appréciation du capital.
L’épargnant africain
Les marchés financiers régionaux doivent être mis à contribution pour juguler cette condamnation quasi pérenne de l’épargnant africain au passif du système financier global. Les autorités de régulations des marchés et les banques centrales régionales devraient répondre favorablement aux propositions de réformes pour mettre en place des mécanismes permettant une allocation des portefeuilles des investisseurs locaux dans des véhicules ciblés du marché financier international.
Ce type d’initiative constitue un pas important dans l’objectif de dynamiser les marchés financiers locaux, afin qu’ils puissent pleinement jouer leur rôle dans le financement des économies africaines. Pour l’épargnant local, la perspective de retours sur investissement attractifs entrainera un engouement qui aura comme effet d’attirer du capital significatif vers les marchés boursiers régionaux. Les retombées positives qui en découleraient sont multiples : génération de devises dans les mécanismes de domiciliation des profits, réduction des flux financiers illicites, augmentation du capital pour financer les États et les entreprises africaines.
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