Côte d’Ivoire : la réforme du cacao reste inachevée

En garantissant un prix plancher aux planteurs de cacao, la Côte d’Ivoire a prouvé sa capacité à mieux répartir les richesses de la filière. Mais les rendements diminuent et la transformation locale plafonne.

La Côte d’Ivoire fournit 36% du cacao mondial. © AFP

La Côte d’Ivoire fournit 36% du cacao mondial. © AFP

Julien_Clemencot

Publié le 23 octobre 2013 Lecture : 6 minutes.

Mercredi 2 octobre 2013, Lambert Kouassi Konan, président du Conseil Café Cacao (CCC) ivoirien, a lancé officiellement la nouvelle récolte. En camion, mais aussi à l’aide de mobylettes, de vélos, et parfois de simples brouettes, près de 1,4 million de tonnes de fèves rejoindront, d’ici à juin 2014, les usines et les ports du pays. À elle seule, la Côte d’Ivoire mettra sur le marché environ 36 % de l’offre mondiale.

Mais après vingt ans de progression, la production du leader mondial de la fève pourrait avoir atteint un palier. Le vieillissement du verger et la raréfaction des terres disponibles ne rendent guère optimistes les agronomes. Autant dire que la réforme mise en œuvre par l’État depuis octobre 2012 pour maintenir le niveau de la production et assurer le développement durable de la filière est un enjeu de taille. Le cacao reste l’un des principaux contributeurs du PIB (14 %) et des recettes fiscales (16,3 %) du pays.

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[Avant la réforme], les planteurs étaient sacrifiés au profit des exportateurs

Les gagnants de la réforme

Pour la deuxième année consécutive, les 800 000 planteurs locaux sont les vrais gagnants de la réforme. Moins soumis à la loi du marché, ils reçoivent au minimum 60 % du prix CAF (coût, assurance, fret) – contre moins de 50 % en moyenne entre 2003 et 2011. Edward George, directeur de la recherche sur les matières premières agricoles chez Ecobank, estime que l’attention portée aux producteurs est légitime. « Ils étaient sacrifiés au profit des exportateurs, au point que beaucoup abandonnaient la culture du cacao », regrette-t-il.

Leur quote-part a été fixée à 750 F CFA (1,14 euro) par kilo jusqu’à la fin de la grande campagne, en janvier (contre 725 F CFA l’an dernier). Soit un tarif légèrement supérieur à celui prévu par le CCC sur la base de la vente aux enchères anticipée de 70 % de la récolte.

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Deux ans et demi après la crise post-électorale, la cohésion nationale reste la priorité de l’exécutif ivoirien. « La dimension sociale de la filière est tellement importante que les décisions répondent davantage à des préoccupations politiques qu’économiques », confirme un opérateur.

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En conséquence, pour que les acheteurs réalisent une marge acceptable, l’État devra sacrifier 40 milliards de F CFA de recettes fiscales, et même les soutenir – à hauteur de 10 milliards de F CFA – grâce au fonds de réserve. Lors de la campagne 2012-2013 déjà, le gouvernement avait dû rogner sur sa part de recettes, ramenant ses prélèvements de 22 % à 18 % du prix CAF afin d’assurer la rentabilité de la filière.

Meilleure qualité

L’autre effet notable de la réorganisation du secteur porte sur la qualité des fèves apportées aux usines. « Avant, personne ne respectait les temps de fermentation et de séchage, car les acheteurs voulaient obtenir du cacao au plus vite », explique Mamadou Bamba, directeur de la coopérative Ecookim. Désormais, la vente anticipée de la majorité de la récolte limite la ruée des exportateurs et permet aux planteurs de parfaire leur ouvrage. Dans le même temps, le Conseil a sensibilisé près de 180 000 producteurs et imposé que le taux d’humidité du cacao prêt à être chargé dans les ports ne dépasse pas 9 %, contre parfois plus de 12 % auparavant. « Même s’il y a encore des progrès à faire, nous espérons atteindre la même qualité que le Ghana [souvent cité en référence] d’ici à deux ou trois ans », assure Mamadou Bamba.

Productivité

Pour autant, la situation de la filière est loin d’être totalement satisfaisante. Première préoccupation : l’état du verger ivoirien, près de 3,3 millions d’hectares, soit 10 % du territoire national. Il est en moyenne âgé de 25 ans et sa productivité – 450 kg par hectare – est inférieure de moitié aux meilleurs rendements (1 tonne à l’hectare). À cela s’ajoute la diminution prévisible des surfaces cultivées en raison de la décision d’expulser les planteurs installés illégalement dans les forêts classées et de la prolifération inquiétante du swollen shoot, une maladie virale qui détruit les cultures.

Transformation du cacao : le soleil se lève à l’est

Chocolat cKochi Kamoshida AFPAlors que sa consommation de cacao augmente – tirée par la Chine -, l’Asie commence à peser dans la transformation. Et supplante déjà l’Afrique.

En effet, ce continent pourrait absorber près de 20 % de la production mondiale en 2016, porté par la Chine, qui consomme entre 15 % et 25 % de plus chaque année. Une croissance qui influence déjà le marché mondial.

En attendant une éventuelle hausse de la production asiatique, c’est dans la transformation que ce continent commence à peser.

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Conscient de l’enjeu, le CCC a investi 6,83 milliards de F CFA en 2012-2013 pour distribuer des produits phytosanitaires et une nouvelle variété de plant – le cacao Mercedes – élaboré par le Centre national de recherche agronomique (CNRA), dont l’intérêt est de produire les premières cabosses en dix-huit mois au lieu de cinq ans. Un effort insuffisant, constatent les planteurs. « Nos membres cultivent 24 000 ha, mais nous n’avons reçu des intrants [produits phytosanitaires, semences et engrais] que pour moins de la moitié », déplore Mamadou Bamba.

« Les moyens mobilisés pour le renouvellement intégral sont insuffisants au regard des besoins exprimés, reconnaît Djibril Fadiga, directeur général adjoint du CCC. Nous envisageons d’accorder une subvention directe sur le prix de vente des intrants afin de permettre à un plus grand nombre de planteurs de les acquérir. » Reste que la régénération du verger, délaissé pendant une décennie, prendra de cinq à dix ans – au mieux.

Compétitivité

Le second point noir de la réforme tient à la sous-évaluation des charges de transport entre le champ et l’usine dans le barème de la filière défini par le CCC. Ce qui réduit la marge des opérateurs. En réaction, plusieurs sociétés de négoce, comme le britannique Armajaro, ont décidé de bouder le cacao ivoirien cette année.

Mais il y a plus grave pour l’économie nationale : ce manque à gagner pourrait avoir un impact désastreux sur les industriels locaux. « Nous rencontrons un problème de compétitivité. Depuis deux ans, mes comptes sont dans le rouge », confirme un patron d’usine

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Une situation qui pourrait constituer un obstacle à l’objectif de transformer 50 % de la récolte localement (contre environ 30 % aujourd’hui, voir schéma ci-contre). Sans compter que la faillite des entrepreneurs ivoiriens aboutirait de facto au renforcement d’un cartel de multinationales – Cargill, Barry Callebaut, Cemoi, Touton et bientôt Olam en tête – déjà largement dominatrices, puisqu’elles contrôlent environ 80 % de la récolte grâce à leurs activités de broyage et d’exportation. « La réforme est en cours, ces questions sont en débat », répond Djibril Fadiga.

Premier producteur mondial de cacao, la Côte d’Ivoire entend aussi peser davantage sur les échanges mondiaux. Pour y parvenir, Abidjan parie sur une politique commune avec son voisin ghanéen, le numéro deux mondial. « Théoriquement, cela devrait être encore plus facile que pour les douze pays de l’Opep [Organisation des pays exportateurs de pétrole, qui représentaient 42 % de la production mondiale de brut en 2011]. À deux, nous maîtrisons environ 60 % de la production globale », explique Djibril Fadiga. La dernière réunion avait été annulée en raison du décès du président ghanéen John Atta Mills. Un prochain round de négociations est prévu en novembre à Accra. Avant même la fin de sa réforme, le cacao ivoirien prépare déjà sa révolution.

Filièce café-cacao : des ex-barons devant la justice ivoirienne

Le procès des hommes qui dirigeaient la filière café-cacao sous Laurent Gbagbo, qui s’est ouvert à la fin de la crise postélectorale en 2011, devrait connaître son épilogue le 30 octobre.

Une vingtaine de patrons des anciens organes de gestion (aujourd’hui dissous) sont poursuivis, notamment pour abus de biens sociaux et détournements de fonds. Le montant des préjudices est estimé à environ 300 milliards de F CFA (environ 460 millions d’euros), évaporés pendant les sept premières années de la libéralisation, selon un rapport d’audit financé par l’Union européenne et publié en 2007.

Le parquet a déjà requis de cinq à vingt ans de prison. Mais certaines irrégularités ou certains vices de procédure dans le montage du dossier à l’instruction pourraient jouer en faveur des prévenus, qui réclament l’acquittement. Quelle qu’en soit l’issue, ce procès des ex-barons de la filière a mis en exergue un système de gestion obscur, qui a sévi durant la dernière décennie, parfois avec la complicité passive de ministres du régime précédent – dont certains sont encore en exercice.

Par Baudelaire Mieu, à Abidjan

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