Abdelghani El Guermaï : « Priorité à la production pharmaceutique marocaine ! »
Pour Abdelghani El Guermaï, le patron des laboratoires Galenica, le Maroc doit diminuer ses importations de médicaments. Il appelle aussi à une banalisation de la prescription de génériques.
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Sur fond de crise internationale et de saturation du marché des génériques, voilà deux ans que le secteur pharmaceutique est à la peine au Maroc. Prix des médicaments, préférence nationale, développement de l’export et perspectives industrielles en Afrique subsaharienne… Le président-fondateur des laboratoires Galenica et de l’Association marocaine de l’industrie pharmaceutique (Amip) revient sur l’actualité du secteur.
Propos recueillis par Fanny Rey
Jeune Afrique : Le marché des génériques étant foisonnant au Maroc, comment Galenica fait-il pour tirer son épingle du jeu ?
Abdelghani El Guermaï : Le Maroc compte 32 laboratoires – filiales à capitaux étrangers, sociétés pharmaceutiques mixtes et sociétés nationales -, qui distribuent les médicaments de 220 firmes. Selon la société de conseil IMS Health, Galenica arrive à la troisième place en nombre d’unités vendues et à la quatrième pour le chiffre d’affaires [environ 26 millions d’euros]. Nos principaux atouts sont notre ancienneté, la qualité et la fiabilité de nos produits, nos prix bas et notre stratégie marketing.
Le marché pharmaceutique est pourtant grippé depuis 2011…
Au Maroc, il y a trop de fabricants de génériques
Effectivement, et Galenica suit la tendance générale de l’industrie pharmaceutique, à savoir un tassement, voire un recul de ses résultats, essentiellement lié à la crise économique qui a contraint les familles à limiter leurs dépenses de santé. Le résultat, aussi, d’une saturation du marché : au Maroc, il y a trop de fabricants de génériques, et le développement de nouveautés coûte très cher. De plus, les importations ont beaucoup progressé depuis cinq ans, au détriment de la production locale.
La baisse des prix est un sujet qui préoccupe tous les acteurs de la chaîne pharmaceutique…
Cette question est devenue un enjeu à la fois politique et commercial. Le prix des médicaments est déterminé par le ministère de la Santé selon deux arrêtés ministériels aujourd’hui inadaptés. En partenariat avec toutes les parties concernées, le ministère a décidé d’instaurer un nouveau mode de calcul plus rationnel pour toutes les spécialités, qu’elles soient produites localement ou importées, qu’il s’agisse de médicaments de marque ou de génériques.
Mais tout n’est pas encore satisfaisant. Les industriels et les pouvoirs publics se sont donc mis d’accord pour faire une étude comparative incluant le Maroc et six pays ayant un circuit pharmaceutique similaire : la France, l’Espagne, le Portugal, la Belgique, la Turquie et l’Arabie saoudite. L’objectif est de faire baisser les prix en garantissant un juste équilibre entre tous les opérateurs.
Les industriels vont-ils transférer une partie de leurs marges vers les pharmaciens d’officine ?
Même si les officinaux, qui se trouvent dans une situation difficile, réclament une compensation, le transfert de marge n’est pas une solution satisfaisante. Le ministère de la Santé et les administrations concernées étudient d’autres mesures.
L’assurance maladie obligatoire [AMO] ne favorise-t-elle pas le développement du marché des médicaments ?
Nous pensions que la situation du marché pharmaceutique allait s’améliorer avec le déploiement de l’AMO, mais elle ne couvre à ce jour que 30 % de la population ! Sa généralisation demandera du temps.
Sur quels leviers comptez-vous pour améliorer la situation ?
Sur la généralisation de l’AMO, sur le développement de nouveaux produits et sur une politique marketing plus efficace. Il faut également que le gouvernement favorise le développement de la production locale et la prescription de génériques. Il n’est pas normal qu’ils ne représentent que 30 % des ventes de médicaments dans les pharmacies, alors que cette proportion est de 70 % à l’hôpital.
Personnellement, je pense que ni l’AMO ni la baisse des prix ne seront suffisantes pour permettre un développement significatif de l’accès aux médicaments et aux soins pour les ménages les moins favorisés. Le gouvernement sera tenu d’instaurer des régimes de gratuité adaptés, à l’instar du régime d’assistance médicale instauré en 2012.
Prônez-vous la préférence nationale ?
Absolument, priorité à la production locale ! Aujourd’hui, le Maroc couvre environ 65 % de ses besoins en médicaments. Il faut diminuer les importations, qui ne se justifient plus. L’industrie pharmaceutique marocaine a soixante ans d’expérience et elle est classée « zone Europe » par l’Organisation mondiale de la santé en ce qui concerne la qualité de sa production.
Le marché marocain étant ralenti, l’heure est plus que jamais au développement des exportations…
Effectivement, mais exporter devient de plus en plus difficile compte tenu de la compétition internationale. Cela dit, vu la qualité des relations historiques, culturelles et politiques qu’entretient le Maroc avec les pays arabes et africains, je suis persuadé que nous allons développer un marché commun malgré les obstacles politiques et la concurrence.
Le dernier Forum pharmaceutique international, qui s’est tenu à Marrakech du 30 mai au 1er juin, a été consacré à la coopération Sud-Sud. Quelles sont les perspectives dans ce domaine ?
C’est la première fois que ce forum, traditionnellement consacré à l’officine, se focalise sur l’industrie. L’idée était d’informer nos confrères africains des contraintes relatives aux projets industriels : aspects réglementaires et financiers, procédures techniques, conditions opératoires, formation des ressources humaines… Une convention-cadre a été signée le 1er juin entre les industriels marocains et leurs homologues subsahariens afin de favoriser l’émergence de projets industriels.
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Concrètement, comment allez-vous procéder ?
Il va falloir réaliser des études de faisabilité pour créer des sites industriels là où ils sont le plus rentables et éviter de fabriquer les mêmes produits partout. C’est pourquoi nous avons créé un Comité africain de l’industrie pharmaceutique, qui compte déjà huit membres [Côte d’Ivoire, Sénégal, Mali, Burkina Faso, Guinée, Gabon, Cameroun et RD Congo] et constitue un trait d’union entre les investisseurs et les pays concernés. Une première réunion de ce comité devrait avoir lieu fin octobre à Casablanca.
Pourquoi, en dehors de Sothema et de sa filiale West Afric Pharma au Sénégal, les laboratoires marocains ne se sont-ils pas implantés au sud du Sahara ?
Il n’est pas évident de s’installer à l’étranger si on ne dispose pas de tous les moyens et garanties nécessaires pour le succès d’une industrie aussi technique et complexe que la pharmacie. Mais au vu de la dynamique enclenchée au forum de Marrakech, je suis certain que de nombreux projets seront réalisés.
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