Avec « Healing Journey », Patricia Essong sur la voix de la guérison
Révélée par un album folk et blues qui rendait hommage au peuple bantou et aux grandes voix africaines, la Camerounaise revient à la musique avec « Healing Journey », un disque cathartique.
Et si la musique pouvait panser les plaies, guérir les blessures de l’âme ? Tel est le point de départ de Healing Journey, l’album de Patricia Essong, sorti en janvier et que l’artiste considère comme un exercice de libération après une période de dépression : un burn-out, la disparition de proches.
Huit ans après Soul of Nü Bantu
Entre complaintes et ballades sombres nappées d’ambiances électroniques, ces dix chansons, co-arrangées par Antoine Drouault-Coussot, marquent une rupture avec les reprises de thèmes bantous et africains d’inspiration folk et blues acoustique, accompagnés de guitares de son album Soul of Nü Bantu (2016). Comme si exorciser en musique la noirceur qui l’a habitée au cours de ces dernières années allait permettre à Patricia Essong de claquer la porte au nez de ses démons. Et de se réinventer, une nouvelle fois.
Écolière de Yaoundé marquée par les multiples déménagements de sa famille, adolescente remportant des concours de danse et courant les kermesses pour chanter en play-back (« mon exutoire ») à l’époque du célèbre télé-crochet Délire, jeune adulte rebelle et fugueuse, étudiante en économie et en droit, travailleuse et jalouse de son indépendance dans un milieu « de prédateurs » pour les femmes… Elle laisse son passé loin derrière elle.
Tracy Chapman et Singuila
Arrivée à Paris avec, dans sa valise, des albums de Tracy Chapman et de Singuila, elle a connu les petits boulots, le mariage et la maternité, puis le retour sur les bancs de l’école pour étudier le management et devenir consultante dans le secteur de la banque et de l’assurance, jusqu’à l’obtention, en 2010, un MBA en stratégie et consulting.
Un jour de janvier 2013, parallèlement à sa carrière et au milieu d’une procédure de divorce, elle décide de revenir à la musique. « J’avais perdu dix kilos, et je réalisais que je n’avais jamais vraiment accepté la personne que j’avais essayé d’être aux différents âges de ma vie : une fille modèle pour mes parents, une travailleuse indépendante, une maman parfaite. »
En quête d’une nouvelle version d’elle-même, elle crée une communauté sur les réseaux sociaux : « Itinéraire d’une working-girl qui rêve de devenir artiste musicienne ». Elle partage cours, chorales, auditions, espoirs et déceptions, et chante bientôt des reprises dans un bar du centre-ville de Paris, les week-ends. Pour Soul of Nü Bantu, elle choisit de « créer du contenu paradigmatique pour la communauté africaine, en puisant dans [ses] propres ressources ».
Miriam Makeba, Uta Bella, Angélique Kidjo
Inspirée par une recherche qu’elle a entreprise sur les peuples bantous, elle choisit des titres de Miriam Makeba, d’Uta Bella, de Brenda Fassie ou de Prince Nico Mbarga, et d’artistes contemporains comme Angélique Kidjo ou Ismaël Lô : « des chansons populaires, que j’ai tenté d’adapter à ma sensibilité ». Elle suit pour cela le coaching vocal de son compatriote Blick Bassy. « Je ne parle ni ne pense dans ces langues [bantoues], mais, par ce biais, je suis revenue à cet héritage. »
Le journaliste Amobé Mévégué lui ouvre la porte des studios de télévision. Elle se produit sur scène pendant trois ans, en Afrique, en Europe et aux États-Unis. « L’album a eu un bel écho et a inspiré de nombreuses personnes, qui, [grâce à] la langue, ont pu se reconnecter aux énergies africaines. C’était ouvrir une voie, [un champ du] possible, plutôt que d’imiter la pop américaine. »
Elle abandonne son métier de consultante, et décide, avec le comédien Emil Abossolom-Bo et avec son guitariste, Indy Dibong, d’adapter au théâtre la biographie de l’icône sud-africaine Miriam Makeba. Une entreprise dans laquelle elle se lance corps et âme, allant jusqu’à s’endetter, mais qui, malgré une quinzaine de dates à Paris et la présence de la fille et de la petite-fille de Miriam Makeba à la dernière représentation – un grand moment pour elle –, ne rencontre pas le succès escompté.
Burn-out et nouveau départ
Ce demi-échec l’affectera jusqu’au burn-out. « Après des années passées à conjuguer ma carrière et [ma vie de] famille, puis un divorce, et en étant seule à porter ce projet, j’en oubliais qui j’étais, ma féminité. Et mon entourage ne pouvait comprendre ce que je traversais. »
C’est au cours d’un séjour en Guadeloupe, au pied du majestueux figuier qui surplombe l’ancienne prison coloniale de Petit-Canal, qu’un déclic se produit. « Comme si cet arbre, témoin centenaire de ces personnes mises en prison et qui a fini par détruire [ce bâtiment] en grandissant sur le sang des esclaves, m’invitait à regarder de nouveau vers le haut. » Elle lui consacre d’ailleurs un morceau de ce nouvel album.
De retour à Paris, elle cherche la paix intérieure et la force de rebondir dans différentes directions. Médecine chinoise, hypnothérapie… « Dans cet itinéraire sur la route du sacré, il me fallait d’abord guérir de beaucoup de choses. L’atelier de méditation d’ancrage dans l’être par la danse a été le véhicule par lequel les choses pouvaient s’exprimer plus facilement. » Une formation qu’elle suivra pendant trois ans, et qu’elle souhaite désormais dispenser.
Reprises de Nina Simone et de Sandra Nkaké
Après avoir fait face à plusieurs décès dans son entourage, dont celui de son père et de sa meilleure amie, Patricia Essong dévoile cette quête douloureuse dans des morceaux sur le deuil ou sur les rendez-vous manqués, et en s’intéressant « au côté ésotérique des choses, à la médecine de l’esprit ». Elle a présenté Healing Journey à Paris, en février, au festival Au fil des Voix, avec des reprises de Nina Simone et de Sandra Nkaké.
Aujourd’hui, la chanteuse aspire à « accepter [son] être dans son entièreté, à revenir vers cette part intime et subtile qu’on ne voit pas, notre ego, notre esprit, nos énergies ». Et s’interroge, au fil de sa démarche musicale, sur la notion d’ancestralité : « Quels étaient les usages de nos ancêtres, comment est-ce que je les applique dans ma réalité… J’ai toujours voulu chanter mon vécu, mon chemin, mes émotions plutôt que ce qui convient. »
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