En Algérie, qu’est-ce qui fait courir Abdelkader Bengrina ?
Président d’El-Bina, un petit parti qui compte deux membres dans le gouvernement, cet islamiste en costume d’alpaga passé maître dans l’art de l’entrisme fourbit ses armes dans la perspective de la présidentielle de décembre 2024.
C’est une anecdote qui raconte la mue de Abdelkader Bengrina, passé de chef d’un petit parti politique à homme de pouvoir. Nous sommes en septembre 2023. Femme d’affaires et présidente de la Confédération générale des entreprises algériennes (CGEA), Saïda Neghza adresse un courrier recommandé au président Abdelmadjid Tebboune pour le mettre en garde contre les dérives du comité interministériel chargé d’auditionner des hommes d’affaires sur de prétendues opérations de surfacturations à l’importation.
Elle y explique avec force détails que les personnes auditionnées par ce panel de cinq ministres ont été lourdement et injustement sanctionnées, ce qui sème la terreur dans le milieu des affaires. Moins de deux heures après que le courrier est parvenu au Palais d’El Mouradia, Saïda Neghza reçoit un coup de fil d’Abdelkader Bengrina. Lequel lui reproche d’avoir interpellé le chef de l’État à propos de ce comité interministériel.
C’est peu dire que Mme Neghza tombe des nues en raccrochant. Non seulement Bengrina a eu le toupet de lui faire la leçon et de lui reprocher sa missive au président, mais il aurait pris connaissance de son contenu avant même son destinataire.
39 sièges à l’Assemblée
Manifestement, l’homme a des amis et des entrées dans le saint des saints du pouvoir. Le fait qu’il soit reçu à plusieurs reprises par le président Tebboune lui confère une place assez singulière dans le paysage politique de la nouvelle Algérie.
Son parti, El-Bina, est mieux loti que la grande majorité des formations politiques – derrière le FLN, le RND et le Front El Moustakbal –, avec 39 sièges à l’Assemblée populaire nationale (APN) et deux membres dans le gouvernement de Nadir Larbaoui. Il s’agit de Fayçal Bentaleb, ministre du Travail, et Yacine Merabi, qui occupe le portefeuille de la Formation et de l’Enseignement professionnels.
Du toupet et des entrées, cet islamiste en costume d’alpaga n’en manque pas. Il donne son avis sur tout, délivre les bons et les mauvais points sur la politique étrangère et la diplomatie, donne des conseils sur le mode de gouvernance, sermonne et menace des pays étrangers et prétend même être dans le secret des dieux.
De l’UGTA au Hamas de Mahfoud Nahnah
Coutumier des provocations loufoques et fantaisistes, parfois à connotation raciste, Abdelkader Bengrina aime faire parler de lui. Son dernier fait d’armes ? C’était au cours de ce mois de février 2024, lorsqu’il se poste sur un tronçon de l’autoroute Est-Ouest, tout près de la frontière avec le Maroc, pour égrener critiques, admonestations et reproches à l’égard des responsables du pays voisin qu’il accuse de tentatives de déstabilisation de l’Algérie.
Âgé de 62 ans, originaire de Ouargla, Bengrina est un adepte de ce que les islamistes algériens appellent entrisme. Diplômé en sciences islamiques, il a commencé sa carrière politique dans les années 1980, d’abord dans le syndicalisme au sein de l’UGTA, le syndicat officiel des travailleurs.
Avec la montée en puissance de la mouvance islamiste après la révolte d’octobre 1988 et l’avènement du pluralisme politique, il adhère au parti Hamas de Mahfoud Nahnah. (rebaptisé ensuite Mouvement de la société pour la paix, MSP). Conservateur pur et dur, ce dernier se présente comme un tenant de l’islamisme modéré, comparé aux radicaux du Front islamique du salut (FIS), dissous en 1992.
Député et ministre du Tourisme en 1997
La carrière d’Abdelkader Bengrina connaît un tournant avec la mise en place, en 1994, du Conseil national de transition (CNT), une assemblée croupion dont les membres sont désignés et cooptés par la présidence de la République, l’armée et les services de renseignements et de sécurité.
Bengrina y siège de 1994 et 1997, et en devient même l’un des vice-présidents. Le CNT est dissous après les élections législatives d’octobre 1997, où son parti obtient 69 sièges. Bengrina est l’un de ces députés. Le pouvoir décide alors d’associer les islamistes dits modérés à la gestion des affaires en nommant des membres du MSP dans le gouvernement d’Ahmed Ouyahia. Abdelkader Bengrina hérite du portefeuille de ministre du Tourisme et de l’Artisanat.
Soutien du président Bouteflika, il entre en dissidence avec son parti d’origine en 2009 en rejoignant une autre formation islamiste rivale, avant de créer, en 2013, son propre parti, le Mouvement El-Bina. Même idéologie sous une différente casquette.
Deuxième à la présidentielle de 2019
Opportuniste, il continue de soutenir le régime de Bouteflika et se déclare même favorable, lors d’une conférence de presse en juillet 2018, à une candidature de celui-ci à un cinquième mandat. Mais lorsque des millions d’Algériens descendent dans la rue à partir du 22 février 2019 pour dénoncer justement ce cinquième mandat, Bengrina rejoint le mouvement Hirak et s’affiche comme l’un des plus ardents pourfendeurs de la Issaba, la bande mafieuse, qui a régné sur le pays pendant deux décennies.
Il part en croisade contre les membres de l’ancien régime, qu’il accuse d’avoir pillé les richesses du pays, soutient l’armée et se porte bien sûr candidat à la présidentielle de décembre 2019, dont Abdelmadjid Tebboune sort vainqueur. Abdelkader Bengrina arrive deuxième avec 17 % des suffrages pour 1,4 million de voix.
Une vraie consécration pour cet ancien syndicaliste qui devient ainsi une figure majeure de la scène politique nationale. À dix mois de la prochaine présidentielle, sur laquelle Abdelmadjid Tebboune ne s’est pas encore prononcé, Bengrina songe-t-il à être à nouveau candidat ? Il ne fait en tout cas aucun doute qu’il en a l’ambition.
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