À Tunis, sur les traces du jeune Kaïs Saïed
Le président tunisien, qui a eu 66 ans le 22 février, est très discret sur sa vie privée ou ses origines familiales. Mais ses fréquentes déambulations dans la capitale et son intérêt pour certains monuments datant des années 1950-1960 livrent des indices intéressants sur sa jeunesse et son parcours.
Lors de différentes discussions avec Kamel Deguiche, le ministre de la Jeunesse et des Sports, le président Kaïs Saïed avait montré son intérêt pour la restauration d’espaces publics et d’installations sportives laissés à l’abandon, comme la piscine du Belvédère ou le complexe olympique d’El-Menzah, dont il suivait de près l’avancement des travaux. L’homme fort de Carthage en avait aussi surpris plus d’un en effectuant, lors d’un après-midi de septembre 2023 consacré à différentes institutions dont la Banque centrale de Tunis, une escapade impromptue autour de la place Pasteur.
« Il était comme en recueillement »
Nul ne se serait douté qu’en traversant d’un bon pas, ce jour-là, la cité Jardins pour aller jusqu’au vendeur de journaux de l’ancienne cité des Aviateurs – rebaptisée cité Mahrajène –, Kaïs Saïed, connu pour son extrême retenue quant à sa vie privée, revenait sur des lieux qui lui étaient chers. Quelques mois plus tôt, il avait encore intrigué ceux qui l’avaient vu descendre d’une voiture banalisée et contempler longuement, en fumant une cigarette, un immeuble situé à l’angle de la rue Alain-Savary et de la rue Mustapha-Sfar. « Il était pensif, comme en recueillement », rapporte une abonnée du Tennis club voisin. Ce n’est pas à l’immeuble que songeait Kaïs Saïed, mais à la coquette maison qu’il a remplacée. Il a grandi dans cette demeure blanche, comme en sucre glace avec un côté un peu rococo, un peu mauresque et un peu art déco ; un mélange architectural tendance des années 1950.
Elle a disparu dans la frénésie urbaine qui met sous tension le centre de la capitale tunisienne, où les terrains constructibles sont très rares et la demande immobilière très forte. Le quartier de la place Pasteur s’est lui même développé à partir de l’expansion urbaine du Tunis colonial, dans l’entre-deux guerres, et reste l’un des plus charmants et préservés que compte une métropole dont l’expansion est dans une verticalité tout en béton. Mais sous les jacarandas, l’atmosphère particulière du quartier est toujours perceptible, avec comme un brin de mélancolie. Comme si les lieux tentaient de se protéger faute de pouvoir retrouver une certaine qualité de vie, celle où justement on savait donner au temps le temps et où on prenait la peine d’observer, d’échanger les uns avec les autres.
Les mutations de Tunis
Ce temps, Kaïs Saïed en a été témoin. Sa volonté de faire restaurer à l’identique la piscine du Belvédère est symbolique d’une affection particulière pour une certaine Tunis qui s’efface. Une sensation difficile à expliquer pour ceux qui ne l’ont pas connue, mais qui bouleverse bien souvent ceux qui étaient enfants dans un pays pris dans la mutation de la modernité, dans les années 1960. D’ailleurs face aux linéaires de revues du buraliste de la cité Mahrajène, le président a renoué avec un geste familier en effleurant les journaux. Un geste d’habitué et de lecteur insatiable. Par contre, poussant la porte d’un magasin d’informatique jouxtant le Tennis club, il a semblé ne pas reconnaître les lieux, de facture assez récente. Comme l’auteur du Guépard, Giuseppe Tomasi de Lampedusa, Kaïs Saïed semble vouloir que « tout change sans que rien ne change », du moins en apparence, comme s’il fallait d’abord préserver ou conserver physiquement ce qu’il y a de beau ou d’agréable dans le souvenir.
C’est également dans cette enfance qu’il faut chercher l’origine du savoir encyclopédique dont fait montre le locataire de Carthage quand il s’agit de préciser l’origine d’un texte ou de citer un auteur, ou encore de raconter les circonstances d’un fait ou d’un autre. Un penchant qu’il a eu tout loisir de satisfaire à la faculté de droit et des sciences politiques, au campus d’El Manar : pour s’y rendre, il longeait la piscine du Belvédère, tout en marbre blanc, empruntait l’avenue de Lesseps, aujourd’hui avenue Jugurtha, où le stade Chedly-Zouiten accueillait les tournois de football, mais aussi des concerts. Comme la piscine, d’ailleurs, qu’il fréquentait quelquefois quand la famille n’allait pas à Beni Khiar, bourgade du bord de mer dont est originaire sa lignée paternelle. Il fréquentait aussi assidûment les bibliothèques et appréciait les discussions érudites et les passes d’armes intellectuelles de ses aînés.
Moncef, son père, était un homme de son temps. Fonctionnaire au ministère des Finances, il a tenu à ce que ses fils Kaïs, Naoufel et Hatem, après des études secondaires au collège Sadiki – l’un des établissements phares de l’enseignement tunisien –, poursuivent comme leur sœur, Rym, des études universitaires. Ce sera sciences pour elle et droit pour Kaïs et Naoufel. Un parcours emprunté par tout une génération née au lendemain de l’indépendance et qui avait l’opportunité de réaliser ses aspirations. Durant ces années-là, Kaïs Saïed, curieux et solitaire, s’est forgé en famille une réputation de rebelle fustigeant les inégalités. Une sensibilité qui s’affinera au fil de sa formation et au contact des différents courants de pensée politiques qui traversaient un campus en ébullition.
Sidi Bou Saïd et La Goulette
Une famille classique qui ne verse pas dans un traditionalisme à outrance. Elle cultive la discrétion mais n’en est pas moins moderne pour l’époque. La Zakia, la mère du président – dont beaucoup racontent la gentillesse et évoquent l’extraordinaire regard bleu –, tout en étant éduquée, veille sur toute la fratrie et règne sur une maison chaleureuse, selon les souvenirs de ses petits-neveux. Elle est descendante des Bellagha, famille d’artisans et de notaires installés dans les environs de Sidi Mahrez, dans la médina de Tunis, et dont certains membres habitaient aussi à Sidi Bou Saïd, en banlieue de la capitale.
Moncef, son époux, avait juste la rue Alain-Savary à traverser pour retrouver ses amis au Tennis club, établissement fondé en 1923 et où il fallait être parrainé. Mais il ne dédaignait pas non plus les longues discussions avec son oncle Hichem, chirurgien pédiatre, qui a été le premier à séparer avec succès des enfants siamois au début des années 1970.
Les sorties du président lèvent parfois le voile sur sa famille. À l’occasion d’une visite à l’Ariana, en première périphérie de Tunis, il avait révélé, face à une place non loin de la mosquée, que son grand-père paternel, Mohamed, avait habité là et avait recueilli des juifs qui avaient fui La Goulette durant la guerre. Au cours de sa campagne électorale, Kaïs Saïed avait aussi relaté comment son père avait protégé la jeune Gisèle Halimi d’une rafle en l’accompagnant à bicyclette jusqu’au lycée Armand-Fallières, actuellement rue de Russie.
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