Au Maroc, la députée française Ersilia Soudais défend le féminisme et la cause palestinienne
Alors que son parti, La France insoumise (LFI), est attaqué en raison de certaines de ses déclarations sur la guerre à Gaza, l’élue francilienne est en déplacement au Maghreb et au Moyen-Orient. Jeune Afrique l’a rencontrée à Rabat.
Du barrage routier de Rafah, dans le sud de Gaza, à Amman, en Jordanie, le déplacement d’Ersilia Soudais s’inscrit dans une tournée que cette élue de La France insoumise (LFI), par ailleurs membre du groupe d’amitié France-Palestine à l’Assemblée nationale, a entrepris au Maghreb et au Moyen-Orient afin d’y aborder la question palestinienne, ainsi que celle du droit des femmes.
L’occasion, pour la députée de Seine-et-Marne – et alors que la guerre fait rage à Gaza – d’examiner « les luttes spécifiques à chaque pays en matière de droit des femmes, et les priorités des acteurs qui luttent pour ces droits ». Au Maroc, où elle s’est rendue cette semaine, elle vient notamment s’enquérir de l’état d’avancement de la réforme du Code de la famille, l’un des chantiers phares engagés sous l’impulsion du roi Mohammed VI.
Quel sort pour l’Unrwa ?
Déclarée persona non grata en Tunisie par les autorités, celle qui a commencé son mandat, en juin 2022, en soutenant Salah Hamouri (avocat franco-palestinien expulsé d’Israël) n’a pas pu non plus fouler le sol de l’État hébreu, où elle devait se rendre en tant que membre d’une mission parlementaire. Cette figure de l’Internationale féministe (cofondée par des militantes sud-américaines et par Sophia Chikirou, également députée LFI) ne s’avoue pas vaincue pour autant.
L’ex-conseillère municipale de Lagny-sur-Marne milite pour un féminisme « décolonial », « par opposition à d’autres formes de féminismes, incarnées par une autre partie de la gauche et que l’on peut qualifier de “féminisme blanc” », argumente-t-elle. À l’Assemblée nationale, Ersilia Soudais a reproché à Stéphane Séjourné, le ministre français des Affaires étrangères, de « ne pas prendre de mesures pour s’assurer que l’Office de secours et des travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine et du Moyen-Orient (Unrwa) survive », alors que plusieurs pays contributeurs ont décidé de cesser de financer cette organisation qui vient en aide aux civils de Gaza. Nous avons évoqué tous ces sujets avec la députée et avec son collaborateur, Amine Snoussi.
Jeune Afrique : Votre tournée a débuté au Moyen-Orient. Qu’est-ce qui a retenu votre attention, dans cette région ?
Ersilia Soudais : Quelques jours avant la Jordanie, nous sommes allés à Rafah, entre l’Égypte et Gaza, avec des parlementaires, pour médiatiser ce qu’il se passe à la frontière. L’organisation [de ce voyage] a pris plusieurs mois. C’était très compliqué d’accéder du côté égyptien. On aurait aimé passer la frontière, mais cela n’a pas été possible. Nous avons constaté à quel point il était difficile de faire parvenir de l’aide humanitaire qui permette aux Gazaouis de survivre. Des files de camions remplis de produits sont bloqués. Israël leur interdit d’entrer [à Gaza].
Quel lien faites-vous entre féminisme et cause palestinienne ?
L’idée est de les relier, et de montrer que ces deux sujets, qu’on a souvent tendance à opposer, ont une dimension intersectionnelle. Je tiens à souligner que certains propos d’Aurore Bergé, notre ministre chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, m’ont particulièrement choquée. Elle a dit vouloir supprimer les subventions aux ONG palestiniennes qui n’ont pas un discours suffisamment clair à l’égard des victimes israéliennes. Or on oublie complètement ce qu’ont pu subir les Palestiniennes.
Pour moi, aucune hiérarchie ou distinction ne doit être faite entre les femmes. Quand on est féministe, on doit être internationaliste et avoir la même exigence pour toutes. On doit aussi être pacifiste, parce que tous les conflits armés ont des conséquences terribles pour les peuples de façon générale, pour les femmes et les enfants en particulier.
Quel est votre programme au Maroc, cette semaine ?
Amine Snoussi : Une visite du Parlement, avec la députée socialiste Salwa Demnati, qui nous a conviés et qui nous expliquera le travail législatif en cours sur la réforme du Code de la famille.
Nous rencontrerons également des représentants d’associations féministes, notamment l’Union de défense des droits des femmes et Kif Mama Kif Baba, une plateforme fondée par Karima Nadir et qui centralise les luttes féministes.
Voyez-vous des enseignements particuliers à tirer de l’expérience marocaine en la matière ?
Amine Snoussi : Dans une approche décoloniale, il est essentiel de ne pas venir en disant : « Voilà où on en est par rapport à vous ». Ce qui nous intéresse, c’est d’apprendre quelles sont les techniques politiques auxquelles recourent des pays dont on a tendance à dire qu’ils sont loin de notre niveau en termes de progrès social.
Cela peut beaucoup influencer et aider la gauche française et européenne. Je pense à la révolution tunisienne et au « dégagisme », que Jean-Luc Mélenchon a ensuite théorisé dans son livre, L’ère du peuple. On parle beaucoup de l’influence de l’Amérique du Sud sur la gauche, mais je pense que nous avons beaucoup à apprendre des techniques et des moyens utilisés ailleurs [dans le monde]. Le décolonialisme n’est pas juste une idée ; c’est un moyen d’appréhender la réalité.
Qu’est-ce qui, en Jordanie, a le plus retenu votre attention ?
Ersilia Soudais : On nous a expliqué que les associations féministes ont beaucoup de mal à agir en ce moment parce qu’elles sont prises entre deux feux. Elles ont besoin de financements, or ces derniers proviennent principalement de pays qui ont des positions qui ne conviennent pas aux militants pro-Palestiniens. En tant que militants décoloniaux, nous voulons combattre cette idée de choc des civilisations. Chez nous, en France, ce mythe se traduit par de l’islamophobie. Là-bas, on l’associe à l’impérialisme occidental.
Amine Snoussi : Un clivage ressort : le fait d’être financées par l’Occident vaut [à ces associations] d’être accusées de servir d’instrument de déstabilisation au profit d’Israël. A contrario, refuser ces financements les expose à être dévorées par les cercles conservateurs. L’avantage que possède le Maroc, c’est qu’il a une tradition progressiste, que le pays s’est lui-même créée, en dehors de l’Occident. Cela nous intéresse, parce que c’est une revendication politique forte. Il y a, au Maroc comme en Tunisie, une culture de lutte contre le conservatisme, qui n’est pas importée d’Occident et qui résulte, plutôt, d’un héritage politique.
Comment tout cela s’articule-t-il avec la ligne politique de LFI ?
Ersilia Soudais : Il n’est pas question d’arriver [dans ces pays] avec un discours déjà construit, d’imposer une façon de faire ou un ordre du jour particulier. Nous sommes là pour écouter. En Jordanie, l’Union des femmes parlementaires arabes, avec laquelle nous avons eu des échanges, a choisi de faire de la Palestine un sujet prioritaire. L’objectif est de travailler ensemble sur ces questions en étant respectueux des spécificités de chacun.
Aujourd’hui, la diplomatie féministe a tendance à imposer une vision porteuse d’une dimension « civilisatrice » que nous rejetons. D’autres projets peuvent voir le jour au cours de ces rencontres. On ne peut jamais les deviner par avance. Tout cela découle des discussions que l’on peut avoir avec nos interlocuteurs.
Amine Snoussi : En Jordanie, les personnalités que nous avons rencontrées ont fait des propositions concrètes. Assez curieusement, il y avait une colère qui s’exprimait contre la France. Cela ne nous a pas empêchés de construire des ponts. D’ailleurs, Ersilia [Soudais] représentait la France, d’une certaine manière. Au cours d’une table ronde, une trentaine de personnes nous ont interrogées sur le dossier de la Palestine.
Après avoir été au plus près de ce qu’il se passe à Gaza, comment jugez-vous la situation sur place ?
Ersilia Soudais : Le fait de me retrouver à Rafah m’a permis de confirmer qu’il y a bien une volonté de génocide, et de mesurer l’urgence extrême de la situation. D’autant que l’Unrwa est sur le point de fermer ses portes après qu’Israël a accusé certains de ses employés, que personne n’a vus, [d’être au service du Hamas]. Plusieurs pays, comme l’Allemagne, ont décidé de mettre fin à leur financement de l’Unrwa. Le problème, c’est qu’il a toujours été compliqué de financer cet organisme. Or, c’est sur lui que repose une bonne partie de l’aide humanitaire, l’aide aux écoles et aux hôpitaux. Cette institution est indispensable à la survie des Palestiniens, et elle permet aux réfugiés de conserver leur droit au retour.
Amine Snoussi : Ce qui fait la spécificité de LFI, c’est que son militantisme en faveur de la Palestine ne date pas des derniers événements. Ersilia [Soudais] est très engagée aux côtés des ONG, aussi bien dans sa conscription qu’à l’échelle nationale.
En Jordanie, on a voulu vraiment comprendre la situation des réfugiés. Ils nous ont confié qu’ils s’intéressaient beaucoup aux vidéos de LFI. Ils ont même demandé à Ersilia de les leur traduire en arabe. On ne peut pas faire fi de cela.
Quelle serait la position de la France si le groupe LFI faisait partie de la majorité ?
Ersilia Soudais : Ce serait une position non-alignée, forcément dictée par le droit international, par le respect des résolutions de l’ONU et par le droit à l’autodétermination du peuple palestinien. Ce qui nous bloque autant, c’est d’être alignés sur les États-Unis, qui apportent un soutien total à Israël quels que soient les actes que commette cet État. Notre idée, c’est d’être indépendants, d’avoir notre propre jugement en fonction des circonstances – raison pour laquelle nous demandons [que la France] sorte de l’Otan.
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