Côte d’Ivoire : les FRCI divisées, le camp Gbagbo se renforce
Le camp Gbagbo n’a pas dit son dernier mot. Il joue la montre en escomptant des renforts de mercenaires, et les Forces républicaines pro-Ouattara ont échoué à maintenir le blocus autour de la résidence du président sortant. Lequel appelle désormais à la « résistance » contre la France.
Attaquer et démentir. Se poser en victime, et accuser un pays étranger, ancienne puissance coloniale, la France, d’agression. Telle est la stratégie dont use le camp Gbagbo, dont les forces contrôlent encore le Plateau et Cocody, à Abidjan.
Pas assez aguerries, pas assez unies, voire même divisées, les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) soutenant le président élu Alassane Dramane Ouattara, n’ont pas réussi à maintenir le blocus autour de la résidence présidentielle de Cocody où se terre le président sortant. Car les différents chefs des ex-Forces nouvelles ne se rangent pas tous automatiquement derrière Guillaume Soro, le Premier ministre de Ouattara.
Chérif Ousmane notamment, est étrangement silencieux. Et puis il y a le mystère Ibrahim Coulibaly, l’un des chefs du « commando invisible », très populaire parmi ses hommes, qui en sapant le moral des FDS à Abobo et Anyama pendant les semaines précédant la bataille d’Abidjan, a permis aux FRCI de remporter des succès foudroyants dans la capitale économique. Problème : on le soupçonne de vouloir s’autoproclamer président et sa rivalité avec Guillaume Soro est de notoriété publique. Toutes ces frictions au sein du camp Ouattara ont une conséquence : laisser une marge de manœuvre inespérée à Laurent Gbagbo, qui n’a pas dit son dernier mot.
La preuve : la bataille d’Abidjan a connu samedi une nouvelle montée en puissance avec l’attaque contre le Golf Hôtel d’Abidjan, quartier général du président reconnu par la communauté internationale, Alassane Ouattara, par les hommes du président sortant Laurent Gbagbo. Son porte-parole, Ahoua Don Mello, a toutefois vivement démenti en soirée auprès de l’AFP que cette attaque a été menée par ses forces : « C’est absolument faux. Il n’y a pas eu d’attaque du Golf », a-t-il dit, qualifiant l’incident d’ « attaque imaginaire ». Des dénégations qui ne trompent personne : des sources sécuritaires font d’ores et déjà état de l’arrivée prochaine à Abidjan de nouveaux renforts de mercenaires angolais et sud-africains, via le Ghana, pour épauler le camp du président sortant.
"L’armée française nous attaque"
« Le président Gbagbo appelle à la résistance contre les bombardements et les agissements de l’armée française en Côte d’Ivoire, car en définitive c’est l’armée française qui nous attaque », a par ailleurs indiqué Ahoua Don Mello. « Nos troupes sont en train de se reconstituer après avoir subi une attaque barbare des rebelles appuyés par l’ONU et Licorne », a-t-il ajouté. Menée après une journée relativement calme à Abidjan, ces tirs contre le Golf Hôtel sont les premiers visant directement l’hôtel où sont retranchés M. Ouattara et son gouvernement depuis le début de la crise postélectorale ivoirienne, il y a plus de quatre mois.
« Nous sommes attaqués à l’arme lourde et légère. Ça fait trembler les murs, le personnel est en train d’être évacué dans les sous-sols », a déclaré un employé de l’hôtel. Selon plusieurs témoins, les tirs ont débuté avant 17h00 locales et GMT et se sont achevés peu après 18h00. Les Forces de défense et de sécurité (FDS, pro-Gbagbo) « sont en train de nous attaquer et nous essayons de les repousser », a indiqué un combattant des Forces républicaines de M. Ouattara.
« Les tirs sont très, très proches. Des snipers ont tiré des rafales de kalachnikov. Les pro-Gbagbo nous attaquent sur tous les fronts », y compris depuis le bord opposé de la Lagune qui longe le Golf Hôtel, a déclaré un résident du Golf Hôtel. « Avant l’attaque du Golf Hôtel, un convoi de soldats FRCI [Forces républicaines, pro-Ouattara] est tombé dans une embuscade alors qu’il sortait de l’hôtel en direction d’Abobo [nord d’Abijan] », a déclaré à l’AFP un responsable militaire du camp Ouattara. « Il y a au moins quatre morts et une dizaine de blessés », a-t-il ajouté. Il n’était pas possible dans l’immédiat de confirmer ce bilan.
"Éviter la résidence de Laurent Gbagbo"
Les Casques bleus défendant le QG de Ouattara ont riposté samedi après cette attaque au mortier, a annoncé la mission de l’ONU en Côte d’Ivoire (Onuci). « C’est venu de l’autre côté de la lagune [au sud de l’hôtel] et de la résidence du président Gbagbo [situé dans le même quartier de Cocody] », a déclaré Hamadoun Touré, porte-parole de l’Onuci. « Conformément à leur mandat de protection de l’hôtel du Golf où se trouve le président Ouattara et son équipe, les Casques bleus ont riposté en ciblant l’origine des tirs venant de l’autre côté de la Lagune. Nous avons volontairement évité la résidence du président Gbagbo », a ajouté le porte-parole.
À Washington, le porte-parole du département d’État a de nouveau condamné samedi les violences perpétrées par les forces de Laurent Gbagbo, qualifiant ses tentatives de négociation de « ruse pour se regrouper et réarmer ». Sur le terrain, une accalmie avait prévalu samedi à Abidjan après de violents combats la veille à la mitrailleuse lourde et à l’arme légère qui ont fait rage dans le périmètre qui englobe la résidence de M. Gbagbo, la RTI et l’école de gendarmerie.
Les troupes de Laurent Gbagbo se battent avec acharnement dans les fiefs qu’elles ont conservés et où elles bénéficient d’une certaine mobilité, selon des témoignages concordants. Les troupes d’Alassane Ouattara essaient de sécuriser le reste de la capitale économique qui souffre d’une grave situation alimentaire.
Massacres dans l’Ouest
L’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch a accusé samedi les forces pro-Ouattara et les forces pro-Gbagbo d’avoir commis des massacres dans l’Ouest ivoirien, affirmant détenir de nouvelles preuves de ces atrocités déjà dénoncées par l’ONU et des ONG. Les forces loyales à Alassane Ouattara ont tué ou violé des centaines de personnes et brûlé des villages, fin mars, dans l’ouest de la Côte d’Ivoire, a affirmé HRW dans un rapport publié à New York.
L’ONG affirme aussi avoir des preuves d’atrocités commises par les forces de Laurent Gbagbo, dont un massacre commis à Bloléquin le 28 mars de plus de cent hommes, femmes et enfants originaires du nord de la Côte d’Ivoire et de pays voisins. Le 29, dix autres de même origine ont été tués à Guiglo et huit Togolais dans un village près de Bloléquin, ajoute HRW.
Dans ce contexte, l’ONU et la force française Licorne ont confirmé leur présence samedi dans le port stratégique d’Abidjan après la levée des sanctions européennes, annoncée vendredi, à l’encontre de deux grands ports de Côte d’Ivoire – Abidjan et San Pedro – ainsi que contre plusieurs entreprises liées notamment au secteur du cacao.
D’importants stocks de fèves de cacao, la principale source de devises du pays, le premier producteur mondial, attendent depuis des semaines de partir à l’exportation. D’autre part, un vol d’Air France est arrivé samedi matin à l’aéroport d’Abidjan, selon une source militaire française, pour qui la reprise des vols commerciaux est « effective ».
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