La griffe ivoirienne Djainin, de la Fashion Week d’Abidjan à celle de New York

On l’a vue portée par le footballeur Djibril Cissé, le top modèle Chérif Douamba, le rappeur Nativ… Près de deux ans après sa création, la marque de prêt-à-porter en jean s’est déjà fait remarquer en Côte d’Ivoire, mais aussi en France, en Suisse et aux États-Unis, où elle devrait faire le show lors de la prochaine New York Fashion Week.

Jean-Yves Kouassi Yébiéyin, cofondateur de Djainin, à Abidjan, en février 2024. À droite, un modèle en jean noir sérigraphié du portrait de l’ex-première dame ivoirienne, Marie-Thérèse Houphouët-Boigny. À gauche, une veste au logo de poisson-scie, symbole de richesse et de prospérité pour les Akans. © Luc-Roland Kouassi pour JA

Jean-Yves Kouassi Yébiéyin, cofondateur de Djainin, à Abidjan, en février 2024. À droite, un modèle en jean noir sérigraphié du portrait de l’ex-première dame ivoirienne, Marie-Thérèse Houphouët-Boigny. À gauche, une veste au logo de poisson-scie, symbole de richesse et de prospérité pour les Akans. © Luc-Roland Kouassi pour JA

Publié le 14 avril 2024 Lecture : 7 minutes.

Le pont Alassane-Ouattara reliant les communes du Plateau et de Cocody à Abidjan, en Côte d’Ivoire, photographié le 18 février 2024. © Gwenn Dubourthoumieu pour JA.
Issu du dossier

Côte d’Ivoire : une nouvelle donne

Six mois après la nomination du gouvernement Beugré Mambé et à dix-huit mois de la présidentielle, pour tous les partis, c’est l’heure des comptes et de la pré-campagne. Ont-ils tiré les leçons des élections locales de septembre 2023 ? Alassane Ouattara va-t-il se présenter ou va-t-il désigner un dauphin ? La candidature de Tidjane Thiam peut-elle rebattre les cartes ? Le parti de Laurent Gbagbo, qui reste inéligible, peut-il remobiliser ses militants et les électeurs ? De l’hypothèse d’un quatrième mandat d’ADO à l’éventuel retour de Guillaume Soro, voyage à travers un paysage politique et un pays en pleine mutation.

Sommaire

Quel est le point commun entre Yopougon – vaste commune populaire d’Abidjan, rendue célèbre, entre autres, par sa bouillonnante rue Princesse et l’héroïne de bande dessinée de Marguerite Abouet, Aya de Yopougon et les capitales de la mode que sont Paris, Londres, Milan, Berlin et New York ? Le fil est ténu, certes, et tient en un mot : Djainin.

Née en Côte d’Ivoire des doigts de fées, la jeune griffe de streetwear abidjanaise est en effet portée jusqu’en Europe et sur les réseaux sociaux par les membres les plus avant-gardistes de la diaspora ivoirienne, parmi lesquels l’ex-footballeur international Djibril Cissé, le mannequin Chérif Douamba et le rappeur helvetico-ivoirien Nativ. Pour son show sur la plateforme musicale allemande Colors Studio, en mars 2023, ce dernier a d’ailleurs choisi la tenue signature de Djainin : un pantalon et une veste en jean noir, sérigraphiés de l’iconique portrait de l’ex-première dame de Côte d’Ivoire, Marie-Thérèse Houphouët-Boigny, aujourd’hui âgée de 93 ans.

la suite après cette publicité

Marie-Thérèse Houphouët-Boigny pour icône

C’est avec cette première collection que Gaston Ouédraogo et Jean-Yves Kouassi Yébiéyin, de jeunes stylistes âgés respectivement de 24 et 26 ans, ont créé Djainin, en novembre 2022. Le premier réside à Londres et le second à Yopougon, près de son atelier. C’est là qu’il a reçu Jeune Afrique par une chaude journée d’Harmattan. Dans la pièce de quelques mètres carrés, où résonnent les parties de basketball improvisées par un groupe d’ados dans cette petite rue du quartier Maroc, les tissus, machines à coudre, paires de ciseaux, etc. C’est ici que Jean-Yves Kouassi Yébiéyin conçoit ses pièces et les fait fabriquer par son couturier en chef, Modeste Aka, secondé par ses apprentis, Éric Doukou et Frédéric Aka.

Mais au fait, pourquoi Djainin ? « En argot nouchi, djainin signifie jean, explique le styliste. Dans les friperies des marchés abidjanais, les vendeurs de jeans hèlent les clients en criant “djainin djainin”. Comme nous voulions travailler avec cette matière, nous avons simplement décidé de nommer notre griffe Djainin. »

Le choix de Marie-Thérèse Houphouët-Boigny pour les sérigraphies n’est pas non plus fortuite. Surnommée la « Jackie Kennedy ivoirienne », elle fut l’icône chic et glamour des années 1960-1970. « Pour la première collection, nous cherchions un personnage féminin fort et représentatif à imprimer sur le jean. Notre choix s’est porté sur madame Marie-Thérèse Houphouët-Boigny parce que c’est une grande dame qui a fait beaucoup pour les femmes ivoiriennes, en créant notamment l’AFI [Association des femmes ivoiriennes] et la fondation N’Daya International, et pour avoir été une icône de la classe et de la beauté ivoirienne. Et aussi parce que ma mère l’aime beaucoup… », raconte le jeune créateur.

La photographie sélectionnée – et que Djainin a été autorisée à utiliser – a été prise à la Maison-Blanche, en 1962, au cours de la visite officielle de Félix Houphouët-Boigny et de son épouse à Washington, lors d’un dîner avec John et Jackie Kennedy.

la suite après cette publicité

Codes du streetwear

Pour le rappeur Nativ, qui est l’un des premiers à propulser la marque sur le devant de la scène, « Djainin est l’emblème d’un nouvel Abidjan. Elle représente une génération qui mêle modernité, tradition et histoire. Une génération qui rêve d’un monde plus grand, mais qui n’oublie pas d’où elle vient. » D’où le choix de l’artiste de s’habiller en Djainin pour son Color show sur la plateforme berlinoise, l’année dernière. « Il était important pour moi de représenter mes deux cultures et de contribuer à donner de la visibilité à une marque “self-made” ivoirienne, explique le rappeur. Et la tenue est tout simplement géniale ! »

Djainin est l’emblème d’un nouvel Abidjan.

NativRappeur helvetico-ivoirien

Nativ est convaincu que le streetwear africain devient un thème fort pour la mode internationale. « Avant, tout le monde regardait vers l’Europe ou l’Amérique, mais depuis le succès des marques d’origine africaine comme Free the Youth [Ghana] ou Daily Paper [marque hollandaise], nous voyons qu’on peut compter sur l’Afrique. Il en va de même dans la musique comme dans la mode. » Le Franco-Ivoirien Jeune Lion, un autre rappeur, qui apprécie Djainin « pour son authenticité et son originalité, qui mettent en valeur la culture africaine », est persuadé que la griffe est promise à un bel avenir.

L’ex-footballeur Djibril Cissé portant la griffe ivoirienne Djainin. © DR

L’ex-footballeur Djibril Cissé portant la griffe ivoirienne Djainin. © DR

la suite après cette publicité

« Djainin est l’une des rares marques ivoiriennes sachant allier les codes modernes du streetwear avec l’histoire culturelle africaine », explique Jean-Luc Konkobo, alias Perfect Black, photographe de mode et directeur artistique pour Djainin. Comme les jeunes de ma génération [2000], j’ai été influencé par le streetwear mais, en même temps, je suis très attaché à ma culture et à mon identité africaines. Donc, travailler sur les visuels de Djainin était un choix logique et une stimulation particulière. »

Première cible : les 20-35 ans

Selon ses fondateurs, Djainin a écoulé plus de 200 pièces de sa première collection aux imprimés iconiques. Les pièces sont vendues entre 30 000 francs CFA et jusqu’à 200 000 F CFA (entre 45 et 305 euros) pour les pièces les plus élaborées. Des prix relativement abordables pour la cible de Djainin, « les jeunes nés entre les années 1990 et 2000, auxquels le streetwear parle beaucoup », précise Jean-Yves Kouassi Yébiéyin. Et d’ajouter en riant : « Bien sûr des personnes plus âgées achètent aussi du Djainin, mais les anciens préfèrent souvent le wax. »

Les deux jeunes associés, Jean-Yves Kouassi Yébiéyin et Gaston Ouédraogo, se sentent complémentaires dans les affaires. Le premier se dit « rétro » et le second « beaucoup plus moderne », comme le souligne Jean-Yves Kouassi Yébiéyin : « Nous fonctionnons vraiment en binôme, Gaston [Ouédraogo] est plus streetwear et actuel. Moi, je m’intéresse beaucoup à la période post-coloniale de la Côte d’Ivoire. Du coup, on se complète et ça forme un bon mélange d’idées pour les créations. Gaston, à Londres, s’occupe du volet international de la marque et de son expansion, tandis que je gère la production et le marketing en terre ivoirienne. » Pour lui, le succès rapide de la marque tient « à la grâce de Dieu, qui a su mettre les bonnes personnes sur [leur] chemin. »

Anna-Alix Koffi, entrepreneuse d’art et cofondatrice d’Aby Concept – concept-store abidjanais, installé dans l’Ivoire Trade Center, qui promeut les créations africaines –, félicitent les jeunes designers pour leur initiative et prodigue quelques conseils. « Il est important de maintenir la créativité, d’avoir de la constance dans la qualité, surtout sur les finitions, et de ne pas négliger les détails. Les vêtements doivent être irréprochables, ils [les cofondateurs de Djainin] doivent se donner la rigueur de ne pas signer une pièce qui ne leur plaît pas. »

BluLab, un nouveau concept-store

Grâce au succès de sa première collection en 2023, Djainin commence à se développer et a lancé une nouvelle collection. « Elle est inspirée de ma culture et de mon héritage akan, explique Jean-Yves Kouassi Yébiéyin. Nous avons voulu retranscrire cette riche culture à travers les pièces. Cette fois-ci, nous avons choisi comme logo et imprimé le poisson-scie, stylisé depuis le XIIIe siècle par les Akans [qui utilisaient une sorte d’amulette à son effigie comme système de poids pour peser l’or]. C’est un symbole de richesse et de prospérité. Nous voulons que chaque collection porte un message sur notre riche héritage culturel. »

L’objectif est de réunir les créateurs de streetwear pour que les amoureux de ce style puissent se rencontrer et échanger, afin d’évoluer ensemble.

Jean-Yves Kouassi YébiéyinStyliste et cofondateur de Djainin

Cette nouvelle collection a été présentée le 5 janvier dernier, par un pop-up suivi d’un défilé organisé dans le tout nouveau magasin et concept-store, BluLab, qui vient d’ouvrir dans la très chic commune de Cocody. Le projet BluLab est né de la volonté des deux associés de Djainin de proposer un espace collaboratif qui soit une vitrine pour les jeunes stylistes ivoiriens en particulier, mais aussi africains. Y sont ainsi exposées les créations d’autres jeunes griffes ivoiriennes, comme Bana Bana et Neere, ainsi que celles des Ghanéens de Free the Youth.

« Il était important pour nous d’avoir un lieu physique où présenter nos marques, hormis les réseaux sociaux. Au départ, nous avons voulu ouvrir une boutique Djainin, confie Jean-Yves Kouassi Yébiéyin. Mais, au vu des difficultés que rencontrent beaucoup de jeunes qui n’ont souvent pas les moyens d’avoir leur propre magasin, nous avons décidé d’ouvrir cet espace collaboratif afin de réunir les créateurs de streetwear et d’organiser des événements pour que les amoureux de ce style puissent se rencontrer et échanger, dans le but d’évoluer ensemble. »

Sur les écrans de Times Square, à New York

Gaston Ouédraogo et Jean-Yves Kouassi Yébiéyin veulent désormais faire voyager leur jeune griffe en Europe et en Amérique, pour la promouvoir davantage. « Grâce à une amie nous avons déjà eu droit à une publicité sur les écrans de Times Square, à New York. Maintenant, nous voulons nous y rendre physiquement afin de participer à des événements, notamment à une exposition sur la mode africaine qui doit se tenir au musée de la mode de New York [au Fashion Institute of Technology, FIT] en septembre 2024 [au moment de la New York Fashion Week]. Mais nous préparons aussi activement l’Abidjan Fashion Week [du 17 au 21 avril 2024]. »

Parallèlement, les deux associés poursuivent leurs études – en communication, pour Gaston Ouédraogo, et en administration des affaires, pour Jean-Yves Kouassi Yébiéyin –, afin, disent-ils, d’être les plus compétents possibles pour gérer leurs jeunes entreprises, Djainin et BluLab.

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Dans le même dossier

 © Montage JA ; Damien Glez

Présidentielle en Côte d’Ivoire : le casting 2025 est ouvert

Alassane Ouattara, lors de la visite d’Antony Blinken à Abdijan, le 23 janvier 2024. © Photo by ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / POOL / AFP

Alassane Ouattara en lice pour un quatrième mandat ?

Robert Beugré Mambé, au palais présidentiel d’Abidjan, le 13 février 2024. © Issouf SANOGO/AFP

En Côte d’Ivoire, Robert Beugré Mambé, un Premier ministre confirmé