Adama Coulibaly, un techno pour choyer les finances ivoiriennes

Accords avec le FMI, eurobonds, négociations avec ses homologues des États du Sahel… Le ministre ivoirien des Finances et du Budget est un rouage essentiel dans la stratégie de développement d’Alassane Ouattara. Rencontre avec Adama Coulibaly.

JAD20240430-PORTRAIT-ECO-ADAMA-COULIBALY Adama Coulibaly,ministre de l’Économie et des Finances à Abidjan, Côte d’Ivoire le 6 mai 2022.
© MONTAGE JA : Olivier pour JA

JAD20240430-PORTRAIT-ECO-ADAMA-COULIBALY Adama Coulibaly,ministre de l’Économie et des Finances à Abidjan, Côte d’Ivoire le 6 mai 2022. © MONTAGE JA : Olivier pour JA

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Publié le 1 mai 2024 Lecture : 6 minutes.

Le pont Alassane-Ouattara reliant les communes du Plateau et de Cocody à Abidjan, en Côte d’Ivoire, photographié le 18 février 2024. © Gwenn Dubourthoumieu pour JA.
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Côte d’Ivoire : une nouvelle donne

Six mois après la nomination du gouvernement Beugré Mambé et à dix-huit mois de la présidentielle, pour tous les partis, c’est l’heure des comptes et de la pré-campagne. Ont-ils tiré les leçons des élections locales de septembre 2023 ? Alassane Ouattara va-t-il se présenter ou va-t-il désigner un dauphin ? La candidature de Tidjane Thiam peut-elle rebattre les cartes ? Le parti de Laurent Gbagbo, qui reste inéligible, peut-il remobiliser ses militants et les électeurs ? De l’hypothèse d’un quatrième mandat d’ADO à l’éventuel retour de Guillaume Soro, voyage à travers un paysage politique et un pays en pleine mutation.

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Du haut de la tour Sciam, le dynamisme du pays s’affiche en majuscule. Depuis son bureau, Adama Coulibaly bénéficie d’une vue imprenable sur la baie de Cocody : le pont à haubans Alassane-Ouattara, ouvert à la circulation en août dernier, un peu plus loin, les grues du chantier de la tour F (qui sera l’une des plus hautes du continent) et, en contrebas, le stade Félix-Houphouët-Boigny, qui s’est offert un lifting XXL à l’occasion de la Coupe d’Afrique des nations (CAN). « Cette compétition a permis de révéler au monde les résultats de treize années de réformes et de transformations », sourit, satisfait, le ministre ivoirien des Finances et du Budget.

De fait, depuis la fin de la crise postélectorale et le début de la présidence d’Alassane Dramane Ouattara (ADO), en avril 2011, le PIB du pays a plus que doublé. Et, selon le FMI, les perspectives sont tout aussi positives, avec des prévisions supérieures à 6 % pour les cinq prochaines années. Des performances suffisantes pour que nombre d’observateurs saluent « un nouveau miracle économique ivoirien » – après celui des années 1960. Le 1er mars, Moody’s a d’ailleurs salué ces belles perspectives en relevant de Ba3 à Ba2 la note de souveraine du pays, qui présente désormais le deuxième meilleur crédit d’Afrique subsaharienne.

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Malgré ces résultats, la Côte d’Ivoire reste marquée par la persistance de disparités socio-économiques et géographiques majeures. L’espérance de vie plafonne à 59 ans et 35 % de la population vit encore au-dessous du seuil national de pauvreté, soit avec moins de 750 francs CFA (1,14 euro) par jour. Un taux de pauvreté qui recule néanmoins puisqu’il était de 55 % au sortir de la crise politico-sécuritaire de 2010-2011.

De l’économiste du Pnud au grand argentier ivoirien

Nommé à la tête du cabinet de la ministre de l’Économie et des Finances en 2014, puis du ministère lui-même, Adama Coulibaly est l’une des chevilles ouvrières de ce tableau contrasté. Titulaire d’un doctorat en sciences économiques obtenu à la Sorbonne, à Paris, ce père de quatre enfants a démarré sa carrière en tant qu’enseignant-chercheur à l’Université Félix-Houphouët-Boigny (UFHB) d’Abidjan et au Centre ivoirien de recherches économiques et sociales (Cires).

En 1990, ce discret économiste, qui se décrit lui-même comme « un technicien », rejoint le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). À Abidjan pour commencer, à New York ensuite (en tant qu’économiste principal), puis au Burundi, en Guinée et en RDC, où il met notamment en œuvre un programme de gestion des Finances publiques. « Cela m’a permis de comprendre l’importance d’établir de bonnes relations avec les partenaires techniques financiers, mais également le rôle croissant du secteur privé dans le financement des économies », confie Adama Coulibaly. Se doutait-il alors qu’il serait amené à occuper les plus hautes fonctions dans son pays ? « Devenir ministre n’est jamais un objectif en soi, mais on peut se préparer à assumer ce type de responsabilités. »

En 2014, la Côte d’Ivoire panse encore ses blessures, mais sa croissance reprend des couleurs. Kaba Nialé, ministre de l’Économie et des Finances entre 2012 et 2016, propose alors à celui qui fut son enseignant à l’université de prendre la tête de son cabinet. Tant et si bien qu’en 2016, lorsque Kaba Nialé prend le portefeuille du Plan et du Développement, Adama Coulibaly lui succède en tant que ministre de l’Économie et des Finances.

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Un poste clé et un défi permanent, alors que les crises se succèdent. « Quand je regarde dans le rétroviseur, la pandémie de Covid-19 a été un marqueur de ces dernières années, raconte le ministre. Nous avons bâti un plan de soutien aux entreprises de 1 700 milliards de F CFA (2,6 milliards d’euros) et avons dû agir pour maintenir le pays à flot. » En 2020, alors que l’économie mondiale prend l’eau, le PIB de la Côte d’Ivoire affiche une croissance de 2 %.

L’épisode Covid-19 à peine passé, l’invasion russe en Ukraine, en février 2022, provoque une inflation record et une hausse des taux d’intérêt. Conséquence, les marchés des capitaux se tendent, rendant presqu’impossible une sortie des pays africains sur le marché obligataire international. « Ce sont des moments difficiles pour un ministre des Finances », témoigne Adama Coulibaly, qui confie pratiquer, chaque matin, une séance de sport à domicile « pour déstresser ».

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Abidjan repousse le mur de la dette

Alors que la Zambie et le Ghana font défaut sur leur dette extérieure, la Côte d’Ivoire tient bon. « Nous avons continué à rencontrer les investisseurs, à Washington, à Londres et à Marrakech, en octobre 2023, lors des assemblées annuelles de la Banque mondiale et du FMI, explique le ministre. Nous avons pu mettre en avant nos réformes. Et ils ont estimé que la Côte d’Ivoire avait le meilleur profil pour être le premier pays d’Afrique subsaharienne à retourner sur les marchés des capitaux. »

Ainsi, le 23 janvier dernier, Abidjan lève 2,6 milliards de dollars en eurobonds, avec un taux moyen de 6,61 %. La Côte d’Ivoire a ouvert le bal, le Bénin et le Kenya ont suivi, repoussant, pour l’instant, le mur de la dette annoncé par les Cassandre de la finance mondiale. D’autant plus que les vents soufflent de nouveau favorablement, avec un taux d’inflation en baisse dans toute la sous-région, se rapprochant du seuil de 3 %.

Au sortir de la crise, l’économie était à genoux. Il fallait adopter un code des investissements qui soit le plus attractif possible. Aujourd’hui, les investisseurs n’ont plus besoin de ça pour venir chez nous.

Adama CoulibalyMinistre des Finances et du Budget

Parallèlement, le FMI n’a jamais débloqué autant de prêts pour le continent. Et la Côte d’Ivoire en profite largement : 3,5 milliards de dollars en mai 2023, puis 1,3 milliard en février 2024. En contrepartie, le pays doit accélérer les réformes. « Notre déficit budgétaire était de 5,2 % en 2023, rappelle Adama Coulibaly. Il faut qu’il redescende à 3 % en 2025, c’est la norme communautaire. »

Pour y parvenir, le ministre des Finances compte actionner le levier fiscal, alors que la Côte d’Ivoire affiche l’un des taux de prélèvement les plus faibles d’Afrique, avec moins de 15 % du PIB. « Au sortir de la crise, l’économie était à genoux. Il fallait prendre des mesures, avoir le code des investissements le plus attractif possible afin d’attirer les fonds, justifie le ministre. Aujourd’hui, les investisseurs n’ont plus besoin de ça pour venir chez nous. »

Proche de Téné Birahima Ouattara

Lors de la formation du gouvernement Beugré Mambé, en octobre 2023, à peine un mois après son élection à la mairie de Dimbokro (ville de 65 000 habitants située dans le centre du pays, à 60 km de Yamoussoukro), Adama Coulibaly cède le portefeuille de l’Économie à Kaba Nialé, mais il récupère celui du Budget, qui était jusqu’alors dirigé par Moussa Sanogo (lequel garde le ministère du Portefeuille de l’État).

Selon nos informations, Adama Coulibaly, réputé proche de Téné Birahima Ouattara, frère du chef de l’État et ministre de la Défense, serait contesté par certains cadres de son ministère, critiqué notamment pour « sa trop grande orthodoxie, sa prudence excessive » et ses atermoiements. Il semble malgré tout conserver toute la confiance de la présidence.

D’autant plus que, sur le plan international, les responsabilités du ministre ne cessent de s’étendre. L’année dernière, il a en effet pris la présidence tournante du G24, groupe d’États qui défend les intérêts des pays en développement face au G7. « Il fallait s’assurer que l’agenda de la lutte contre le changement climatique ne vienne pas supplanter les questions de lutte contre la pauvreté et le développement », explique Adama Coulibaly.

Depuis janvier 2023, il a par ailleurs été désigné, pour deux ans, président du conseil des ministres de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa). Une gageure dans le contexte de défiance de près de la moitié de ses membres dans lequel l’institution se trouve. « Le Burkina Faso, le Mali et le Niger n’ont jamais manifesté leur intention de quitter l’Umoa, ce dont nous nous réjouissons, souligne Adama Coulibaly. Le conseil des ministres est une instance technique, il n’y a vraiment aucun problème lors de nos réunions : les questions politiques se règlent au niveau des chefs d’État. »

En l’occurrence, les responsabilités qu’il assume ne semblent pas faire germer d’ambitions présidentielles dans la tête du ministre des Finances. Alors qu’Alassane Ouattara entretient le flou sur sa candidature en 2025 et que les dauphins potentiels commencent à se manifester, Adama Coulibaly évacue immédiatement la question : « Je fais mon travail, c’est déjà beaucoup ! »

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