Afrique-France : pourquoi un nouvel élan est nécessaire

Envoyé spécial d’Emmanuel Macron en Afrique, Jean-Marie Bockel devra impulser une nouvelle dynamique à la relation franco-africaine. Un véritable défi, à l’heure où Paris n’est plus en odeur de sainteté sur le continent et où Moscou y affirme sa présence.

Rencontre au palais présidentiel d’Abidjan entre le président ivoirien Alassane Ouattara et Jean-Marie Bockel, envoyé personnel du président français Emmanuel Macron pour l’Afrique, le 21 février 2024. © Sia Kambou / AFP

Rencontre au palais présidentiel d’Abidjan entre le président ivoirien Alassane Ouattara et Jean-Marie Bockel, envoyé personnel du président français Emmanuel Macron pour l’Afrique, le 21 février 2024. © Sia Kambou / AFP

Éric Topona Mocnga.
  • Éric Topona Mocnga

    Journaliste à la rédaction Afrique francophone de la Deutsche Welle (média international allemand), à Bonn.

Publié le 2 mars 2024 Lecture : 5 minutes.

« Aujourd’hui, devant vous, je veux signer l’acte de décès de la Françafrique. Je veux tourner la page des pratiques d’un autre temps, d’un mode de relations ambiguës et complaisantes, dont certains, ici comme là-bas, tirent avantage, au détriment de l’intérêt général et du développement. »

C’était le 15 janvier 2008. Jean-Marie Bockel, alors secrétaire d’État à la Coopération et à la Francophonie, recevait les vœux du personnel de son département ministériel. Le ministre du président français Nicolas Sarkozy s’était alors livré à une mise en accusation sans concession d’un système de compromissions et de prédation dans les relations franco-africaines qu’il se proposait de liquider.

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Un vigoureux réquisitoire donc, digne des pourfendeurs les plus résolus de la Françafrique au sein de certaines oppositions radicales en Afrique. Mais la Françafrique n’avait pas dit son dernier mot. À peine le nouveau membre du gouvernement eut-il entamé le déploiement de sa feuille de route qu’il fut dessaisi de son portefeuille.

Après Claude Cheysson, ministre des Relations extérieures de François Mitterrand (1981-1984), dont la volonté de réforme sur ce terrain glissant de la diplomatie française avait été renvoyée aux calendes grecques, la Françafrique venait d’avoir raison de la volonté et des ambitions réformatrices de Jean-Marie Bockel.

Des réformes attendues depuis plusieurs décennies

L’avenir, néanmoins, aura donné raison à celui qui est depuis le 2 février « l’envoyé personnel » d’Emmanuel Macron en Afrique. Il y a d’ailleurs lieu de se demander s’il s’agira, pour les missi dominici du chef de l’État, de sauver les meubles ou d’impulser, enfin, des réformes qui auraient dû l’être depuis plusieurs décennies.

Depuis 2008, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts des relations franco-africaines. La mission de Jean-Marie Bockel intervient dans un contexte de profondes mutations géopolitiques, qui étaient alors inimaginables il y a quinze ans. Qu’ils paraissent lointains les moments d’euphorie François Hollande et les forces françaises étaient accueillis en libérateurs à Bamako en 2013, alors dans la ligne de mire des groupes terroristes islamistes du nord du Mali.

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La mission du nouvel envoyé spécial français sera d’autant moins une sinécure qu’il y a eu des retards considérables dans le train des réformes qui auraient dû être entreprises pour donner un visage nouveau et moderne aux relations avec le continent.

Paradoxalement, les différents exécutifs qui se sont succédé à l’Élysée, de Jacques Chirac jusqu’à Emmanuel Macron, ont quasiment tous utilisé les mots justes pour nommer les choses telles, parlant de voies de la refondation. Tous n’ont eu de cesse de relever, à juste titre, soit à l’occasion de leurs déplacements sur le continent, soit lors des sommets Afrique-France – notamment celui de Montpellier, le 8 octobre 2021 – le profond renouvellement démographique en cours en Afrique.

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Relation asymétrique et sentiment « anti-français »

D’une part, ces mutations générationnelles s’accompagnent d’un regard indigné des peuples africains qui désapprouvent une relation asymétrique entre un État occidental et leurs pays qu’ils estiment pourtant souverains. D’autre part, les exécutifs français ont donné l’impression de préserver les intérêts des classes dirigeantes africaines, coupées du peuple, parce que assurées dans nombre de ces pays de se maintenir au pouvoir grâce, entre autres, à une présence militaire française tout aussi surannée qu’envahissante.

Or, au sein du Parlement français, des rapports d’information richement documentés ont été produits pour alerter les exécutifs au sujet d’un état d’esprit que certaines analyses tiennent pour un « sentiment anti-français ».

Déjà en 2013, Jean-Marie Bockel, alors sénateur, avait cosigné avec le sénateur socialiste Jeanny Lorgeoux un rapport intitulé « L’Afrique est notre avenir ». Dix ans plus tard, en novembre 2023, une mission d’information conduite par les parlementaires Bruno Fuchs (MoDem, membre de la majorité présidentielle) et Michèle Tabarot (Les Républicains, opposition) a publié un rapport dans la même optique. Mais force est de constater que ces missions d’information, une fois leurs conclusions débattues au Parlement, ne donnent pas lieu à des missions de suivi dans leur exécution.

Omniprésence militaire russe

Si, à l’époque, Jean-Marie Bockel arrivait en mission dans d’anciennes colonies françaises exemptes de toute présence militaire russe, la situation a radicalement changé onze ans plus tard. Non seulement les forces russes sont omniprésentes en Afrique, mais, dans certains États comme le Mali ou la République centrafricaine, elles tiennent même des positions hégémoniques parce que l’armée française a plus ou moins plié bagage, parfois sous la pression populaire.

Face à cette nouvelle donne, que fera le chef de l’État français des conclusions que lui remettra en juillet son envoyé personnel ? Emmanuel Macron sera alors à trois ans de la fin de son second et dernier mandat. Contrairement à un discours fort répandu dans l’espace médiatique français comme dans une frange de sa classe politique, ce n’est pas la présence française qui pose problème dans les pays de son ancien pré carré. Il s’agit pour la France d’être présente autrement.

Une « loi immigration » déconnectée des valeurs françaises

Paris a longtemps donné le sentiment d’un profond déphasage entre les valeurs qu’elle promeut et les politiques qu’elle mène à l’endroit des ressortissants de ces pays africains. À titre d’exemple, la récente « loi immigration » a durci de manière drastique les conditions d’études des étudiants étrangers, comme aucune autre loi sur ce registre dans le passé.

Ce pan de cette loi, quoique retoqué par le Conseil constitutionnel, n’a pas manqué de surprendre et d’indigner jusqu’au sein des milieux universitaires hexagonaux. Comment peut-on vouloir relancer la Francophonie pour faire reculer les tropismes russophiles ou sinophiles en Afrique et, dans le même temps, éloigner des espaces de partage des savoirs et de convivialité les futures élites des pays d’Afrique francophone ?

L’incompréhension et l’indignation furent d’autant plus grandes qu’à la fin d’octobre 2023, le chef de l’État français inaugurait la Cité de la langue française dans le château restauré de Villers-Cotterêts (Aisne), son grand projet culturel lancé en 2017 autour de la figure emblématique de l’écrivain Alexandre Dumas (1802-1870).

Dans ce contexte, il paraît impérieux que la présence française en Afrique trouve enfin le chemin de la lisibilité, de la cohérence et d’une nécessaire adéquation avec une Afrique en profonde mutation.

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