Expulsion de l’imam Mahjoubi : « Gérald Darmanin m’a utilisé comme bouc émissaire »

Le 22 février, Mahjoub Mahjoubi était expulsé de France après la diffusion d’une vidéo dans laquelle il tenait des propos jugés « inacceptables » par les autorités françaises. Plaidant le lapsus, l’imam attend maintenant que la justice se prononce sur le recours qu’il a déposé.

L’imam Mahjoub Mahjoubi devant sa mosquée de Bagnols-sur-Cèze, le 20 février 2024. © Alain ROBERT/SIPA

L’imam Mahjoub Mahjoubi devant sa mosquée de Bagnols-sur-Cèze, le 20 février 2024. © Alain ROBERT/SIPA

Publié le 29 février 2024 Lecture : 7 minutes.

L’imam tunisien de la mosquée de Bagnols-sur-Cèze, en France, Mahjoub Mahjoubi, a été arrêté chez lui et renvoyé en Tunisie le 22 février. Il est accusé d’avoir tenu des discours haineux ciblant les femmes, les juifs et critiquant la société française. Des accusations qui s’appuient notamment sur une vidéo dans laquelle l’imam qualifiait le « drapeau tricolore » de « satanique » et sans « aucune valeur auprès d’Allah ».

Résidant en France depuis les années 1980, marié et père de cinq enfants, l’imam était sous le feu des critiques du ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui avait requis la révocation de son titre de séjour. Alors que l’affaire, très médiatisée dans l’Hexagone, a nourri les polémiques politiques, le ministre a notamment souligné que l’expulsion de l’imam démontrait l’efficacité de la toute récente loi française sur l’immigration, sans laquelle une expulsion aussi rapide n’aurait pas été réalisable. Il a également insisté sur la nécessité de faire preuve de fermeté, dénonçant les mots « inacceptables » d’un « imam radical ».

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Pour Jeune Afrique, Mahjoub Mahjoubi revient sur son expulsion et la suite qu’il entend donner à cette affaire.

Jeune Afrique : Après votre expulsion, vous annonciez votre intention de déposer un recours. Cela a-t-il été fait ?

Mahjoub Mahjoubi : Oui, un recours en référé a été déposé le 28 février au soir par mes avocats. Le 1er mars à 13h30, ils seront à Paris devant le juge. La réponse sera rendue approximativement dans les 48 heures suivantes.

Vos défenseurs ont monté un dossier pour contester votre expulsion. Que contient-il ?

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Tout d’abord, le dossier plaide mon innocence. Cela fait quarante ans que je vis en France. Je suis un homme intégré. Je suis imam depuis plus de vingt-cinq ans, les autorités locales m’ont toujours sollicité. Ma vie familiale et professionnelle est remise en question. J’ai cinq enfants, ils sont tous mineurs, ils sont tous français. J’ai deux filles qui sont diabétiques et le plus petit, âgé de 7 ans, a un cancer. Aujourd’hui, une enquête a été ouverte contre moi. La question que je me pose, c’est : comment peut-on ouvrir une enquête judiciaire contre un homme et puis l’expulser au bout de quatre jours, huit heures après son interpellation ?

Votre avocat est-il confiant ?

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On est très confiant sur le fait qu’il y aura gain de cause au premier recours en référé, s’il n’y a pas de pression politique. Mais on est tous conscients que cette pression sera exercée. Dans tous les cas, on sait que le ministère fera appel. Mais on a confiance dans les autres recours qui suivront. On ne va pas lâcher. On va se défendre. J’ai confiance en la justice française.

La pression peut-elle venir de Gérald Darmanin en personne ?

Je pense que M. Darmanin exerce l’autorité du ministre de l’Intérieur, du juge, du procureur. Il faudrait qu’à un moment donné, les gens se réveillent, que les médias se réveillent, que l’opinion publique se réveille. On ne peut pas donner le pouvoir juridique à un ministre. Il est aussi condamnable que tout le monde. Gérald Darmanin m’a utilisé comme bouc émissaire. Je suis le fusible qu’il a fait sauter pour montrer à l’opinion publique que sa loi immigration, soi-disant impeccable, protège les Français. Or non ! Cette loi ne fait que rabaisser le pays des droits de l’homme.

Vous estimez être la vitrine de la loi immigration, promue et vantée par Gérald Darmanin ?

C’est une certitude. Il le dit très bien : « Sans la loi immigration, on n’aurait jamais pu expulser cet imam radical. » Il me décrit comme radical. Cet homme-là, avec tout le respect que j’ai pour l’institution, a détruit une famille. Il n’a pas détruit qu’un homme mais une famille entière, une vie de quarante ans. Il a brisé une famille pour vanter sa loi. À 12h30, je reçois la police ; à 20h30, je suis dans un avion. C’est du jamais-vu.

La loi immigration est un projet dangereux, selon vous ?

Élisabeth Borne a sauté comme un fusible parce qu’elle-même a dit être contre beaucoup d’articles de cette loi. C’est compréhensible. Comment peut-on utiliser une loi censée rendre la République forte et donner le droit aux Français de vivre dignement, quand on prive des Français de leur père ? D’où est-elle forte, cette loi ? Peu importe leur couleur, peu importe leur origine, mes enfants sont Français. Ils détiennent une carte d’identité française. On prive des mineurs de leur père. Sans le Rassemblement national, ce texte ne serait pas passé. Cette loi a été votée en bloc par le RN. Pas par la gauche.

Vous parlez du RN : estimez-vous qu’il y a une récupération politique de leur part ?

Oui, tout à fait. C’est évident, nous sommes à la porte des élections européennes qui auront lieu au mois de juin. Aujourd’hui, tout le monde a peur, donc ils vont essayer de brasser dans l’électorat du RN. Gérald Darmanin a bien surfé sur le terrain du RN. La France que j’aime et que j’ai aimée n’est pas la France où on jette un nom en pâture pour faire plaisir à Mme Le Pen.

Gérald Darmanin a annoncé la création d’un statut de l’imam en France. Qu’en pensez-vous ?

On est dans un pays où l’État est censé être séparé de la religion. Pourtant, on a un ministre de l’Intérieur qui est en train de gérer un culte. Il ne gère pas les autres cultes. Son nez n’est que dans l’islam. Comment peut-il me créer, à moi, un statut d’imam alors que c’est moi qui suis censé savoir ce qui se passe, ce que je dois dire et faire ?

L’imam de Drancy, Hassen Chalghoumi, dit se féliciter de cette décision…

Ce n’est pas un imam ce monsieur. Je le connais très bien personnellement. C’est de la communication. Je n’aime pas critiquer les gens. Je respecte les hommes mais lui, c’est un sketch. Il n’a jamais été imam. C’est une honte pour les musulmans. Alors peut-être que j’ai fait un dérapage linguistique, mais ce monsieur-là, quand on l’entend parler, il faudrait ramener dix traducteurs pour rassembler les mots en puzzle et faire une phrase.

Au-delà de Gérald Darmanin, lancez-vous un appel à Emmanuel Macron ?

J’ai beaucoup de respect pour la fonction publique, j’ai du respect pour M. Darmanin, j’ai énormément de respect pour le statut de président de la République. Oui, je lance un appel au président. Est-ce la France que vous représentez ? Moi, je suis là. Je suis prêt à entendre tous les appels. Ce que je demande, c’est une justice équitable, qu’on me rende mes droits. Mon appel envers lui, c’est de regarder mon cas. Est-ce que je mérite d’être expulsé en quatre jours ? Est-ce que je mérite d’être séparé des miens ?

Vous avez reconnu que vous n’auriez jamais dû tenir les propos qu’on vous reproche…

C’est clair, net et précis : je n’ai jamais insulté le drapeau français, ni la nation française. On parle d’un lapsus et je le répète, c’est une erreur linguistique de ma part. Je parle des drapeaux au pluriel, je ne parle pas d’un drapeau particulier. Je parle des stades, je parle des musulmans dans les stades. C’était ça mon discours. Pensez-vous, avec l’expérience que j’ai, que je vais me filmer moi-même et insulter le drapeau français ?

Vous plaidez la maladresse ?

Je peux le garantir. Mais ce qui est plus grave encore, c’est de me juger à travers un tweet. M’expulser pour un tweet. Je ne me reconnais pas dans cette France. Ce n’est pas la France de la charte des droits de l’homme et des citoyens. Ce n’est pas la France de la révolution. Ce n’est pas la France du droit. Je ne me retrouve pas dans cette France que j’ai tant défendue, que j’ai tant aimée. Ceux qui écoutent mon discours en entier le savent, sans la coupure qui a été montée de toutes pièces par Jean Messiha, parce que ç’a été coupé. Et puis, j’ai formulé des excuses. J’ai demandé pardon à toute personne que j’ai heurtée avec ces paroles-là.

Vous évoquez nommément le polémiste français d’extrême droite Jean Messiha, successivement proche de Marine Le Pen et d’Éric Zemmour, dont vous estimez qu’il a une part de responsabilité dans votre affaire. De quelle façon ?

C’est le responsable. Je le dis, c’est lui le responsable. Et il est fier. Malheureusement, cet homme est porteur de haine. Cet homme ne représente pas la France, il ne représente pas la République. Il ne représente pas la liberté, l’égalité, la fraternité. Ces gens-là, c’est la haine. Ces gens-là veulent qu’il y ait une guerre civile en France. Tout simplement, je le dis et je n’ai pas honte ni peur de le dire. J’en appelle encore au président de la République, et que Gérald Darmanin se raisonne. Tous les soirs il rentre chez lui, il retrouve ses enfants, il retrouve sa famille. Qu’il se rende compte qu’il a brisé une famille, qu’il a éloigné un homme d’un enfant de 7 ans qui est malade. Est-ce qu’il aimerait que ça lui arrive, si un jour ou l’autre il venait à faire un lapsus, ou un dérapage, ou une erreur ? Je suis un être humain, je peux me tromper, volontairement ou involontairement.

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