Loi contre l’obscénité et le blasphème en Algérie : une feuille de vigne très commode
Présentée comme une réponse aux dérives des réseaux sociaux, la réforme du code pénal viserait à « adapter la loi aux évolutions de la société algérienne ». Mais elle opère dans les faits un nouveau tour de vis répressif.
Des peines de prison et des amendes pour toute personne proférant des propos indécents ou commettant des actes contraires à la pudeur dans un lieu public. C’est l’un des amendements les plus controversés contenus dans le projet de loi modifiant et complétant l’ordonnance n° 66-156 portant code pénal que les députés de l’Assemblée populaire nationale (APN) ont adopté, lundi 28 février 2024, après une année de tractations, controverses et débats.
Proposé par la commission des affaires juridiques, administratives et des libertés, l’article 333 bis 8 du projet de loi stipule que « quiconque aura commis un acte ou proféré un acte indécent dans un lieu public sera puni d’un emprisonnement de deux à six mois et d’une amende de 50 000 DZD à 100 000 DZD ou de l’une de ces deux peines seulement ».
Pour le ministre de la Justice et garde des Sceaux, Abderrachid Tabi, qui s’exprimait tout juste après l’adoption du nouveau texte, il s’agit là de la mise en œuvre du programme du président qui comprend une série de nouvelles dispositions visant à « adapter la loi aux évolutions de la société algérienne ».
52,9 % de la population utilisent les réseaux sociaux
Interrogé sur la chaîne Echourouq TV, le député Slimane Rezgani, membre de la commission à l’origine de ce texte, la société, l’école, la famille et la mosquée ont manqué à leur devoir d’éducation au point que « les blasphèmes et les insultes dans les lieux publics soient devenus un véritable phénomène de société ».
« Cette initiative vient combler un vide juridique car les textes de loi existants ne peuvent être appliqués sans dépôt de plainte », a-t-il argumenté, estimant que cette moralisation de la vie publique a été imposée par les nouvelles technologies et les nouveaux comportements sociétaux.
L’explosion des réseaux sociaux y est sans doute pour quelque chose. Publié en janvier de l’année passée, le rapport « Digital 2023 » du cabinet international DataReportal, spécialisé dans les statistiques relatives à l’internet fixe et mobile dans le monde, estimait le nombre d’utilisateurs de médias sociaux en Algérie à 23,95 millions, soit 52,9 % de la population totale.
Stades de foot et liberté d’expression
Tout compte fait, la perspective de criminaliser l’insulte fait sourire beaucoup d’Algériens habitués au langage très fleuri de certaines catégories de leurs compatriotes. « Il va falloir emprisonner des villes entières si l’on se décide à appliquer cette nouvelle loi », ironise le sociologue Nacer Djabi sur son compte Facebook, en référence à l’obscénité ordinaire dans certaines villes et régions du pays.
Il est également de notoriété publique que les tribunes des stades de foot en Algérie sont l’un des derniers espaces de liberté d’expression pour toute une frange de la jeunesse qui exprime crûment ses frustrations politiques, sociales, voire sexuelles. Va-t-on aussi embarquer des milliers de supporteurs prompts à déverser des tombereaux d’injures ou à improviser des chants obscènes à chaque fois qu’ils sont mécontents d’une décision arbitrale ou d’une phase de jeu ?
Pour rappel, en février de l’année passée, le ministère de la Culture avait pris la décision d’interdire la programmation et la diffusion de « chansons vulgaires » lors des manifestations culturelles officielles. Des instructions avaient été envoyées aux télévisions, aux radios, aux festivals et même à l’Office national des droits d’auteur en vue d’interdire les chansons qui « encouragent la violence et le crime » ou dont les paroles sont « contraires aux bonnes mœurs » et peuvent constituer « un outrage public à la pudeur ».
Soraya Mouloudji en première ligne
Cette interdiction faisait suite à ce qui était qualifié de « multiplication des abus immoraux » dans les paroles de chansons algériennes enregistrées et diffusées « anarchiquement » et qui « incitent à la consommation de drogues et encouragent l’émigration clandestine », avait souligné la ministre, Soraya Mouloudji. Les créateurs qui s’avisaient de transgresser les nouvelles directives étaient avertis et pouvaient se voir, entre autres sanctions, retirer leurs cartes d’artistes.
Parmi les nouveautés du texte de loi figurent également des dispositions destinées à combattre l’usurpation d’identité, l’abus de fonction, « les actes de sorcellerie », « le charlatanisme », les actes de mendicité commis dans le cadre de groupes criminels organisés, ainsi que l’exploitation illégale de la voie publique comme parking sans autorisation de l’autorité administrative compétente ou « le rechargement de soldes téléphonique ou d’internet avec la connaissance de ne pas pouvoir les payer ».
Légitime défense sans responsabilité pénale
Sur un autre plan, l’une des dispositions contenues dans le nouveau code pénal, l’article 149 bis 24, autorise désormais « un membre des forces de l’ordre de faire usage de son arme en le dispensant de la responsabilité pénale dans les cas de légitime défense », si lui, un de ses collègues ou un citoyen étaient en danger de mort.
Au chapitre des atteintes aux symboles et aux fonctions, le nouveau texte criminalise désormais l’outrage, l’injure ou la diffamation dirigés, par quelque moyen que ce soit, contre les symboles de la révolution, notamment le martyre, les combattants indépendantistes, ainsi que l’hymne et le drapeau nationaux.
Des dispositions sont prévues également pour criminaliser les agressions contre les enseignants et des imams lors de l’exercice de leurs fonctions. Toutefois, dans un pays où le taux d’occupation carcéral est très élevé, le texte de loi introduit également de nouveaux modes d’exécution des peines, comme le bracelet électronique et le travail d’intérêt général.
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