Laurent Gbagbo, candidat hypothétique, toujours à la recherche de la bonne formule
Trois ans après son retour en Côte d’Ivoire, l’ancien chef de l’État, qui souhaite concourir à la présidentielle de 2025 malgré son inéligibilité, peine à imposer le PPA-CI dans le paysage politique.
Côte d’Ivoire : une nouvelle donne
Six mois après la nomination du gouvernement Beugré Mambé et à dix-huit mois de la présidentielle, pour tous les partis, c’est l’heure des comptes et de la pré-campagne. Ont-ils tiré les leçons des élections locales de septembre 2023 ? Alassane Ouattara va-t-il se présenter ou va-t-il désigner un dauphin ? La candidature de Tidjane Thiam peut-elle rebattre les cartes ? Le parti de Laurent Gbagbo, qui reste inéligible, peut-il remobiliser ses militants et les électeurs ? De l’hypothèse d’un quatrième mandat d’ADO à l’éventuel retour de Guillaume Soro, voyage à travers un paysage politique et un pays en pleine mutation.
Voilà bientôt trois ans qu’il est rentré en Côte d’Ivoire sous les vivats de milliers de ses partisans massés à l’aéroport et sur le bord des routes d’Abidjan. Un retour en fanfare qui s’est transformé, au fil du temps, en une musique bien plus discrète.
Laurent Gbagbo, définitivement acquitté par la Cour pénale internationale (CPI), peine en effet à trouver la bonne formule pour s’imposer de nouveau sur la scène politique ivoirienne, lui qui confiait souhaiter passer la main à une nouvelle génération dès la création de son parti, le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI), en 2021.
Inéligibilité
En réalité, l’ancien président ivoirien, 78 ans, n’a renoncé à rien, et certainement pas au pouvoir. Inéligible en raison de sa condamnation dans l’affaire « du casse de la BCEAO », en 2018, Laurent Gbgabo « accepte d’être le candidat du PPA-CI à l’élection présidentielle de 2025 », a annoncé, ce samedi 9 mars, la formation d’opposition à l’issue d’une réunion de son comité central.
Une date pour la tenue d’une convention ou d’un congrès extraordinaire pour la désignation formelle et solennelle sera fixée ultérieurement. En attendant, le parti mènera « les actions appropriées afin que le PPA-CI obtienne la réinscription du nom du président sur la liste électorale ». Gracié par Alassane Ouattara, mais pas amnistié, l’ancien chef de l’État reste privé de ses droits civiques et politiques.
Outre sa réinscription sur les listes électorales, reste un autre obstacle de taille : convaincre. Alors qu’il était jusqu’à récemment impossible de mesurer son véritable poids politique, le verdict des urnes est tombé en septembre dernier à l’issue des élections locales. Un verdict sévère pour le PPA-CI : deux élus communaux seulement, pas une seule région dans son escarcelle et des alliances avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) pas franchement gagnantes malgré de longues et laborieuses négociations.
« Retard considérable »
Aussitôt rejetés – le PPA-CI dénonçant un scrutin entaché de fraudes –, ces résultats ont tout de même abouti à certains changements au sein de la direction et à une évidence : le parti n’est pas parvenu à s’implanter localement partout dans le pays et fait face à une majorité présidentielle de plus en plus puissante, grignotant des territoires autrefois acquis à l’opposition.
« Nous avons pris un retard considérable. C’est un problème majeur », concède un proche de l’ancien dirigeant ivoirien. Selon lui, ce retard serait en grande partie imputable à « un manque d’animation » de la jeune formation politique fondée après que l’ex-chef de l’État a laissé les clés du Front populaire ivoirien (FPI) à Pascal Affi N’Guessan qui, depuis, a conclu un « partenariat » avec le parti au pouvoir lors des dernières élections locales.
« L’objectif de départ était de couvrir l’ensemble des sous-préfectures du pays, soit 538 », précise l’ancien ministre Sébastien Dano Djédjé, président exécutif du PPA-CI, nommé après la débâcle des locales en remplacement d’Hubert Oulaye. Écarté mais pas évincé, ce dernier occupe désormais le poste de deuxième vice-président du parti, derrière Assoa Adou, un autre vieux compagnon de route de Laurent Gbagbo. Autour de l’ancien chef de l’État, la vieille garde résiste.
« Dans le sud, l’est et l’ouest du pays, il n’y a aucun problème. À ce jour, nous comptons 200 fédérations et nous prévoyons la création d’une centaine supplémentaire », précise Dano Djédjé. Mais ailleurs ? Début mars, une délégation du PPA-CI s’est rendue dans la grande ville de Korhogo, chef-lieu de la région du Poro, un bastion pro-Ouattara. Elle tente, vainement jusque-là, de s’implanter dans le septentrion ivoirien.
« Nous devons redonner confiance, il y a toujours la peur liée à la crise, c’est un handicap », admet le président exécutif. Samedi, Laurent Gbagbo s’est pourtant satisfait de « la mise en place effective de structures de base dans l’ensemble des 33 régions de la Côte d’Ivoire » – qui ne sont pas des fédérations – et a estimé que la priorité devra désormais être donnée à 2025.
« Laurent Gbagbo ne veut pas laisser la place »
« Laurent Gbagbo ne veut pas laisser la place à quelqu’un, il a un ego démesuré », fulmine l’un de ses anciens amis. Dans l’entourage de l’ancien dirigeant, on concède qu’il éprouve des difficultés à s’entourer de « nouveaux visages », après les longues années de prison qui l’ont fragilisé physiquement. « Il conserve auprès de lui une vieille garde mais ce serait faux de dire qu’il ne veut pas faire monter de jeunes dans le parti », estime toutefois Sébastien Dano Djédjé.
Pour preuve, l’élection à la tête de la section des femmes du PPA-CI de la jeune Hortense Louma, l’une des rares à avoir ravi une commune lors des locales, celle de Grand-Zattry. Mais son élection ne n’est pas faite sans casse. Le scrutin a donné lieu à une véritable fronde en interne. Le conseil de discipline de la formation d’opposition a dû suspendre 15 membres de son comité de contrôle, dirigé par l’ancienne vice-présidente de l’Assemblée nationale Marthe Agoh pour « défiance et insubordination ».
Il en a d’ailleurs été question au cours du comité central ce samedi. Laurent Gbagbo, qui avait dénoncé à l’époque des « actes de banditisme inadmissibles », entend reprendre la main sur ce dossier et faire revenir la discipline. « L’opinion s’emballe très vite quand il s’agit de Laurent Gbagbo et de son parti, mais je peux vous garantir que les éclats de voix perçus étaient plus symptomatiques d’une émotion mal contenue que d’autres choses », temporise Hortense Louma.
D’après une source en interne, cet incident serait surtout lié à la difficulté pour Laurent Gbagbo de faire cohabiter ses anciens soutiens et une nouvelle génération incarnée par Hortense Louma. « Je ne trouve pas que le PPA-CI soit un parti où la question générationnelle donne lieu à une problématique particulière. Nous sommes le parti ayant présenté le plus de jeunes leaders aux élections récemment », rappelle cependant l’élue. Et de citer Stéphane Kipré, l’ancien gendre de Gbagbo, homme d’affaires quadragénaire, comme adjoint de Dano Djédjé.
L’image de Simone Gbagbo éconduite reste marquante
Fin février, Alassane Ouattara a accordé la grâce présidentielle à 51 civils et militaires proches de l’ex-président Laurent Gbagbo et de l’ancien Premier ministre Guillaume Soro, condamnés pour des crimes commis lors de la crise postélectorale de 2010-2011 ou pour atteinte à la sûreté de l’État. L’objectif de cette mesure : décrisper le climat politique et renforcer la cohésion nationale dans la foulée de la victoire des Éléphants à la Coupe d’Afrique des nations (CAN) à domicile.
Parmi ces prisonniers, une figure de l’ère Gbagbo : l’ancien général Dogbo Blé, multicondamné dans des affaires liées à la crise postélectorale, notamment celle de l’enlèvement et de l’exécution de quatre ressortissants étrangers, dont les Français Yves Lambelin, dirigeant de Sifca, et Stéphane Frantz Di Rippel, directeur du Novotel d’Abidjan.
Une libération saluée, mais jugée insuffisante par l’ancien président. Laurent Gbagbo demande celle d’autres compagnons de lutte, comme le commandant Anselme Séka Yapo. L’occasion surtout pour lui de réclamer, à nouveau, sa réinscription sur les listes électorales, véritable synonyme de réconciliation, selon ses soutiens.
Dans la majorité présidentielle, le « cas » Laurent Gbagbo n’inquiète guère, officiellement, quand celui du nouveau président du PDCI, Tidjane Thiam, 61 ans, semble bien plus préoccupant. Sauf revirement surprise, il devrait être le candidat de son parti pour la présidentielle de l’an prochain.
« Laurent Gbagbo a été emporté par ses problèmes conjugaux », souffle un membre important de la majorité présidentielle, en référence au retour en Côte d’Ivoire de l’ancien président au bras de sa compagne, Nady Bamba. L’image de Simone Gbagbo, présente à l’aéroport mais éconduite d’un geste de la main, avait marqué ses partisans chez qui l’ex-première dame demeure très populaire. Trois ans après, elle n’a pas été effacée.
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