En Martinique, la demeure d’Édouard Glissant, un écrin pour écrivains
Classée Maison des illustres, cette habitation créole pourrait bien voir le rêve du poète martiniquais se concrétiser. Ce futur lieu de résidence d’artistes accueillera aussi la bibliothèque personnelle et la collection d’art de l’écrivain.
En contrebas de la terrasse qui surplombe la mer des Caraïbes, les vagues se donnent en spectacle et s’échouent sur le Diamant. Cet impressionnant rocher émanant des flots a donné son nom à cette commune du sud de la Martinique où séjourna Édouard Glissant à la fin de sa vie, longtemps dénommée Morne l’Afrique en raison de l’arrivée des Kongos (Africains libres) sur l’île à l’abolition de l’esclavage. C’est ici que l’auteur du Discours antillais écrivit ses derniers ouvrages, sur un petit bureau d’étudiant modeste, et qu’il reçut autour de grandes tablées improvisées l’écrivain Patrick Chamoiseau, le saxophoniste et linguiste Jacques Coursil, le céramiste Victor Anicet, le sculpteur Ernest Breleur ou encore la journaliste et musicienne Mariejosé Alie.
Paris, Bâton-Rouge, New York…
Aucun d’entre eux n’est présent en cette matinée de février chaude et humide. Mais l’habitation créole, qui a reçu le label Maison des illustres du ministère de la Culture en 2022, n’est pas vide. La mémoire du poète et écrivain, disparu en 2011 à l’âge de 82 ans, vit à travers l’œuvre de l’artiste franco-caribéen Julien Creuzet, venu annoncer le pavillon français qu’il occupera à la Biennale de Venise dès avril prochain, devant un parterre de journalistes du monde entier, de la France hexagonale à la Colombie, en passant par l’Allemagne et l’Inde. C’est ainsi que dans ce jardin diamantinois prennent corps l’antillanité et la créolisation, les pensées chères à l’écrivain qui vécut à Paris pour y étudier la philosophie, en Louisiane, à Bâton-Rouge, où il dirigea une chaire de littérature française, à New York, où il fut nommé distinguished professor, et bien sûr en Martinique, où il enseigna la philosophie et créa l’Institut martiniquais d’études (IMA).
Et c’est ainsi que prend également corps son « tout-monde », la matrice de son travail qu’il définissait comme « le monde tel qu’il sera lorsqu’il aura consenti au désir de concevoir les différences sans s’armer contre les différences de l’autre », rappelle Valérie Marin La Meslée dans Le Diamant d’Édouard Glissant (éditions Philippe Rey, 2023).
Si cette ouverture sur le monde n’a pas pris racine dans cette habitation de bois rehaussée sur pilotis qui se dresse face à l’immensité de la mer, elle y trouve pourtant tout son sens. « J’ai toujours eu l’impression que c’était le monde qui venait à cette maison. Penseurs, artistes, ministres y venaient boire le punch avec mon père, autour d’un méchoui, glisse Mathieu Glissant, ému. C’est un lieu secret, isolé et à la fois au centre de beaucoup de choses, de pensées et de gestes. Je n’avais pas vu autant de monde depuis longtemps. C’est un recommencement, une renaissance dans l’histoire de ce lieu. »
Ce jour-là, le fils de l’écrivain annonce officiellement le lancement du Fonds d’art Édouard Glissant qui accompagnera la résidence d’artistes et d’écrivains. Issus de la Caraïbe et de partout ailleurs, ils prendront leurs quartiers ici, au Diamant. Pour mener à bien cette résidence, un comité scientifique composé de 22 membres a été constitué. Parmi eux, Julien Creuzet, donc, l’autrice Estelle Coppolani, l’écrivain malien Manthia Diawara, ou encore le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne.
« Je ne me rendais pas compte de l’impact de la pensée de Glissant dans l’art contemporain, qui est peut-être le domaine où il a le plus d’échos en ce moment, observe Mathieu Glissant. Avec ma mère, Sylvie, nous avons décidé de créer ce fonds d’art pour que cette maison revive sous les couleurs de ce qu’elle a été jadis, c’est-à-dire un lieu d’inspiration, d’écriture, de recueillement, de contemplation, d’échanges et de croisement », détaille le réalisateur de formation qui ambitionne de lancer, dès cette année, des résidences transdisciplinaires. L ‘idée ? Qu’un artiste puisse travailler en même temps qu’un scientifique (spécialiste du sol martiniquais, par exemple), qu’un penseur ou chercheur.
Poétique de la relation
Un lieu où la nouvelle génération cohabitera aussi avec la plus ancienne. « Tous les artistes qui ont accompagné Glissant pendant sa vie, comme Roberto Matta, Antonio Seguí, Wifredo Lam, Agustin Cárdenas, lui ont donné des tableaux, des sculptures. Des œuvres que l’on pourra voir ici », avance Mathieu Glissant. Autant de peintres latino-américains incarnant le concept glissantien de la « poétique de la relation ». Ce projet s’annonce comme la concrétisation d’un vieux rêve posthume, cher au lauréat du prix Renaudot pour La Lézarde en 1958, qui avait mis toutes ses forces dans la création d’un Musée martiniquais des arts des Amériques (M2A2). Cet espace aurait dû voir le jour en 2002, au Lamentin, mais le maire de la commune en a décidé autrement et a vendu la propriété qui devait accueillir l’établissement. Une partie de la collection a depuis été léguée au Mémorial ACTe de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe. « Dans la chambre du bas de la maison du Diamant, sur l’étagère au-dessus du lit, se trouve un cylindre en métal à l’en-tête du musée, c’est dire, sur pièce, que le projet était déjà dessiné », décrit Valérie Marin La Meslée.
Pour mener à bien le projet, l’habitation subira quelques travaux de transformation. Elle sera agrandie aux niveaux des espaces de vie pour plus d’indépendance, et réaménagée afin d’accueillir un atelier, un espace d’exposition et la bibliothèque personnelle d’Édouard Glissant. « On cherche des financements, le mécénat fait partie de la mission du Fonds d’art. Mais, début 2026, on espère arriver à cette étape-là d’aménagement afin d’accueillir les artistes et leur famille, mais aussi le public et les scolaires », se projette Mathieu Glissant. Ce musée nuage, sans murs, tel que l’avait imaginé Glissant, longtemps resté au stade de l’utopie, tutoie à présent la réalité dans cette maison ouverte sur le paysage.
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