En Tunisie, la difficile reconquête de la liberté de la presse
Filatures, interrogatoires, emprisonnements, menaces: des journalistes tunisiens qui ont connu le pire du régime policier Ben Ali, cherchent à reconquérir un véritable pouvoir d’informer en Tunisie, une tâche titanesque dans un domaine où des cas de censure persistent.
La récente révolution tunisienne a brisé le tabou de la propagande du pouvoir qui était au coeur du régime policier de Ben Ali qui aura verrouillé les libertés les plus fondamentales.
"Le plus grand défi des journalistes ici c’est de réinventer leur droit à l’expression car le métier a été tué. Nous sommes dans ce domaine sur une terre qui a été brûlée au napalm", déclare à l’AFP le journaliste Taoufik Ben Brik, 50 ans.
Condamné pour ses articles critiques sur Ben Ali, ce journaliste réputé aura connu entre autre épreuves, les geôles de la prison Siliana, "un lieu préhistorique dans une des régions les plus déshéritées de Tunisie, à 160 km de Tunis" pendant six mois en 2010.
Aujourd’hui, il faut, selon lui, "faire table rase de toutes les Pravda tunisiennes", estimant que "l’internet qui a joué un rôle crucial dans la révolution tunisienne va s’ancrer dans la paysage médiatique, car il y a des gens qui ne veulent plus acheter des journaux", trop longtemps associés au clan Ben Ali.
Désabusé, il confie avoir "un mépris incommensurable" envers tous les journalistes qui étaient les chiens de garde du régime Ben Ali et qui maintenant veulent se mouvoir en gardiens de la révolution". "Ils me disent maintenant qu’ils étaient obligés de le faire, mais on n’a pas besoin de leur mea culpa et les mêmes continuent maintenant à faire de l’intox pour Chichi (le Premier ministre Mohammed Ghannouchi) comme sur TV7".
Outre Taoufik Ben Brik, d’autres journalistes comme Zouheir Makhlouf et Fahem Boukaddous, auront connu les redoutables pressions policières.
La Tunisie compte 1.600 journalistes dont 1.200 sont membres du SNJT (Syndicat national des journalistes tunisiens), selon son président, Jamel Karmaoui.
Ce journaliste, qui affime avoir été "interrogé" plusieurs fois et même "tabassé" par la police politique pour des articles sur la presse en 2005 et 2009, estime qu’il "faut radicalement changer le droit" régissant les médias..
"Pour l’instant, c’est le même paysage médiatique, les mêmes radios et les mêmes télévisions qui existaient sous Ben Ali mais avec cette différence que le débat devient pluriel, des visages interdits peuvent apparaître et s’exprimer librement".
Pourtant, il relève, que la sécurité de la télévision nationale est toujours assurée par le ministère de l’Intérieur, et l’interdiction d’une émission de télévision menée par le journaliste Hichem Snoussi,"qui avait l’audace de vouloir parler de la corruption au sein de la centrale syndicale tunisienne (UGTT)", qui a joué un rôle moteur dans la mobilisation populaire qui a renversé le président Ben Ali.
L’UGTT, selon lui, a proposé "un conseil de protection de la Révolution chargé de défendre notamment les associations", mais les journalistes ne veulent pas y adhérer: "Nous avons besoin d’un véritable contre-pouvoir pour protéger notre liberté".
Outre les radios, les Tunisiens peuvent s’informer via les télévisions publiques TV1 et Canal 21 et deux autres chaînes privées Hannibal TV (dirigé par Laarbi Nasra, suspecté d’être pro-Ben Ali avant d’être relâché) et Nesma TV (dirigé par Nabil Karoui, un indépendant) et l’internet.
Les journalistes tunisiens attendent désormais une réforme du code de la presse et la multiplication prévue de journaux indépendants.
Optimiste, Sadok Hammami, membre de l’ISPI (Institut de la presse et des sciences de l’information), affirme que "la suppression du ministère de la Communication, la dynamisation de la vie politique, le renouveau de la vie intellectuelle sont autant de changements qui affecteront l’environnement de la presse tunisienne".
Zied Heéni, célèbre blogueur, harcelé par l’ancien régime, ne cache pas sa joie: "Aujourd’hui pour la première fois les journalistes de mon journal, Assahafa, ont élu un comité de rédaction". "Ca bouge!".
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