Après la Tunisie, l’Italie implique l’ONU dans la politique migratoire européenne

Toujours décidé à prendre en main la politique européenne de contrôle des flux migratoires, Rome vise en particulier la Tunisie et la Libye, et a réussi à associer l’Organisation internationale pour les migrations à ses mesures. Mais les associations et la justice se font de plus en plus critiques.

La Première ministre italienne, Giorgia Meloni, avec le président tunisien, Kaïs Saïed, lors du sommet Italie-Afrique, à Rome, en Italie, le 29 janvier 2024. © REUTERS/Remo Casilli

La Première ministre italienne, Giorgia Meloni, avec le président tunisien, Kaïs Saïed, lors du sommet Italie-Afrique, à Rome, en Italie, le 29 janvier 2024. © REUTERS/Remo Casilli

Publié le 6 mars 2024 Lecture : 3 minutes.

Les autorités italiennes ne perdent pas de vue les côtes sud de la Méditerranée et veillent sur la Tunisie comme sur du lait sur le feu. L’objectif est d’éviter l’ébullition sociale et une situation de confusion qui rend plus aisées les traversées vers l’Europe. Alors qu’approchent des élections européennes lors desquelles le thème des migrations, porté par les partis d’extrême droite, devrait être au centre des débats, la présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni, qui ne s’était pas ménagée pour arriver à un accord entre Bruxelles et Tunis sur le sujet, semble vouloir élargir encore le cercle des instances concernées.

Ne comptant visiblement plus sur une coopération bilatérale avec Tunis, Rome est maintenant en train d’introduire les organisations onusiennes dans la gestion du processus migratoire. Depuis juin 2023, un financement italien de 6 millions d’euros accordé à l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), reconductible jusqu’en 2025, charge l’organisme onusien des retours volontaires, ou prétendus tels, des réfugiés, principalement subsahariens, présents sur le sol tunisien. Ces fonds ont, à ce jour, permis le retour dans leur pays d’origine de 1 350 migrants, dont 277 femmes et 155 mineurs.

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Toutes ces opérations auraient pu être passées sous silence, n’était l’indignation de l’Association pour les études juridiques sur l’immigration (Asgi) et de l’association Spazio Circolare, qui contestent l’accord entre les autorités italiennes et l’OIM, constatent la détérioration de la situation des migrants en Tunisie et soulignent l’absence de contrôle et de vérifications du caractère volontaire des retours enregistrés et financés par l’Italie. Les deux associations réclament donc la suspension du dernier financement de 3 millions d’euros dont l’usage, selon elles, « porte atteinte aux droits des personnes migrantes, y compris les personnes vulnérables et mineures ».

Les Ivoiriennes particulièrement mal traitées

Les deux associations s’inquiètent en particulier du pourcentage anormalement élevé d’Ivoiriennes parmi les personnes rapatriées, estimant que cette population est particulièrement vulnérable, car souvent victime d’une traite à des fins sexuelles et professionnelles. Des trafics dont la Tunisie est la première destination, les femmes ivoiriennes y subissant exploitation domestique, mauvais traitements, chantages et confiscation de leurs papiers. Selon les militants associatifs, l’OIM ne réalise aucun contrôle des demandes de rapatriement – l’Italie ne l’a d’ailleurs pas demandé –, ce qui vient s’ajouter à une législation tunisienne sur l’asile et la protection des demandeurs d’asile et des réfugiés jugée défaillante.

Les directives de l’ONU, par le biais de son Haut Commissariat pour les réfugiés (UNHCR), précisent pourtant qu’un retour volontaire assisté ne peut être qu’une décision libre, prise en connaissance de cause et délibérément choisie par les concernés eux-mêmes, qui peuvent modifier leur choix à tout moment et en toute liberté.

« Dans ce contexte, nous estimons que le retour ne peut en aucun cas être qualifié de volontaire, car il n’existe pas d’alternatives sûres dans une situation de violence et de danger. Dans ce cas, les rapatriements volontaires reviennent à de véritables expulsions déguisées », expliquent les avocats de l’Asgi. Ils rejoignent les nombreuses déclarations du rapporteur spécial des Nations unies pour les personnes migrantes, qui souligne que « le retour ne peut être qualifié de volontaire s’il n’y a pas d’alternative valable au rapatriement et qu’une contrainte est exercée ».

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Fin janvier dernier, la justice administrative italienne a de son côté reconnu un droit à la protection aux femmes déjà victimes de traite humaine et qui courent encore plus le risque d’être victimes du même délit, qualifié de « re-trafficking ». Elle a aussi reconnu les mêmes droits aux enfants rapatriés et à toutes les personnes reconduites « volontairement » au Congo, au Tchad, au Liberia, en Guinée et ailleurs, reprochant par ailleurs aux autorités italiennes de ne pas s’être assurées des moyens de subsistance des migrants rapatriés et de ne pas avoir pris en compte les Plans individuels de réintégration (Pir) obligatoires, prévus par la réglementation des retours volontaires.

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