Paroles de flics tunisiens

Lui a 45 ans, dont 20 dans la police. Il a encore du mal à croire que « ça y est ! on va avoir un syndicat ». L’autre est un « bleu » de 25 ans traumatisé par ce qu’il vient de vivre. Paroles libérées de flics tunisiens de base de l’après-Ben Ali.

Des policiers, devant le ministère de l’Intérieur, avenue Bourguiba, le 14 janvier 2011 à Tunis. © AFP

Des policiers, devant le ministère de l’Intérieur, avenue Bourguiba, le 14 janvier 2011 à Tunis. © AFP

Publié le 3 février 2011 Lecture : 3 minutes.

Ils osent parler, et beaucoup, mais l’inquiétude est encore là. A la terrasse d’un café, Raouf (ce n’est pas son vrai nom), quadragénaire trapu, regarde sans cesse à droite à gauche et mettra fin à la conversation à l’approche… de collègues. "Pas de carnet sur la table s’il vous plaît", demande-t-il gentiment à un journaliste de l’AFP.

Naïm, frêle gamin au regard bleu pâle, déverse des torrents de paroles. Il en tremble presque physiquement de braver ce qui était il y a peu encore un interdit. "Nous les petits policiers, on pensait dans notre tête mais on devait fermer notre gueule. Le système Ben Ali au quotidien c’était les petits contre les petits", dit-il.

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Lors d’entretiens séparés, tous deux sont en jeans et font le même récit de l’enfer au quotidien : vexations, brimades, suspicion permanente, salaire et vie de misère. Père de trois enfants, Raouf vit dans la banlieue de Tunis. Débuts difficiles avec "un salaire minable qui n’assurait même pas de quoi vivre deux semaines". Naïm, lui, est célibataire. Etudiant en sociologie il est entré à reculons dans la police il y a trois ans "parce qu’il n’y avait pas d’autre boulot pour pouvoir financer les études en parallèle".

"Pas le droit d’aller à la mosquée, ni au bar"

Il a vécu de l’intérieur les dernières semaines de répression de la population. Son pistolet, jure-t-il, il ne l’a pas sorti une fois, et n’a "tapé personne". "Franchement !" répète-t-il en permanence dans un français hésitant.

"On est resté en mission un mois dans le sud pendant les troubles, notamment à Sidi Bouzid". On nous avait promis 5 dinars par jour (2,60 euros), on a eu 100 millimes (5 centimes d’euro). Nous aussi on est victimes du système". Il a d’ailleurs été ovationné la semaine dernière en "demandant pardon" à la foule de manifestants qui faisaient le siège des bureaux du Premier ministre.

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"On était comme tout le peuple tunisien soumis à cette dictature", plaide Raouf, comme en écho.

Sidi Bouzid est la ville du "martyr" Mohamed Bouazizi dont le suicide par le feu le 17 décembre a fait basculer le régime Ben Ali près d’un mois plus tard.

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Naïm aussi a basculé. "J’en étais malade. Avec un certificat médical j’ai quitté la zone pour Tunis. Aujourd’hui je suis sous médicaments".

Sous Ben Ali, "on était surveillés, on n’avait pas le droit ni d’aller à la mosquée ni au bar", explique Raouf qui raconte s’être fait "balancer" par un collègue pour être allé prier dans une mosquée.

"On sentait la peur des gens, poursuit-il, leur haine de Ben Ali et de sa famille, mais on ne pouvait rien faire. Le 14 janvier (fuite du président en Arabie saoudite) c’était un grand soulagement pour moi et tous mes collègues".

Une image de "flic benaliste"

Naïm pense que l’"image de flic benaliste" va lui coller longtemps à la peau. "Ca ne peut pas disparaître comme ça en un jour". Et pourtant il compte rester dans la police pour "changer les mentalités", la "débénaliser".

Son visage s’éclaire d’un large sourire blanc: "je n’ai pas peur, parce que je n’ai rien fait".

Alors que les policiers tentaient encore début janvier d’endiguer les flots de contestataires qui criaient "Ben Ali dégage! Ben Ali game over!", ils étaient, une semaine à peine après la fuite du président, des dizaines d’agents du ministère de l’Intérieur à manifester devant le siège du seul syndicat du pays, l’UGTT.

Cette fois, réclamant la création d’un syndicat, c’était eux qui criaient "Policiers opprimés, policiers sacrifiés!"

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