Les Tunisiennes redoutent le retour des islamistes

Avec la libération de la parole et la multiplication des propositions politiques consécutives à la révolution qui a vu la chute du régime Ben Ali, les Tunisiens, les femmes en particulier, craignent que l’islamisme politique ne se développe et n’entrave certains acquis sociaux.

Une jeune femme tient une bougie lors d’une manifestation à Tunis, le 22 janvier. © AFP

Une jeune femme tient une bougie lors d’une manifestation à Tunis, le 22 janvier. © AFP

Publié le 23 janvier 2011 Lecture : 3 minutes.

"J’ai peur du retour des islamistes, qu’ils nous imposent une culture étrangère, nous disent comment nous habiller" : Sonia ne cache pas ses craintes, comme d’autres Tunisiennes, après la révolution  qui a mis fin au régime de fer, mais laïc, du président Ben Ali.

"Avec la révolution, les droits des femmes, c’est fini!", a ainsi lancé à une journaliste de l’AFP le chef d’une bande d’adolescents, au milieu d’insultes grossières, en plein coeur de Tunis.

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Les Tunisiennes, qui bénéficient de nombreux droits par rapport aux femmes d’autres pays du monde arabo-musulman, ont aujourd’hui peur de voir émerger à nouveau un Islam politique, alors que la religion était auparavant fermement placée sous le contrôle de l’Etat et contrainte à la neutralité.

"J’ai vu beaucoup de barbus aujourd’hui, cela m’a fait peur", raconte Mabrouka, 29 ans, alors que les signes extérieurs de religiosité étaient très rares en Tunisie jusqu’à présent.

Révision du "code du statut personnel" ?

Le régime de Zine el-Abidine Ben Ali, qui a fui vers l’Arabie Saoudite le 14 janvier après un mois de soulèvement populaire sans précédent qui a mis fin à 23 ans de règne sans partage et de corruption, était largement détesté par la population, mais il avait toujours défendu les droits des femmes.

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Le gouvernement de transition formé lundi a promis qu’il garantirait ces acquis, mais beaucoup de femmes s’inquiètent de l’annonce de la légalisation prochaine du parti islamiste interdit Ennahda (Renaissance).

Son dirigeant Rached Ghannouchi, exilé à Londres, a annoncé espérer rentrer "très bientôt" en Tunisie, qu’il a fuie en 1989 après la répression consécutive aux législatives où son parti interdit avait recueilli 17% des suffrages sous une étiquette "indépendante". Il se présente comme un modéré et prend pour modèle les islamistes turcs au pouvoir.

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Les défenseurs de la laïcité en Tunisie craignent surtout une révision du "code du statut personnel", une série de lois progressistes promulguées en 1956 à l’initiative du père de l’indépendance Habib Bourguiba, que Ben Ali a encore renforcé en 1993. Le code interdit notamment la polygamie, n’autorise le mariage que par consentement mutuel des deux époux, abolit le devoir d’obéissance de l’épouse envers son mari, et prévoit le versement d’une "rente" à la femme en cas de divorce.

"Des solutions qui font froid dans le dos"

Ces derniers jours, la fin de la censure et la liberté d’expression dans les médias tunisiens ont parfois donné lieu à des appels au retour au conservatisme, observent les défenseurs des droits des femmes. Un participant à un débat télévisé a ainsi affirmé que la légalisation de la polygamie permettrait d’augmenter la croissance démographique dans le pays. A la radio, un autre estimait que le retour des femmes au foyer permettrait de résoudre le problème du chômage.

"Les femmes voilées pour en finir avec le harcèlement sexuel. C’est ce qu’on entend désormais, dire dans les rues tunisiennes", écrivait samedi le quotidien La Presse, dénonçant "des solutions qui font froid dans le dos" et menacent "des acquis qu’on pensait jusqu’alors irréversibles".

On peut aussi lire les cris d’alarme des féministes sur Facebook, le réseau social qui a joué un rôle important dans l’information sur le soulèvement populaire en Tunisie. "Nous devons rester prudents et protéger les droits des femmes pour lesquels nous avons combattu pendant des décennies", écrit ainsi Dorra Bouzid, féministe et journaliste renommée, qui appelle les nouvelles autorités à augmenter le nombre de femmes au gouvernement et au Parlement et à mettre en place une commission pour surveiller les atteintes aux droits des femmes.

La présidente du mouvement féministe français Ni putes ni soumises (NPNS), Sihem Habchi, a mis en garde vendredi à Montréal contre ce qu’elle appelle la "tentation obscurantiste" en Tunisie.

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