Immigration irrégulière : le rêve américain des Mauritaniens
Depuis deux ans, ils seraient environ 22 000 à être partis tenter leur chance outre-Atlantique. Une vague migratoire mauritanienne sans précèdent qui inquiète Washington et Nouakchott.
Amad est chauffeur de taxi à Nouakchott. Âgé d’à peine 28 ans, il s’est déjà lancé dans une course contre la montre. « Dans quelques mois, j’aurai réuni suffisamment d’argent pour m’installer en Amérique », s’impatiente ce jeune résident de Kouva (quartier populaire de la capitale).
Le voyage tant convoité lui coûtera au total 3,5 millions d’ouguiyas (plus de 80 000 euros). Aux États-Unis, le Nouakchottois dit avoir un frère cadet à Cincinnati, dans l’Ohio, qui a émigré il y a huit ans. Consacrant la majeure partie de son revenu à l’épargne, Amad n’entretient quasiment plus sa berline Toyota, qui commence à se faire vieille. Le temps presse pour le chauffeur de taxi.
Selon Bah Ould Omar, président de l’Organisation mauritanienne de lutte contre la migration négative (OMLMN), c’est précisément au début de l’année 2022 que s’est enclenché cet engouement des Mauritaniens pour l’exil aux États-Unis.
En partance de Nouakchott ou de Nouadhibou
Un phénomène qui génère aussi un marché juteux. À ce jour, 22 000 personnes auraient entrepris le périple. Et le fondateur de l’ONG et ses équipes s’efforcent d’endiguer ce qu’ils qualifient de fléau « étranger » à la société locale.
Aujourd’hui, cette nouvelle route de l’immigration irrégulière concerne surtout les grandes villes comme Nouakchott et Nouadhibou. Mais aussi des communes du Sud, comme Kaédi, Néma, ou la région du Trarza.
Quant aux candidats au départ, il se recrutent parmi des couches très variées de la population, des chômeurs aux officiers et sous-officiers de l’armée. Diplômés, fonctionnaires, salariés, négociants, instituteurs, athlètes… De bouche à oreille ou via les réseaux sociaux ou familiaux, le phénomène va s’amplifiant.
Destinations : le Mexique, le Nicaragua ou la Colombie
« Certains vendent leur maison en laissant leurs proches sans foyer, d’autres cèdent des fonds de commerce très rentables », rapporte Bah Ould Omar. Dans le Sud, des chefs de famille cèdent également leur bétail et leurs terres. Les sommes engrangées permettent d’abord de s’acheter un billet d’avion vers le Mexique, le Nicaragua ou la Colombie, après une escale en Turquie ou en Espagne.
À Nouakchott et à Dakar, une cinquantaines d’agences de voyage proposent des vols à destination des pays d’Amérique du Sud. De là, les candidats à l’immigration entreprennent un voyage encore plus coûteux, et souvent périlleux. Suivant la traditionnelle voie migratoire hispanique, ils avancent jusqu’au fameux mur frontalier érigé dans le sud des États-Unis.
Sur les réseaux sociaux, les tours-opérateurs lancent de vaste campagnes publicitaires. « Avec des passeurs, ces agences profitent du mouvement de masse en vendant l’immigration irrégulière comme un moyen de gagner des millions en quelques mois seulement », accuse Bah Ould Omar.
« L’appel d’air » créé par Joe Biden
Lesdites agences « obligent [les candidats au départ] à acheter un billet aller-retour, même s’ils ne sont pas décidés à rentrer de sitôt au pays, puis revendent le ticket du retour vers la Turquie ou l’Espagne à des agences de tourisme sud-américaines », précise le président de l’OMLMN.
Interpellé sur la question, le député du Frud (opposition) Khally Diallo contextualise : « Il y a deux ans, le président Biden a inscrit la Mauritanie parmi les pays dont les ressortissants peuvent postuler au droit d’asile aux États-Unis. » C’est de là que tout est parti selon l’élu, qui estime qu’« on ne peut retenir une jeunesse sans lui donner la liberté, le divertissement et l’emploi ».
Employant le terme d’« hémorragie sociale », le député associe l’engouement pour l’exil à un échec des politiques publiques, ainsi qu’à l’absence de répartition équitable des richesses.
Le parlementaire avance le chiffre officiel de 16 286 départs en direction de l’Amérique, communiqué par l’ambassade des États-Unis à Nouakchott. Des migrants irréguliers que les autorités américaines ne peuvent refouler systématiquement puisqu’ils déposent des demandes d’asile, insiste Khally Diallo. Qui ajoute que « beaucoup de Mauritaniens sont détenus dans des camps de rétention, certains y croupissent depuis une année parce qu’ils n’ont pas d’adresse à communiquer aux agents d’immigration américains ».
Tensions dans le Midwest
De l’autre côté de l’Atlantique, on estime que l’arrivée de cette nouvelle vague de migrants a presque quadruplé les contingents de la diaspora mauritanienne aux États-Unis. Résultat : le mouvement a suscité de graves tensions communautaires, notamment dans le Midwest. Et certains Mauritaniens installés aux États-Unis et qui ne peuvent plus accueillir de nouveaux arrivants chez eux en sont arrivés à implorer sur les réseaux sociaux leurs concitoyens restés au pays de lutter contre le phénomène.
D’ailleurs, les premiers candidats refoulés commencent à revenir en terre mauritanienne. « J’ai accueilli chez moi certains d’entre eux », assure Khally Diallo, qui plaide pour une intervention des autorités mauritaniennes en faveur des migrants dont certains sont en situation extrêmement urgente aux États-Unis, mais également dans les pays d’Afrique du Nord d’où ils tentent de gagner l’Europe.
À l’Assemblée, le député a récemment interrogé le ministre des Affaires étrangères, Mohamed Salem Ould Merzoug, sur l’existence d’un accord entre Washington et Nouakchott relatif au rapatriement des migrants mauritaniens. Le chef de diplomatie a démenti, mais l’élu de l’opposition ne se dit pas convaincu : « Sans accord préalable, les compatriotes que j’ai reçus n’auraient jamais pu prendre un avion spécialement affrété pour les ramener au pays. »
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