Rabat et Paris (enfin) réunis par le Sahara ? 

Entre le Maroc et la France, les signes de rapprochement se multiplient. Mais pour que le processus avance, une clarification française sur la question du Sahara reste indispensable.

Les ministres des Affaires étrangères français, Stéphane Séjourné (g.), et marocain, Nasser Bourita (dr.), à Rabat le 26 février 2024. © Fadel SENNA / AFP

Les ministres des Affaires étrangères français, Stéphane Séjourné (g.), et marocain, Nasser Bourita (dr.), à Rabat le 26 février 2024. © Fadel SENNA / AFP

Anas Abdoun
  • Anas Abdoun

    Senior Analyst chez Stratas Advisors chargé de l’Afrique et du Moyen-Orient.

Publié le 9 mars 2024 Lecture : 5 minutes.

Ces derniers mois ont été marqués par une série d’événements témoignant du réchauffement des relations diplomatiques entre la France et le Maroc. Dernière illustration en date, la visite à Rabat, les 25 et 26 février, de Stéphane Séjourné, le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères. Ce déplacement est intervenu quelques jours après la visite à Paris des trois sœurs du souverain marocain, invitées à déjeuner à l’Élysée par Brigitte Macron, la première dame française. Une visite hautement symbolique car le palais royal marocain et l’Élysée ont chacun une mainmise totale sur la conduite des affaires diplomatiques de leurs pays respectifs.

Posture d’équilibriste

Déjà, à la mi-octobre – soit peu après la rencontre entre Bruno Le Maire, le ministre français de l’Économie, et Aziz Akhannouch, le Premier ministre marocain, lors des assemblées annuelles du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale, à Marrakech –, Rabat avait désigné sa nouvelle ambassadrice à Paris, Samira Sitaïl, spécialiste en communication de crise connue des élites parisiennes, révélant ainsi les aspirations marocaines. Plus tôt, en septembre, Christophe Lecourtier, l’ambassadeur de France à Rabat, était officiellement reçu par le roi Mohammed VI pour la présentation de ses lettres de créance, après plusieurs mois d’attente.

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Une fin de brouille manifeste, donc. Mais résistera-t-elle sans une clarification ou un changement de position de Paris sur la question du Sahara ? Difficile de croire, dans tous les cas, que cette question n’ait pas fait l’objet de discussions préalables entre les deux parties. Mohammed VI l’a clairement signifié dans un discours  en 2022, « le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international ». Un message visiblement bien reçu par Stéphane Séjourné, à en juger par ses déclarations lors de sa visite à Rabat. Il a notamment souligné que « le Sahara [était] un enjeu existentiel pour le Maroc, [que] la France le [savait] et [qu’] il est désormais temps d’avancer ».

Une partie de la presse marocaine n’a pas manqué de relever la prudence du ministre sur ce sujet sensible, interprétant son défaut d’engagement clair comme le désir de la France de conserver sa traditionnelle posture d’équilibriste entre Rabat et Alger. La prudence de Séjourné pourrait être dictée par une stratégie consistant à donner des garanties aux officiels marocains tout en laissant au président Emmanuel Macron le privilège d’annoncer officiellement la position française lors de sa future visite à Rabat.

Car, en effet, la question n’est plus de savoir si la France modifiera sa position sur le Sahara et si Alger rappellera son ambassadeur en signe de protestation. Il s’agit plutôt de déterminer si Paris reconnaîtra le plan d’autonomie comme étant « la » solution la plus réaliste, ou si, à l’instar des États-Unis et du monde arabe, elle reconnaîtra la souveraineté marocaine sur le Sahara. En raison de la forte animosité entre Rabat et Alger, une « réconciliation » franco-marocaine marquerait également la fin de la politique d’équilibriste de Paris, après plusieurs années de tentative de rapprochement entre la France et l’Algérie.

Eni plutôt que TotalEnergies

Paris a compris que le rapprochement avec l’Algérie qu’espérait tant le président Macron n’aboutirait pas à la réconciliation historique souhaitée. Alger a plutôt procédé à la restauration d’un couplet anti-français dans l’hymne national algérien. Les retombées économiques, prometteuses en apparence, n’ont pas été à la hauteur des attentes de Paris : l’État algérien préfère coopérer avec Eni plutôt que TotalEnergies. Disposant d’un un budget militaire de 22 milliards de dollars, il adresse ses commandes à la Russie, à la Chine ou encore à la Turquie.

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Une relation privilégiée avec Alger aurait été un atout géopolitique pour la France, en proie à une crise diplomatique aiguë avec plusieurs pays du Sahel, dont le Niger, le Mali, et le Burkina Faso. L’expulsion de ses troupes militaires et de ses ambassadeurs de ces pays a signé la fin de l’influence française dans la région, d’autant que l’Algérie elle-même fait face à une crise diplomatique avec le Niger, anéantissant ainsi l’espoir français de la voir jouer un rôle de médiatrice régionale.

Pendant ce temps, le Maroc  prend des initiatives audacieuses pour désenclaver économiquement les pays du Sahel, notamment à travers le développement du port de Dakhla Atlantique, renforçant ainsi son rôle de hub économique régional. Ce dernier coup géopolitique donne raison aux nombreuses voix qui, tant au sein de la classe politique française qu’au Quai d’Orsay ou dans les cercles économiques influents, appelaient à réinvestir la relation avec le Royaume.

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Revitaliser les relations bilatérales

Cette prise de conscience française survient alors que le Maroc enregistre un afflux record d’investissements directs étrangers (IDE) et de dépenses d’investissement public en 2024, avec plus de 34 milliards de dollars de promesses d’IDE en 2023 et 34 milliards de dollars d’investissement public prévu pour 2024 . La situation est d’autant plus pressante pour Paris que l’Espagne lui a ravi la place de premier partenaire commercial du royaume et que les missions économiques allemandes, tout comme l’Agence de coopération internationale allemande, intensifient leur présence et leurs activités au Maroc.

Plus inquiétant encore, les États-Unis sont devenus le premier investisseur au Maroc, dépassant la France. Cette évolution marque un tournant significatif, soulignant le déclin de l’influence économique française dans un pays considéré traditionnellement comme un allié stratégique et un partenaire commercial privilégié, à l’image de l’ambitieux programme de développement de TGV au Maroc, évalué à plus de 2 milliards d’euros, qui risque d’échapper à Alstom.

Face à ces défis, il est devenu impératif pour la France de repenser sa stratégie au Maroc. L’érosion de son partenariat traditionnel au profit de nouveaux acteurs économiques mondiaux appelle à une réévaluation de sa politique étrangère et de ses priorités d’investissement. Reconnaissant le Maroc comme un pivot économique et géopolitique incontournable dans la région, la France semble vouloir revitaliser les relations bilatérales, surmonter les obstacles diplomatiques, et réaffirmer sa présence en tant que partenaire économique de premier plan, comme l’illustre la visite prévue du ministre de l’Économie français, Bruno Le Maire, accompagné des milieux d’affaires de l’Hexagone, en avril prochain.

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