Présidentielle 2024 en Tunisie : le grand flou
La présidentielle tunisienne doit en principe se tenir en octobre prochain. Mais beaucoup d’incertitudes planent encore sur son organisation du fait de contradictions entre la Constitution de 2022 et la loi électorale. Un éclaircissement devient urgent.
La campagne électorale pour la présidentielle de l’automne 2024 est bel et bien engagée. Ceux qui aspirent à se présenter devront se montrer téméraires puisqu’ils doivent composer avec Kaïs Saïed, le président-candidat et, surtout, maître des horloges.
Le locataire de Carthage, qui semble vouloir renouveler son bail sans en avoir toutefois confirmé son intention, vient de mettre fin aux interrogations des médias qui trépignaient d’impatience de connaître les règles édictées pour la course à la présidentielle.
En jeu, évidemment, le scrutin lui-même, mais également le taux de participation. Ce dernier sera à la fois un indicateur et une source de légitimité pour le prochain mandat, sachant qu’aucune des consultations populaires organisées depuis 2021 – du référendum aux deux tours des législatives en passant par les récentes locales – n’a réussi à mobiliser les électeurs.
Les conditions d’éligibilité
Concernant les conditions d’éligibilité, la Constitution de 2022, fondement du système politique imaginé par Kaïs Saïed, dispose – dans sa section première relative au président de la République figurant au chapitre V – que tout Tunisien, non binational, né de parents et grands-parents uniquement tunisiens, âgé de 40 ans au moins et jouissant de ses droits civiques et politiques, peut se présenter aux élections.
Les clauses constitutionnelles sont claires mais l’exercice se complique quand le texte de la loi fondamentale fait référence à la loi électorale, laquelle définit les modalités de dépôt des candidatures auprès de l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), précisant ainsi les conditions des parrainages, par des députés ou des électeurs, nécessaires au candidat.
Cette loi électorale est a priori à amender : en l’état, rien ne fixe officiellement la date du premier et du second tours de la présidentielle. Un décret présidentiel devrait appeler les électeurs aux urnes et indiquer ainsi les étapes à venir.
Mais, déjà, la Constitution et la loi électorale divergent sur l’âge minimum du candidat : 36 ans selon la loi électorale, 40 selon la Constitution. Un point qui pourrait, selon que l’un ou l’autre des textes est appliqué et selon la date des élections, rendre caduque certaines candidatures. Olfa Hamdi, présidente du Parti de la Troisième République, qui a annoncé son intention de se présenter, aura par exemple 36 ans ans en juin.
Pour sortir de cette ambiguïté, le président candidat Kaïs Saïed a pris la peine de rappeler que le texte constitutionnel prévaut sur tout autre. Il semble donc acquis que la loi électorale demeurera telle qu’aux scrutins précédents. Une ligne qui sera difficilement tenable en cas de recours auprès du tribunal administratif.
L’Isie en question
Le rôle des instances chargées de contrôler le bon déroulement de l’élection, et en premier lieu l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), soulève lui aussi des interrogations. Beaucoup estiment que cette dernière, dont les membres sont nommés par le président de la République, est de fait juge et partie, alors qu’elle devrait faire preuve de neutralité et se tenir à égale distance de tous les candidats.
L’Isie n’a d’ailleurs pas examiné un point essentiel : l’élection présidentielle à venir a été fixée par la Constitution de 2014, laquelle a été abrogée et remplacée en 2022. Cette situation pour le moins paradoxale devrait induire un nécessaire amendement de la loi électorale pour préciser la participation de l’opposition et lever les incohérences avec la Constitution de 2022. D’ailleurs, pour rester en conformité avec la Constitution de 2022, la présidentielle aurait dû se tenir en 2027.
Autre problème de taille : l’absence de Cour constitutionnelle. En cas de contradiction ou de nécessité d’une interprétation de la Constitution et de mise en application de la loi électorale, il revient normalement à la Cour constitutionnelle, instituée par la loi fondamentale adoptée en 2022, de trancher. Or cette institution, dont les membres sont essentiellement des magistrats et des juristes désignés directement par le président de la République, n’a toujours pas été mise en place.
Un vide dans l’architecture institutionnelle accentué par les questionnements sur la tenue d’élections transparentes et conformes aux règles démocratiques. La situation de plusieurs figures de l’opposition, soit en prison soit menacées de poursuites, nourrit ces doutes. Un contexte favorable à une forte abstention.
Kaïs Saïed largement en tête dans les sondages
Ces incertitudes et paradoxes se reflètent dans un nouveau sondage publié début mars. Selon le baromètre de Tunisiameters, 75 % des 52 % de mécontents sont des hommes. Tandis que les femmes représentent 90 % des 12 % des sondés se disant satisfaits de leur sort. La cote de confiance du président Kaïs Saïed atteint, elle, 75 %, essentiellement grâce aux femmes et aux hommes de 35 à 54 ans.
C’est en s’appuyant sur cet électorat que le président sortant recueille 23,9 % des intentions de vote au premier tour, ce qui le place en tête. Il est suivi par l’indéboulonnable journaliste Safi Saïd (11,2 %), puis Mondher Zenaidi, ancien ministre sous Ben Ali, avec 7,1 %. Lotfi Mraihi, fondateur de l’Union populaire républicaine (UPR), le talonne avec 6,8 %, suivi d’Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL), avec 3,8 %.
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