Tunisie : au commencement de l’UGTT était Farhat Hached
Tunisie : il était une fois l’UGTT
Fondée en 1946, en première ligne dans la lutte pour l’indépendance, la principale centrale syndicale tunisienne réintègre cette année son siège historique de la place Mohamed-Ali. L’occasion de revenir sur le rôle majeur qu’ont joué, à travers l’histoire, ses dirigeants les plus emblématiques.
TUNISIE : IL ÉTAIT UNE FOIS L’UGTT (1/3) – « Je t’aime ô peuple. » Avec ces mots, Farhat Hached avait touché les Tunisiens au cœur. Depuis, aucune déclaration n’aura autant fédéré et suscité l’émotion. Elle lui était venue spontanément après la bataille d’Enfidha, le 21 novembre 1950. Ce jour-là, une grève dans une ferme tourne mal : les affrontements avec les forces de l’autorité coloniale font 5 victimes, dont 1 femme enceinte, et 60 blessés.
161 personnes sont arrêtées, dont 50 femmes. Deux ans plus tard, le 5 décembre, Farhat Hached tombe à son tour sous les balles de la Main rouge, une organisation clandestine couverte par les services d’action du renseignement français. La Tunisie perdait l’un de ses hommes les plus valeureux, entré au panthéon des héros d’une nation.
Natif d’El-Abbassia, sur l’archipel des Kerkennah, Farhat Hached avait la générosité et la droiture des insulaires. Très jeune, il perd son père pêcheur et suit l’enseignement de l’école franco-arabe de Kellabine jusqu’à son certificat d’études primaires.
Sa curiosité et sa passion pour la lecture vont compenser son niveau d’instruction, tandis qu’il devient convoyeur pour une compagnie de transport à Sousse, capitale du Sahel tunisien.
Farhat Hached claque la porte de la CGT
Il y fait connaissance avec le monde ouvrier et s’intéresse de près à l’action syndicale qu’il intègre en créant un syndicat de base, lié à la Confédération générale du travail (CGT), au sein de la Société du transport du Sahel, où il conduira une première grève en 1937.
Très vite, Farhat Hached évolue dans la sphère syndicale. Il est écouté et prend une stature de plus en plus importante, d’abord locale et régionale, mais perd au bout du compte son emploi avec l’avènement, après l’invasion de la France par les troupes allemandes, du régime de Vichy, qui interdit toute activité syndicale et plus généralement politique.
Avec une Seconde Guerre mondiale qui complexifie les rapports entre la Tunisie et l’autorité coloniale, Farhat Hached ronge son frein. Bénévole auprès du Croissant rouge, il attendra jusqu’en 1943 pour retrouver un emploi de fonctionnaire dans les travaux publics à Sfax, la ville qui fait pendant à Kerkennah sur le continent.
Farhat Hached est en milieu connu : il observe et n’admet pas les inégalités de traitement entre ouvriers tunisiens et français. À l’issue du congrès de l’Union départementale en 1944, il claque la porte d’une CGT incapable de répondre à ces problématiques et fonde avec des camarades, à l’automne 1944, un syndicat tunisien automne.
Ce sera la fédération des syndicats libres du Sud basée à Sfax, qui va revendiquer, dans un souci de justice sociale, l’égalité entre travailleurs. Un an plus tard, elle s’étendra à tout le pays avec la création de l’Union des syndicats indépendants du Nord.
Rapprochement avec le Néo-Destour de Bourguiba
La fusion des deux antennes, lors du Congrès constitutif de 1946, donnera naissance, le 20 janvier, à l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Une centrale puissante, sur laquelle les Tunisiens pourront compter. Pour assoir le mouvement, Farhat Hached l’ouvre aux forces emmenées par Ahmed Tlili, de la Fédération générale tunisienne du travail, laquelle est essentiellement composée de travailleurs du secteur minier.
Le mouvement syndical devient incontournable et prend une envergure nationale, dépasse les objectifs d’une centrale forte et devient une composante de la lutte nationale avec le rapprochement de Farhat Hached avec les dirigeants du Néo-Destour, dont Habib Bourguiba est l’un des chefs de file.
La joie éprouvée par Farhat Hached se lit dans l’immense sourire et le regard pétillant qui éclairent son visage sur les photographies qui témoignent de ce jour où il est devenu secrétaire général de l’UGTT, et où, en même temps, il devenait un élément perturbateur, donc une cible à éliminer.
Membre du bureau exécutif de la CISL
La personnalité de Farhat Hached en a fait un leader tout désigné qui a su mettre à profit l’influent mouvement syndical international pour faire des aspirations d’indépendance d’un peuple une cause soutenue à travers le monde. D’abord par la Fédération syndicale mondiale, puis avec la puissante Confédération internationale des syndicats libres (CISL) dont il sera membre du bureau exécutif en 1951.
Respecté, celui qui a aussi fondé une famille avec Om El Khir, son épouse, avec qui il a quatre enfants, est un chef incontestable qui réunit lutte syndicale et lutte nationale dans une vision émancipatrice.
L’essentiel pour Hached, qui pouvait s’exprimer sans contraintes du fait de la loi sur la liberté syndicale, était les 120 00 adhérents de l’UGTT qui lui faisaient confiance pour être le vis-à-vis des autorités et faire aboutir des revendications sociales, qui étaient aussi politiques.
La situation se tend en 1952 avec les décisions du nouveau résident, Jean de Hauteclocque, qui exige des démissions de ministres, fait arrêter des hommes politiques, établit un couvre-feu et se comporte comme si aucune négociation sur l’autonomie de la Tunisie n’était en cours.
À la tribune de l’ONU
Mais Hached donne de la voix et elle porte au-delà des frontières : celui qui a sensibilisé l’Afrique du Nord au syndicalisme prend son bâton de pèlerin pour faire connaître la cause nationale tunisienne jusqu’aux États-Unis. Avec l’appui des puissants syndicats américains et du Parti démocrate, il expose devant le Conseil de sécurité de l’ONU la situation du protectorat en Tunisie et au Maroc.
Son plaidoyer est un réquisitoire sans faille qui recueille un soutien international. En l’absence des leaders du Néo-Destour, Habib Bourguiba et Salah Ben Youssef, Farhat Hached prend naturellement, à son retour à Tunis, la direction de la résistance politique et de la lutte contre des autorités coloniales considérées comme une force d’occupation.
Cette série d’actions scellent la position de l’UGTT à l’international et rendent indéfectible le lien entre la centrale syndicale et la politique tunisienne : les attributions de l’UGTT débordent celles d’un syndicat classique et inscrivent la centrale dans l’ADN tunisien.
Jean de Hautecloque propose de « viser à la tête »
Farhat Hached indispose une France empêtrée dans son crépuscule colonial. Sa détermination et son aura populaire signeront son arrêt de mort. De Hautecloque assure au quai d’Orsay que « seule l’annihilation de Farhat Hached permettra d’avoir le calme » et propose de… « viser à la tête ».
En quelques semaines tout se joue. Le dernier acte se met en place avec la mise sous surveillance des faits et gestes du syndicaliste, puis l’intervention de la milice occulte des services secrets français qui débutera par des envois de menaces, suivis d’une tentative d’incendie du domicile de Hached à Radès.
L’ordre est finalement donné de procéder à son exécution. Le 5 décembre 1952 au matin, Farhat Hached quitte Radès pour Tunis. Sa voiture essuie des tirs de mitraillette. Malgré ses blessures à la main et à l’épaule, il s’en extirpe, trouve refuge dans un camion de passage quand un automobiliste propose de le conduire plus rapidement. Hached venait de rencontrer son assassin : il sera retrouvé mort une heure plus tard une balle dans la tête.
La colonisation française ne se relèvera pas de cet assassinat, ni des actions perpétrées ensuite par la Main rouge dans différents pays. Les réactions sont immédiates et dépassent le cadre de la Tunisie : des manifestations d’envergure embrasent Stockholm, Karachi, Bruxelles, Milan et Le Caire, tandis qu’à Casablanca, la marche protestataire tourne à l’émeute durant deux jours.
Depuis, la mémoire de Hached a été veillée par sa famille – qui ne cesse de réclamer à la France toute la vérité sur sa mort – et par une UGTT qui sait que l’attachement des Tunisiens à Farhat Hached lui permet, quelles qu’aient pu être ses errances politiques à certaines périodes, de conserver un rôle à part.
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Tunisie : il était une fois l’UGTT
Fondée en 1946, en première ligne dans la lutte pour l’indépendance, la principale centrale syndicale tunisienne réintègre cette année son siège historique de la place Mohamed-Ali. L’occasion de revenir sur le rôle majeur qu’ont joué, à travers l’histoire, ses dirigeants les plus emblématiques.
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