Houcine Abassi au siège de l’UGTT, le 10 décembre 2012, à Tunis. © Montage JA; Ons Abid pour JA
Houcine Abassi au siège de l’UGTT, le 10 décembre 2012, à Tunis. © Montage JA; Ons Abid pour JA

UGTT : Houcine Abassi, l’homme du prix Nobel de la paix

Difficile de succéder, à la tête de la centrale syndicale historique tunisienne, à des figures du calibre de Farhat Hached ou de Habib Achour. Devenu secrétaire général en 2011, Houcine Abassi a su accompagner la Tunisie post-Ben Ali et œuvrer à la préservation de la paix et de la cohésion sociales.

Publié le 15 mars 2024 Lecture : 5 minutes.

Lors d’une manifestation antigouvernementale à l’appel de l’UGTT, le 4 mars 2023, à Tunis. © Montage JA; Mohamed Hammi/SIPA
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Tunisie : il était une fois l’UGTT

Fondée en 1946, en première ligne dans la lutte pour l’indépendance, la principale centrale syndicale tunisienne réintègre cette année son siège historique de la place Mohamed-Ali. L’occasion de revenir sur le rôle majeur qu’ont joué, à travers l’histoire, ses dirigeants les plus emblématiques.

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TUNISIE : IL ÉTAIT UNE FOIS L’UGTT (3/3) – Ce 9 octobre 2015, Wided Bouchamaoui, la patronne des patrons tunisiens, est en train de répondre à une interview lorsque son téléphone signale un second appel. Elle s’interrompt, écoute, hoche la tête et pâlit. Puis laisse exploser sa joie : on vient de lui annoncer que le prix Nobel de la paix 2015 avait été attribué au Quartet du dialogue national, qui réunit l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), conduite par Houcine Abassi, l’Utica, la centrale patronale tunisienne, l’Ordre national des avocats (ONA) et la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH). Wided Bouchamaoui raccroche en bredouillant une vague excuse et se demande à haute voix : « Qui appeler d’abord ? Le président ? Non, d’abord Si Houcine ».

« Si Houcine », c’est-à-dire Houcine Abassi, le secrétaire général de l’UGTT, est l’homme qui, après la chute du régime Ben Ali en 2011, a pesé de tout le poids du tout-puissant syndicat pour préserver une démocratie naissante et la paix civile dans une Tunisie en proie à de fortes turbulences politiques, avec une percée du terrorisme et une escalade des tensions et des violences avec les assassinats, en 2013, de deux leaders de la gauche : Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi.

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L’énorme sit-in, trois semaines durant, entre juillet et août 2013, devant l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), met à mal les islamistes d’Ennahdha, alors au pouvoir, soupçonnés d’être liés aux tueurs.

Face à cette situation explosive, Houcine Abassi, le syndicaliste taiseux, révèle ses qualités d’homme d’action. Il fallait rapidement tenter le tout pour le tout pour que le pays ne bascule pas dans la guerre civile. Pour cela, le patron de l’UGTT était sûr de l’adhésion de Wided Bouchamaoui, avec laquelle il avait déjà fait front commun et contourné le gouvernement pour entamer des négociations sociales, de manière assez inattendue, en 2012.

Mise en place du Quartet et du dialogue national

Avec la LTDH et l’ONA, ils vont donc composer le fameux Quartet, qui va imposer aux partis politiques une feuille de route comprenant la mise en place d’un gouvernement de transition, la fin des travaux de la Constituante et la tenue d’élections en octobre 2014.

Houcine Abassi, qui depuis ses années de jeunesse éprouve une aversion pour le monde politique, qu’il estime corrompu, a réussi, en 2014, à arracher à tous les protagonistes un accord sur les objectifs du dialogue national. Un homme providentiel qui a cru à la bonne volonté de la société civile.

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Quand, le 10 décembre 2015, l’hymne tunisien retentit lors de la cérémonie de remise du prix Nobel, le natif d’El-Ababsa, un hameau du Kairouanais (Centre), a une pensée pour sa grand-mère, veuve et démunie, qui, dès sa petite enfance, a veillé à ce qu’il soit scolarisé.

Il a sûrement aussi une pensée pour les figures tutélaires de l’UGTT : le fondateur, Farhat Hached, qu’il n’a pas connu, et l’ex-secrétaire général, Habib Achour, son mentor, qui n’avait jamais transigé sur l’indépendance du syndicat par rapport au pouvoir, ce qui lui avait valu bien des démêlés avec le régime de Bourguiba.

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Étudiant, il choisit d’intégrer l’École normale des instituteurs, qui offrait une bourse et une garantie d’emploi, puis entame sa carrière à Haffouz (Centre) avant d’être affecté au lycée secondaire de Nasrallah en tant que surveillant.

Le contraste entre les conditions de travail pour ces deux postes le conduit à l’engagement syndical. Il adhère au syndicat des surveillants et surveillants généraux, participe à la création des syndicats de base, accède ensuite au syndicat régional qu’il conduit en 1987.

En 2011, il succède à Abdessalem Jrad

Dès 1997, il est mis à la disposition de l’UGTT, avant d’entrer, en 2002, au bureau exécutif de la branche régionale de Kairouan. Son parcours connaît alors une accélération : en 2006, il est élu au bureau exécutif de la centrale en tant que secrétaire général adjoint chargé de la législation et des études. Le congrès de 2011, qui suit la révolution, le propulse secrétaire général en remplacement d’Abdessalem Jerad.

Un moment charnière qui voit le camarade Abassi devenir un leader désigné par ses pairs. Nul ne se doute alors que le passage de Abassi par le grand bureau surplombant la place Mohamed-Ali, siège historique de la centrale au cœur de Tunis, allait lui conférer un rôle-clé dans la Tunisie post-Ben Ali et faire de nouveau entrer l’UGTT dans l’Histoire.

Dans ses Mémoires, il évoque une période trouble, citant en particulier les insurrections dans le bassin minier de Gafsa où les autorités avaient fait l’erreur, malgré ses mises en garde, d’opter pour la répression. Une erreur qu’elles reproduiront en décembre 2010 dans les régions du Centre et du Nord-Ouest et qui précipitera la chute du régime de Ben Ali, le 14 janvier 2011.

Durant son mandat, jusqu’en janvier 2017, Houcine Abassi place l’UGTT en première ligne de l’écriture collective d’un projet de démocratie. Il devient une figure phare inattendue que consultera régulièrement la directrice du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, pour des éclairages sur la situation en Tunisie.

Bras de fer avec Ennahdha

Abassi devra composer avec l’hostilité des islamistes d’Ennahdha qui cherchent, comme tous les pouvoirs successifs en Tunisie, à en découdre avec la centrale dans l’espoir de l’annihiler ou de la soumettre.

Ce sera le contraire : l’UGTT domptera Ennahdha, qui sera contrainte de quitter le pouvoir. Et de se muer en parti « civil » de crainte que son idéologie totalitaire et l’agressivité de ses milices contre les institutions et la société civile ne la rendent encore plus impopulaire, alors que l’UGTT, elle, reste indéboulonnable. « Un refuge », aux dires des Tunisiens.

Les assassinats, à six mois d’intervalle, de deux de ses amis, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, tous deux leaders de gauche, sonnent comme un signal d’alarme : l’ancien instituteur sait que le moment est venu de se jeter dans la bataille contre des forces politiques obscures, corrompues et déterminées à mettre le pays à feu et à sang.

C’est l’heure du passage à l’action qui remettra la Tunisie sur les rails, même si cette dernière ne soupçonne pas à ce jour combien elle lui doit. Discret, voire secret, Abassi a tu durant des années qu’il avait mis de côté ses aversions pour organiser une rencontre entre les présidents des principaux partis, Béji Caïd Essebsi (pour Nidaa Tounes) et Rached Ghannouchi (pour Ennahdha), afin qu’ils renouent le dialogue, qui sera scellé par une paix des braves conclue à Paris le 15 août 2013.

Un détail qui aura son poids dans le déroulement du processus de dialogue national, couronné par l’adoption d’une nouvelle Constitution en janvier 2014, suivie d’élections législatives et présidentielle libres et transparentes, et par la consécration du prix Nobel de la paix. Mais pour le syndicaliste, la vraie consécration est d’être reconnu et salué dans la rue par ses jeunes compatriotes.

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