Élection présidentielle en Tunisie : qui affrontera Kaïs Saïed ?

À un peu plus de six mois du scrutin, les rivaux du président – qui ne s’est pas officiellement déclaré – semblent hésiter à sortir du bois. Et certains candidats potentiels sont toujours en prison…

Manifestation pour la libération des prisonniers politiques, dont Rached Ghannouchi, à Tunis, le 9 mars 2024. © Yassine Mahjoub/SIPA

Manifestation pour la libération des prisonniers politiques, dont Rached Ghannouchi, à Tunis, le 9 mars 2024. © Yassine Mahjoub/SIPA

Publié le 12 mars 2024 Lecture : 4 minutes.

Dans un contexte paradoxal de vie politique atone et néanmoins sous haute tension, la Tunisie se prépare à un scrutin présidentiel que les rares sondages donnent acquis d’avance au président sortant Kaïs Saïed. Mais l’actuel locataire de Carthage, qui, à la faveur de son mandat, a rebattu les cartes et remis à plat tous les fondements de l’État pour jeter les bases d’un nouveau système politique n’a pas encore annoncé sa candidature.

Pour ses supporteurs autant que pour ses détracteurs, sa réélection semble acquise. « Il n’a pas mis en place un régime hyper présidentialiste pour ne pas en profiter », commente un politologue, qui rappelle que la date de la prochaine échéance électorale, fin 2024, est conforme à la Constitution de 2014, que le président a annulée et remplacée par une autre loi fondamentale de son cru en 2022.

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Pour se conformer à cette dernière, il aurait fallu organiser une présidentielle anticipée dès 2022. Cela n’a pas été le cas, mais rares sont les esprits pointilleux qui relèvent un biais de conformité. D’autres n’imaginent pas que Kaïs Saïed puisse quitter le pouvoir de sitôt, ou du moins avant d’avoir vu s’accomplir son projet.

Ces discussions byzantines sur des points de droit constitutionnel semblent toutefois anodines en regard de la course électorale elle-même, qui est dans tous les esprits. Elle risque d’être assez singulière faute de candidats crédibles, libres de leurs mouvements ou qui n’ont pas été ostracisés avant même le coup d’envoi d’une campagne dont les règles demeurent floues, faute d’un texte ou d’une déclaration officielle confirmant ou amendant la loi électorale en usage en 2019.

Les conditions d’éligibilité, notamment, pourraient se révéler insuffisantes au vu des critères que Kaïs Saïed suggère. Le président avait assuré en substance qu’il ne passerait le flambeau qu’à des patriotes intègres, mais il ne s’en est pas tenu à cette déclaration.

Le 28 février, un communiqué acerbe de la présidence ciblait d’éventuels candidats, démontrant que le chef de l’État est bien décidé à en découdre, quitte à opérer un mélange des genres en utilisant les ressources de l’État pour battre campagne.

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Mondher Zenaidi dans le viseur de Kaïs Saïed

Le concurrent qui semble l’indisposer le plus est Mondher Zenaidi, un ancien ministre de Ben Ali qui avait été assez populaire mais qui, depuis 2011, semble plutôt indécis. Il avait voulu se présenter en 2014, avait été de nouveau tenté en 2019 pour à chaque fois opérer un retrait sans même avoir fait campagne. Une valse hésitation qui suscite une certaine méfiance électorale.

« Beaucoup croient en lui mais il faut qu’il prouve sa fiabilité et qu’il soit en Tunisie », rapporte un de ses anciens soutiens, qui comprend que Mondher Zenaidi soit prudent et veuille s’assurer de ne pas être sous le coup de poursuites judiciaires dans une affaire de corruption, comme le déclarent certaines pages hostiles sur les réseaux sociaux.

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L’ancien ministre récuse ces mises en cause, mais n’a finalement pas annoncé sa candidature, tout en soulignant son engagement pour la Tunisie et en souhaitant une contribution de tous les Tunisiens à l’avenir du pays.

Abir Moussi, Issam Chebbi et Nizar Chaari neutralisés ?

Beaucoup déplorent par ailleurs l’usage de la justice pour écarter de la présidentielle les concurrents qui dérangent, comme Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre (PDL). En prison depuis octobre 2023, sous le coup de divers chefs d’inculpation, elle sera néanmoins la candidate de son parti selon Karim Krifa, membre du bureau politique.

Dans ce cas, elle ne sera d’ailleurs pas l’unique candidate à être sous les verrous : la formation Al Joumhouri envisage quant à elle de désigner son secrétaire général, Issam Chebbi, comme candidat à l’élection présidentielle. Or ce dernier est en détention depuis février 2023 pour une affaire de complot contre la sûreté de l’État.

Un sort auquel a échappé Lotfi Mraihi, qui a écopé de six mois de prison en janvier 2023 pour propagation de fausses informations après avoir déclaré : « Saïed a échoué, sa cote de popularité a régressé et il patauge. » Fondateur de l’Union populaire républicaine (UPR), il devra attendre un jugement définitif pour savoir s’il pourra exercer ses droits civiques et être candidat.

Nizar Chaari, qui, en 2019, avait fait bénéficier Kaïs Saïed de ses parrainages, a aussi été inquiété : la machine à calomnies des réseaux sociaux a fait état de poursuites et diffuse des informations concernant sa famille sans que le fondateur du média Tunivision ait dévoilé ses intentions. Ce qui n’est pas le cas de la très controversée Olfa Hamdi, présidente de la Troisième République qui est en campagne depuis plusieurs mois et dont le nom a été cité dans une affaire de complot contre l’État.

Que va faire Ennahdha ?

À cette aune, les partis sont extrêmement prudents. Candidat malheureux en 2019, Abid Briki, secrétaire général du mouvement La Tunisie en avant, annonce un soutien critique au processus du 25 juillet et ne briguera aucune investiture. Les partis influents de la dernière décennie font profil bas et évoquent, comme le secrétaire général d’Ennahdha, Ajmi Lourimi, le profil d’un candidat idéal qui serait démocrate mais sans plus de précisions.

Le 10 mars, enfin, certains se sont laissés abuser par la publication d’une fausse déclaration de candidature d’Ahmed Nejib Chebbi, qui a démenti. De toute évidence, les partis de l’opposition ne comptent pas sortir du bois dans n’importe quelles conditions, tandis que ceux qui revendiquent leur adhésion au processus du 25 juillet soutiendrons le candidat Kaïs Saïed même s’il a écarté tous les corps intermédiaires de la vie politique.

D’autres ne peuvent s’empêcher de faire la comparaison avec le premier tour de l’élection présidentielle précédente, où 26 candidats étaient en lice. Le bilan est édifiant : cinq ans plus tard, outre le candidat élu, seuls cinq d’entre eux – dont deux sont actuellement en prison – ont encore une activité partisane. Douze ont ne sont plus dans la politique et huit ont quitté le pays.

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