Au Sénégal, Anta Babacar Ngom, candidate dans le rush
Conséquence de la décision de Macky Sall de reporter l’élection présidentielle, la campagne officielle ne durera que deux semaines. Reportage avec la seule femme candidate à la magistrature suprême.
Pour son troisième jour de campagne, la seule femme candidate à la présidentielle au Sénégal sillonne le quartier populaire de Grand Yoff, dans la banlieue de Dakar, saluant ses sympathisants depuis le toit ouvrant de son SUV, dans un tonnerre de klaxons.
Comme les 18 autres candidats, Anta Babacar Ngom, novice en politique et opposante, a moins de deux semaines pour défendre son programme et se faire connaitre « de tous les Sénégalais ». C’est une semaine de moins que le temps prévu par le code électoral.
Après plus d’un mois d’incertitude et une crise sans précédent liée au report du scrutin, le président Macky Sall a fixé l’élection au 24 mars. Pour tous les candidats, il faut s’adapter au plus vite, réajuster la stratégie, accélérer le calendrier. La campagne a commencé le 9 mars dernier et s’achèvera le 22, à minuit.
« La candidate des femmes, la femme candidate »
« Identifiez-moi comme la candidate des femmes, identifiez-moi comme la femme candidate, je l’assume pleinement. Par contre, je suis la candidate de tous les Sénégalais », se présente Anta Babacar Ngom.
La cheffe d’entreprise de 40 ans, patronne depuis 2015 de la plus grande entreprise avicole du pays fondée par son père, la Sedima, a pour ambition de briser les barrières et devenir la première présidente de la République de son pays. « Il faut se poser la question de savoir pourquoi les femmes ne s’impliquent pas assez en politique », s’interroge-t-elle. « Peut-être parce qu’on leur a fait croire depuis longtemps qu’une femme ne peut pas être présidente de la République de ce pays-là. Moi je n’y crois pas. »
Pourtant, le Sénégal passe pour un bon élève de la parité en politique ; 44 % des sièges de l’Assemblée nationale sont occupés par des femmes, un record en Afrique de l’Ouest. Certaines femmes ont été candidates par le passé à la présidentielle. Mais attitudes et lois patriarcales restent profondément enracinées dans cette société réputée pour son attachement aux valeurs traditionnelles de l’islam.
Mener la campagne en moins de deux semaines
Vêtue d’une tunique bleue qui se fond à la couleur du ciel crépusculaire, Anta Babacar Ngom salue la foule tout sourire et lève le poing. Aux fenêtres et balcons, les habitants se penchent pour voir défiler la candidate et son cortège.
Son programme s’articule autour de la création d’emplois via l’aide au secteur privé, la protection de l’environnement, la gratuité des soins pour les plus vulnérables et une réforme du système éducatif avec des cours donnés dans les langues locales et non plus seulement en français.
Mener la campagne en moins de deux semaines, « c’est extrêmement difficile, on l’avoue ». « Ça requiert une certaine ingéniosité. Il faut être “innovative” », souligne-t-elle, employant un anglicisme qui sied à l’image de « capitaine d’industrie » nouvelle génération qu’elle souhaite incarner.
À partir du 13 mars, Ngom commence sa tournée dans toutes les capitales régionales. Son équipe met aussi l’accent sur la communication digitale via les réseaux sociaux, explique Elimane Malick Badji, responsable de sa stratégie. En revanche, elle ne fera pas de grands meetings, comme prévu initialement.
Des tabliers spécialement conçus pour le ramadan
À l’imprimerie MPS à Dakar, c’est le branle-bas de combat. Du service infographie aux ateliers de couture, les dizaines de salariés confectionnent le matériel de campagne de la candidate. L’entreprise doit livrer pour le lendemain plus de 30 000 affiches et 20 000 T-shirts à l’effigie d’Anta Babacar Ngom. La dernière commande est la fabrication de plus de 1 000 tabliers spécialement conçus pour le ramadan.
« J’espère que vous avez pris vos dispositions pour tenir les délais », demande Rokhaya Ngom Ndiaye, directrice générale de l’entreprise, à son responsable sérigraphie qui applique les motifs de la candidate sur les vêtements. « On va redoubler d’efforts, faire plus d’heures de travail, embaucher des [indépendants], pour pouvoir satisfaire cette demande. S’il faut passer la nuit ici, on passera la nuit », assure Mme Ndiaye. Après l’arrêt de la production lié au report de l’élection, l’annonce de la date du scrutin a été accueillie avec soulagement, mais le défi est désormais de taille pour livrer les commandes dans les temps.
« Le président Sall n’a pas de limite »
Tous les candidats doivent s’adapter au nouveau calendrier. « On est en train de revoir toutes nos stratégies, nos supports de communication, renégocier avec nos prestataires en position de faiblesse parce qu’ils savent que nous n’avons pas le choix », souligne Boubacar Camara, un autre prétendant. « Il faut se réadapter, accélérer la cadence », dit de son côté Déthié Fall, lui aussi candidat.
Une autre contrainte est le début du ramadan, qui oblige à prendre en compte l’heure de rupture du jeûne dans ce pays à grande majorité musulmane. Comme les autres, Déthié Fall craint aussi un nouveau rebondissement dans le calendrier électoral. « Ce serait une erreur de penser que le président Sall puisse avoir une limite sur cette question », affirme-t-il.
(Avec AFP)
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