Présidentielle en Tunisie : en attendant Kaïs Saïed, ses partisans s’agitent

Si le président sortant prend tout son temps avant d’annoncer s’il briguera ou non un deuxième mandat en octobre 2024, ses partisans ont déjà commencé à préparer l’opinion à ce scénario. Mais à ce stade, leurs initiatives ne semblent ni concertées ni très productives.

Le président tunisien Kaïs Saïed, accompagné de son épouse Ichraf Chebil Saïed, à Mnihla, près de Tunis, le 24 décembre 2023. © FETHI BELAID / AFP

Le président tunisien Kaïs Saïed, accompagné de son épouse Ichraf Chebil Saïed, à Mnihla, près de Tunis, le 24 décembre 2023. © FETHI BELAID / AFP

Publié le 14 mars 2024 Lecture : 5 minutes.

En octobre 2024, une élection présidentielle aura lieu en Tunisie. À ceux qui en doutent et imaginent un report de scrutin ou même l’instauration d’une présidence à vie de Kaïs Saïed via un plébiscite du Parlement, comme ce fut le cas pour Habib Bourguiba, des voix plus pragmatiques rétorquent que « le coût sur la scène internationale serait insoutenable ». Il ne s’agit pas uniquement de finances mais surtout de dommages causés à l’image d’une Tunisie, qui peine à s’imposer parmi ses pairs et à convaincre de ses choix.

L’effervescence contenue qui agite le pays est aussi l’un des symptômes d’une campagne électorale qui a débuté sans préavis, et bien avant l’heure, au risque d’épuiser une population pour laquelle ce scrutin s’annonce sans surprise. Elle attend juste que les candidats, pour satisfaire aux convenances, déclarent leurs intentions.

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Toute l’attention est focalisée sur le chef d’État tunisien

« Il n’y a aucune raison que ceux qui comptent y aller ne le disent pas, leur décision a certainement été prise depuis longtemps », remarque Ahlem, une enseignante à la retraite qui cultive une fibre de gauche mais n’a pas apprécié les consignes de boycott qui ont circulé pour les élections législatives et locales. « La démocratie, c’est voter », dit celle qui s’était rendue aux urnes pour la première fois en 2011. Désormais, elle vote même pour signifier son désaccord.

Logiquement, toute l’attention est focalisée sur Kaïs Saïed. Personne ne se pose la question « ira-t-il ? N’ira-t-il pas ? », mais tous se demandent quelle forme prendra cet exercice et quel contenu proposera le président sortant. L’un de ses soutiens, l’avocat et ancien élu Abderazak Khallouli, lui a brûlé la politesse en dévoilant le 13 mars à l’antenne de Midi Show, l’émission politique la plus suivie en Tunisie, qu’il tenait d’une source autorisée que Kaïs Saïed sera candidat. Nul n’attendait un effet de surprise mais Kahllouli a éventé l’annonce et tout ce qu’elle peut revêtir de symbolique pour un électeur et pour le candidat.

Les porte-voix du président

Cette attitude de l’ancien député semble indiquer que les groupes et formations dans la mouvance du processus du 25 juillet veulent accaparer la communication électorale du locataire de Carthage en anticipant les réponses aux questions des électeurs. « Comme si en réclamant eux-mêmes un bilan à Kaïs Saïed, ils allaient couper court à tout autre demande ou analyse », commente un politologue qui remarque que la même approche avait été adoptée lors de la campagne explicative du projet de Kaïs Saïed qui a précédé la consultation et le référendum de juillet 2022. Une campagne qui avait finalement généré plus de confusion que d’éclaircissements.

Khallouli, qui a à son actif un certain nomadisme partisan dont un passage depuis 2011 au Néo-Destour et par la formation El Amen, assure que Kaïs Saïed exécute la volonté populaire et a l’adhésion de la majorité. Des propos qui risquent de porter préjudice au candidat d’autant que ce porte-voix, visiblement autoproclamé à moins qu’il ne soit téléguidé, s’approprie, voire confisque, le discours d’un candidat qui a toujours revendiqué son absence d’affiliation politique. « Kaïs Saïed doit d’autant plus fédérer sur ce prochain mandat qu’il a divisé les Tunisiens à force de les classer entre bons et mauvais citoyens », estime un proche du Watad, formation qui revendique sa proximité de vue avec le président.

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Cela dit, depuis plusieurs semaines déjà, l’activité présidentielle prend des allures de campagne électorale et Khallouli ne dit rien qui ne soit évident. Kaïs Saïed est un candidat qui annoncera sa candidature en temps voulu, mais il est déjà en action.

Entre les recommandations faites à ses ministres et son agacement face à des lenteurs d’exécution, ainsi que les visites inopinées où il fustige les entreprises publiques en exhibant des documents accablants sur la corruption qui les gangrène, le président parfait son image de justicier. Des dossiers dont le contenu, d’une authenticité invérifiable, est souvent évoqué sur les réseaux sociaux.

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Or ces réseaux, outil de propagande, le président sortant les connaît bien : en 2019, puis en 2021 lors de son offensive sur le pouvoir, des groupes l’avaient soutenu sur la toile. Toujours prêts à en découdre, quitte à tordre la réalité des faits, ceux-ci pourraient toutefois être contreproductifs pour la campagne présidentielle en créant une confusion et en rendant inaudible la voix du candidat dont on se souvient quand même qu’il a lâché, après les législatives de 2023 : « Je ne transmettrai [la présidence] qu’à un patriote », laissant ainsi entendre que son successeur devra avoir tous les requis de probité avant d’accéder à Carthage.

Le slogan de 2019 ne suffira pas

Autre originalité de cette campagne : Kaïs Saïed sera le seul participant à pouvoir se prévaloir d’un bilan, et c’est à ce sujet que l’opinion veut l’entendre. Pour Abderazak Khallouli, « la révolution est une rupture totale avec un passé dont il ne faut rien garder ». Ce qui fait bondir une électrice qui dit faire confiance au président mais pas à son entourage : « Une table rase ? Que lui faut-il de plus que la situation actuelle, toutes les institutions ont été laminées, l’économie est en panne et les indicateurs sont catastrophiques, nous ne sommes pas dupes. »

Une chose est sûre : cette fois, le slogan « le peuple veut » qui était celui de 2019 ne sera pas suffisant, puisque les aspirations au mieux être d’une population dont le niveau de vie se dégrade ne sont pas satisfaites.

« Nul ne remet en question l’intégrité de Kaïs Saïed ni sa sincérité, mais les solutions qu’il propose ne sont pas viables dans le monde actuel. Il faut qu’il nous présente une vision qui dépasse la conciliation pénale et les entreprises communautaires, ses chevaux de bataille », assure Wajdi, un opérateur du secteur informel qui estime que l’État entrave l’initiative privée et pousse à sortir des clous.

Wajdi déplore aussi que le président renvoie une image peu valorisante à son peuple. « La sincérité ne suffit pas pour fédérer, les critiques répétées finissent par me toucher puisque nous sommes tous concernés par ce qui fait le pays. Encourager les gens, c’est aussi leur donner le courage d’affronter un quotidien de plus en plus difficile », ajoute le jeune entrepreneur qui s’indigne de décisions comme l’annulation soudaine du statut de sous-traitant et des contrats à durée déterminée qui vont affecter l’emploi.

Il demande des explications et estime que désormais les ministres ne sont plus que de simples exécutants. Dès lors, Kaïs Saïed devient le seul interlocuteur des électeurs, mais aussi celui qui doit leur rendre des comptes. Cela aussi pourrait peser dans la campagne.

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