Flux migratoires : entre l’Égypte et l’UE, un accord de 7,4 milliards d’euros
Une délégation européenne dirigée par Ursula von der Leyen est attendue au Caire dimanche 17 mars pour signer un accord prévoyant une aide de 7,4 milliards d’euros en échange d’un contrôle accru aux frontières pour limiter les flux migratoires. Sur le modèle du deal obtenu avec la Tunisie.
La présidente de la Commission européenne est attendue au Caire ce week-end. Accompagnée des Premiers ministres grec, italien et belge, Ursula von der Leyen n’arrivera pas les mains vides. Dans sa poche, un accord de 7,4 milliards d’euros destiné à l’Égypte.
Après la Tunisie, la responsable européenne cherche à conclure un accord similaire avec l’Égypte pour réduire les flux migratoires qui traversent la Méditerranée vers l’Europe. Si l’objectif annoncé est d’aider le gouvernement égyptien à contrôler la migration clandestine, à la lumière de l’afflux des Soudanais provoqué par la guerre qui déchire le pays depuis un an, l’accord vise également à fournir un soutien au régime du président Abdel Fattah al-Sissi face à la crise économique que traverse le plus grand pays d’Afrique du Nord.
Jusqu’à présent, aucune déclaration n’a été faite par le moindre responsable égyptien sur cette visite. Et rien n’a filtré sur les détails de cet accord dans les médias égyptiens. Toutefois, une source locale bien informée a confirmé à Jeune Afrique que l’accord vise à proposer au pays un soutien de 7,4 milliards d’euros pour faire face à la migration illégale.
Selon notre source, cette aide sera présentée sous forme de dons et de prêts jusqu’à la fin de 2027. L’Égypte recevrait ainsi 1 milliard d’euros d’aide d’urgence, puis 4 milliards d’euros, qui constitueraient une aide économique dans le cadre du programme de réformes signé entre l’Égypte et le FMI le 6 mars dernier.
Une partie de la somme annoncée couvre en réalité des mesures déjà négociées. Il semble donc y avoir du côté européen une volonté d’afficher le chiffre le plus élevé possible, quitte à mélanger les lignes budgétaires.
Flambée de l’émigration clandestine égyptienne
Pour l’Italie – dont la présidente du Conseil, Giorgia Meloni, est en pointe depuis des mois sur la politique migratoire européenne –, mais aussi pour la Grèce, cet accord est indispensable pour alléger la pression des migrants sur leurs côtes Sud. La source que nous avons consultée indique aussi que, parmi les demandes de la délégation européenne, figure le renforcement de la sécurité sur la frontière Sud avec le Soudan. Et, plus important encore, sur la frontière avec la Libye, que de plus en plus de candidats à l’exil – y compris des Égyptiens – tentent de franchir avant de gagner les côtes méditerranéennes.
Ces deux dernières années, les Égyptiens sont d’ailleurs devenus majoritaires parmi les personnes qui tentent de traverser la Méditerranée depuis la Libye, leur motivation première étant de fuir la crise économique. En 2022, les chiffres du ministère italien de l’Intérieur ont aussi démontré que les Égyptiens – et les Tunisiens – constituaient les principaux contingents des migrants illégaux entrés sur son territoire.
Une tendance confirmée l’année suivante par l’Agence européenne des gardes-frontières et des garde-côtes (mieux connue sous sa dénomination de Frontex). Quant aux autorités libyennes, elles expulsent chaque semaine des centaines d’Égyptiens.
« L’Europe s’inquiète de la hausse du nombre des migrants venant d’Égypte, confirme de son côté Said Sadeq, professeur en politique sociale à l’Egypt-Japan University du Caire. Si l’armée égyptienne contrôle bien ses côtes, les jeunes qui cherchent à fuir le pays passent par la Libye pour rejoindre l’Europe. Avec la crise économique et l’absence d’horizon, de plus en plus de jeunes comprennent aujourd’hui que la solution est dans la migration. »
Mais si la somme promise par l’Europe est aussi colossale, c’est que l’Égypte n’est pas seulement confrontée à la volonté de départ d’une partie de ses ressortissants. Elle est aussi devenue un pays de transit pour beaucoup de réfugiés venus des pays voisins. Soudanais, Yéménites, Palestiniens, Syriens, et d’autres encore en provenance d’Afrique de l’Est… En 2022, l’Égypte hébergeait sur son sol environ 9 millions de migrants. Auxquels sont venus s’ajouter les Soudanais qui ont fui leur pays depuis avril 2023 et le début de la guerre civile. Leur nombre est officiellement estimé aujourd’hui à 500 000.
Le Caire paye un lourd tribut à la guerre à Gaza
Reste quand même à savoir comment la proposition européenne sera accueillie au Caire. En Tunisie, où un mémorandum poursuivant les mêmes objectifs a été signé à l’été 2023, le processus d’adoption n’a pas été si simple, le président Kaïs Saïed multipliant les changements de cap et devant faire face au mécontentement d’une partie de sa population.
Et ce 14 mars, ce sont les députés européens eux-mêmes qui se sont saisis du sujet, adoptant à une large majorité une résolution qui estime que les négociations avec la Tunisie n’ont pas respecté les règles communautaires en la matière. En particulier l’obligation d’exiger du pays bénéficiaire des aides certaines garanties en matière de respect des droits de l’homme.
À ce stade, pourtant, Bruxelles semble estimer que le partenaire égyptien se montrera conciliant. En 2016, Le Caire avait déjà répondu positivement aux demandes européennes de verrouillage de ses frontières. « L’Europe comprend la situation difficile au Caire, et son soutien est à la fois économique et politique. Le Caire paie un lourd tribut à la guerre à Gaza, qui a eu de fortes répercussions sur les revenus du tourisme et du canal de Suez, ce qui aggrave la crise économique qui frappe le pays depuis début 2022”, rappelle Said Sadeq.
Les autorités égyptiennes ont toutefois, elles aussi, quelques objectifs en tête. En particulier l’obtention de mesures facilitant l’émigration de leurs ressortissants vers l’Europe. En janvier dernier, l’État a lancé un plan pour « l’exportation des Égyptiens à l’étranger », qui comprend un volet de formation afin que ces migrants arrivent sur le Vieux Continent avec les qualifications nécessaires pour s’adapter aux besoins du marché du travail local. Le projet Mehani 2030, lancé dans le cadre du plan, promet ainsi de former un million d’Égyptiens d’ici à 2030 dans 75 centres appartenant à l’État.
Cet objectif en cache d’ailleurs un autre : augmenter le montant de l’argent envoyé chaque année par la diaspora égyptienne vers son pays d’origine, et qui est devenu ces dernières années la première source de devises du pays. On parle de 32 milliards de dollars en 2022, soit quatre fois les revenus du canal de Suez. Un total qui a reculé à 22 milliards de dollars en 2023, principalement à cause de l’essor du marché noir lié au durcissement de la crise que traverse le pays.
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