Libye : ces banques qui ne servent à rien

En Libye, les banques ne manquent pas de liquidités. Pourtant, elles accordent très peu de crédits. Et la nouvelle loi prévoyant le passage à la finance islamique d’ici à 2015 n’arrange rien.

La Banque centrale libyenne (photo) attend toujours la nomination de son nouveau gouverneur. © Alfred Diem/Flickr

La Banque centrale libyenne (photo) attend toujours la nomination de son nouveau gouverneur. © Alfred Diem/Flickr

Publié le 28 octobre 2013 Lecture : 4 minutes.

L’enlèvement du Premier ministre, Ali Zeidan, dans la nuit du 9 au 10 octobre (il a été libéré le 10), a momentanément fait oublier le retard pris par les autorités dans la nomination du nouveau gouverneur de la Banque centrale et de son adjoint, qui devait avoir lieu le mois dernier. Pour l’heure, Saddek Omar Ali el-Kaber, en poste depuis novembre 2011, est toujours aux commandes de l’institution émettrice, où sommeillent des dizaines de milliards de dinars libyens de dépôts des banques commerciales. Cet ancien dirigeant de la première banque publique du pays, Al Jumhuriya, a préparé le terrain pour son successeur en relançant la machine après la révolution et en récupérant une partie des avoirs gelés à l’étranger.

Le prochain grand argentier du pays aura, lui, la lourde tâche de moderniser et de développer un secteur bancaire composé de seize acteurs et jugé « étroit » par des économistes du Fonds monétaire international (FMI).

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A 23,6%, le ratio des crédits par rapport aux dépôts des banques libyennes reste faible

Les raisons ? Pour la Banque africaine de développement (BAD), « le système financier libyen reste sous-développé et très concentré, avec près de 90 % des actifs bancaires détenus par les établissements publics ». Parmi eux figure notamment Al Jumhuriya, dont les actifs dépassent 12 milliards d’euros.

Crédit resséré

Au-delà des milliards qu’ils placent en dépôt à la Banque centrale et qui leur rapportent des intérêts, les établissements se rémunèrent par des commissions sur des transactions internationales réalisées par le secteur public et les quelques importateurs privés évoluant dans le pays. Mais ils prêtent peu.

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Certes, entre 2011 et 2012, la proportion des crédits en pourcentage des dépôts a progressé, passant de 21,7 % à 23,6 %, d’après la Banque centrale. Mais elle reste faible. « Le système bancaire libyen ne contribue que très marginalement au financement de l’économie nationale, souligne Laurent Gonnet, expert en finance pour la Banque mondiale dans la zone Mena (Moyen-Orient et Afrique du Nord). Et les banques privées n’ont aucun avantage à proposer des liquidités aux entreprises. »

Pour ne rien arranger, un autre grain de sable est venu enrayer une machine financière déjà bien grippée. En janvier, le Congrès national général (Parlement) a voté une loi qui proscrira les taux d’intérêt à partir de 2015. Cette décision a été prise sans aucune concertation, laissant très peu de temps aux établissements pour s’adapter.

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Résultat : ceux-ci ont encore resserré le robinet du crédit, dont le débit était déjà bien faible. Un comité chargé de vérifier la compatibilité des produits avec les normes de la finance islamique a été instauré, mais pour l’heure, seul Al Jumhuriya a lancé des produits conformes à la charia. Pour les autres acteurs, l’incertitude reste totale.

Finance islamique

« Le système est paralysé depuis l’adoption de la loi, car les banques sont dans le flou. Il faudrait cinq ans pour s’adapter au modèle de la finance islamique. Cela passe par de nouveaux logiciels, des évolutions logistiques et des formations pour le personnel, explique un banquier libyen. Et nous ne savons pas encore si la finance traditionnelle continuera à exister à côté de la finance islamique, comme en Arabie saoudite. »

Une possibilité réclamée par certains acteurs – dont Amen Bank for Commerce & Investment, la première banque privée du pays -, qui éviterait de réviser les crédits en cours. Le pays a en outre demandé l’assistance technique de la Banque mondiale pour développer son système de paiement, encore archaïque, ainsi que les réglementations prudentielles. La procédure devrait débuter début 2014.

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En dépit des mesures de libéralisation partielle lancées en 2007, les banques privées restent dans l’ombre de leurs consoeurs publiques, ce qui contribue à décourager les investisseurs étrangers. L’exemple de BNP Paribas est frappant. En 2007, le groupe a pris une participation de 19% dans Sahara Bank, deuxième établissement privé du pays, pour 145 millions d’euros.

Période de transition

Depuis, la révolution a conduit à l’évacuation du personnel expatrié et BNP Paribas n’a pas augmenté sa participation dans le capital de la banque libyenne, alors que l’accord de cession lui en offrait la possibilité. Pour le groupe français comme pour le portugais Banco Espírito Santo (BES), qui a acquis 40 % d’Amen Bank for Commerce & Investment en 2010, la prudence est de rigueur.

Pour les autorités aussi : « Des groupes internationaux font du lobbying pour obtenir des licences et venir en Libye, mais c’est encore prématuré. Nous sommes en période de transition », a récemment déclaré le gouverneur de la Banque centrale. Le britannique HSBC ou le français Société générale ont par exemple des bureaux de représentation commerciale dans le pays depuis quelques années, en attendant éventuellement d’accéder au marché.

Mais dans l’immédiat, il semble y avoir peu de chances que de nouveaux acteurs étrangers (dont la participation dans le capital des établissements libyens est limitée à 49 %) soient autorisés à s’implanter. Dommage : la BAD estime que « la Libye pourrait bénéficier de l’expertise de groupes étrangers et devrait encourager les investissements des banques internationales ».

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