En Côte d’Ivoire, les premiers pas compliqués de Tidjane Thiam à la tête du PDCI
Élu à la présidence du Parti démocratique de Côte d’Ivoire à la fin de décembre 2023 pour succéder à Henri Konan Bédié, l’ancien banquier franco-ivoirien compte bien se présenter à la présidentielle de 2025.
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Publié le 20 mars 2024 Lecture : 7 minutes.
Côte d’Ivoire : une nouvelle donne
Six mois après la nomination du gouvernement Beugré Mambé et à dix-huit mois de la présidentielle, pour tous les partis, c’est l’heure des comptes et de la pré-campagne. Ont-ils tiré les leçons des élections locales de septembre 2023 ? Alassane Ouattara va-t-il se présenter ou va-t-il désigner un dauphin ? La candidature de Tidjane Thiam peut-elle rebattre les cartes ? Le parti de Laurent Gbagbo, qui reste inéligible, peut-il remobiliser ses militants et les électeurs ? De l’hypothèse d’un quatrième mandat d’ADO à l’éventuel retour de Guillaume Soro, voyage à travers un paysage politique et un pays en pleine mutation.
Des bords imperturbables du lac de Zurich aux berges agitées de la lagune Ébrié, à Abidjan, il y a un monde. Encore plus lorsque l’on passe de la direction d’une banque internationale à celle d’un parti politique fondé en 1946. Cela fait bientôt trois mois que Tidjane Thiam, 61 ans, préside aux destinées du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), la principale formation d’opposition ivoirienne. Trois mois qu’il apprend à connaître cette vieille machine, ses querelles intestines, les susceptibilités de ses militants, ses cadres ambitieux. « Gérer un parti au quotidien, c’est avant tout régler des problèmes », résume un vétéran du PDCI.
L’ancien banquier a soigné son entrée en matière. Le 22 décembre 2023, au cœur de la nuit, il a été élu président du parti avec 96,48 % des suffrages exprimés, ne faisant qu’une bouchée de son seul adversaire, Jean-Marc Yacé, maire de Cocody. Ce succès, Thiam et ses proches le peaufinaient depuis des mois.
Thiam impose son rythme au PDCI
Tout s’est accéléré à la mort d’Henri Konan Bédié, intervenue subitement le 1er août 2023. Son avenir à la tête du PDCI s’est tout d’un coup éclairci. Tidjane Thiam décide de saisir l’opportunité et parvient à convaincre la majorité des prétendants à la succession du Sphinx de Daoukro de renoncer à leurs ambitions. Qu’importe s’il ne respecte pas toutes les conditions requises – notamment celle d’avoir été membre du bureau politique sans discontinuer pendant dix ans –, il impose son rythme et l’emporte aisément.
Plus de deux mois auront passé entre son élection et l’annonce de la composition de sa nouvelle équipe, début mars. « Quand vous faites face à une vieille structure comme le PDCI, il faut prendre le temps d’en connaître les membres et les rouages », explique l’un de ses conseillers pour justifier ce délai. Cette annonce a été marquée par quelques couacs (parmi les personnalités nommées, certaines avaient rejoint la majorité présidentielle) et plusieurs faits marquants.
Ainsi, exit Maurice Kakou Guikahué, un symbole de l’ère Bédié, dont le nouveau patron du parti semble vouloir se démarquer. Pour le remplacer au poste de secrétaire exécutif, Tidjane Thiam a opté pour Sylvestre Emmou, le député-maire de la commune abidjanaise de Port-Bouët, qui fut son directeur de campagne. Le reste de la vingtaine de secrétaires exécutifs étaient, pour la plupart, déjà présents dans l’ancienne équipe. Beaucoup sont des élus d’autres communes d’Abidjan, l’une des places fortes du PDCI.
Autre nouveauté : la création de hautes représentations du président du PDCI dans les districts de Côte d’Ivoire et au sein de la diaspora. « Ils auront une autonomie de gestion pour tenir compte des spécificités locales afin que le parti soit encore plus décentralisé », assure l’entourage de Thiam. Leur mission principale est d’élargir la base électorale du PDCI. Plusieurs campagnes d’adhésion ont été lancées depuis le début de l’année. Elles reprendront après les obsèques d’Henri Konan Bédié, prévues du 20 mai au 2 juin.
Avec Laurent Gbagbo, une relation ancienne
En parallèle de cette restructuration interne, le nouveau patron du PDCI s’est attelé à entretenir les alliances de la formation, principalement avec le Parti des peuples africains – Côte d’Ivoire (PPA-CI) de Laurent Gbagbo, auquel il a rendu visite à la fin de février. « Avec Laurent Gbagbo, ils s’entendent très bien, rappelle un proche de Tidjane Thiam. La relation est ancienne. Gbagbo était au lycée avec le grand frère de Tidjane [Augustin, gouverneur de Yamoussoukro], il connaissait sa famille bien avant de faire de la politique. Et Abdel Aziz, l’autre frère de Tidjane, a été ministre des Transports de Laurent Gbagbo entre 2006 et 2007. »
Dans l’entourage du président du PDCI, on se dit persuadé que Laurent Gbagbo, désigné candidat du PPA-CI pour la présidentielle de 2025, appellera à voter pour Thiam si ce dernier se retrouve face au Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, le parti présidentiel) au second tour. « Laurent va se présenter pour la forme et nous soutiendra ensuite », pensent les proches de Tidjane Thiam.
Depuis qu’il envisage de se lancer en politique, l’ex-directeur général de Credit Suisse confie vouloir faire figure de rassembleur et incarner un candidat qui dépasse les clivages. Après « Laurent », c’est avec l’ancienne épouse de ce dernier, Simone Gbagbo, que Thiam s’est entretenu.
Discours apaisé d’Alassane Ouattara
Lui qui aime dire qu’il veut « faire de la politique autrement » a ensuite été reçu, le 11 mars, par le chef de l’État, Alassane Ouattara (ADO). Les deux hommes ne s’apprécient pas forcément, mais ils ont joué le jeu pour l’occasion. « C’est un parti avec lequel nous avons des relations étroites, la même philosophie, la même vision, pour une Côte d’Ivoire en paix, stable et prospère. Le président Thiam va beaucoup apporter à ce parti », a affirmé Alassane Ouattara.
« Nous nous connaissons depuis des années et je suis venu solliciter ses conseils et ses avis dans la tâche qui m’est confiée. J’ai tenu à l’assurer de ma disponibilité pour […] continuer à assurer les progrès de la Côte d’Ivoire », a ajouté Tidjane Thiam lors d’un point presse à l’issue duquel les deux hommes ont échangé une chaleureuse poignée de mains.
Dans les rangs du PDCI, où nombre de militants n’ont toujours pas digéré la présidentielle de 2020, ces propos n’ont pas forcément été appréciés. « Il a répondu au discours apaisé d’Alassane Ouattara qu’il ne rencontrait pas en tant que chef du RHDP mais en tant que président de la République », justifie Gustave N’Guessan, conseiller en communication du parti. Fondateur du cabinet de conseil en stratégie et en communication Xtramed, ce dernier est l’une des nouvelles figures du PDCI « version Tidjane Thiam ».
Petit affront de Jean-Louis Billon
L’ancien banquier s’est entouré de personnalités qui ne jouaient pas un rôle important dans le système Bédié, comme Denis Ossey Gnassou, homme d’affaires et homme de confiance de son grand-oncle Félix Houphouët-Boigny, Djedri N’Goran, ex-administrateur du parti, et Calice Yapo, ancien ministre du Commerce. Son frère Abdel Aziz et sa sœur Yamousso, chez laquelle Tidjane Thiam réside pour le moment, jouent également un rôle important dans son organisation.
Initialement inclus dans le nouveau secrétariat exécutif, Jean-Louis Billon a préféré décliner la proposition. Un petit affront que l’homme d’affaires et député a expliqué à Tidjane Thiam, le 12 mars, lors d’un tête-à-tête d’une trentaine de minutes. Selon nos sources, Billon a notamment rappelé à Thiam qu’il avait fait part à Henri Konan Bédié, avant sa mort, de sa volonté de sortir du secrétariat exécutif, une structure dont il boycottait déjà les réunions depuis au moins six mois.
Voici pour l’explication officielle. L’ancien ministre du Commerce (2012-2017) a peu goûté « l’OPA » opérée par Thiam sur le PDCI, d’autant plus qu’en marge de l’élection de l’ancien banquier, une résolution stipulant que « le président élu est le candidat du PDCI-RDA à la convention d’investiture pour l’élection présidentielle de 2025 » a été votée. Or, en privé, Billon assure à ses proches que Bédié avait déjà adoubé sa candidature pour ce scrutin – une affirmation aujourd’hui impossible à vérifier. Et, lors de sa rencontre avec Thiam, Billon a bien fait comprendre que ses ambitions étaient toujours intactes.
« Ce monsieur n’ira nulle part »
Autre potentiel présidentiable en 2025, Thierry Tanoh a lui aussi pris du recul pour, officiellement, se consacrer à ses activités professionnelles. Très marqué par le décès de Bédié, dont il était proche et fut l’un des derniers confidents, l’ex-ministre du Pétrole et de l’Énergie souhaite également attendre la fin des obsèques de l’ancien président pour s’impliquer à nouveau dans la gestion du parti.
Trois mois après l’arrivée de Tidjane Thiam, le PDCI veut donner l’image d’une formation en rangs serrés derrière son nouveau chef. Mais en coulisses, les premières critiques commencent à émerger. Les mêmes qui l’accusaient de méconnaître à la fois le parti et le pays en raison de son absence de Côte d’Ivoire pendant plus de vingt ans décrivent désormais, essentiellement sous couvert de l’anonymat, un personnage « hautain ». « Ce monsieur n’ira nulle part », confie un cadre du parti qui reproche à Tidjane Thiam de ne pas être suffisamment disponible et déplore même une gestion « familiale » du parti. « Il est dans sa tour d’ivoire, il ne reçoit personne. »
« On peut tout dire, sauf que Tidjane Thiam a une gestion familiale du PDCI. Son frère était là bien avant lui, quant à sa sœur, Yamousso, elle n’a aucune fonction dans le parti, rétorque Gustave N’Guessan. Dans toute formation, il y a des ambitions et, parfois, on ne s’entend pas. Les tensions, c’est normal. Mais elles ne sont pas si vives que cela au PDCI. »
« Ceux qui se plaignent ou donnent des leçons sont ceux qui sont responsables de la perte d’influence du parti. Thiam est humble et accessible, mais il fait à sa manière, souligne l’un de ses proches. Sous Bédié, un système avait été mis en place. Il parlait sans filtre. Chaque militant pouvait obtenir son numéro de portable et l’appeler. Ça ne pouvait pas continuer ainsi. Il fallait structurer les choses. »
Particulièrement soucieux de contrôler son image, Thiam estime que ceux qui doutent de sa popularité en Côte d’Ivoire se trompent. « Tidjane Thiam était aux affaires de 1994 à 1999. Il s’est déplacé dans tout le pays. Les gens ne l’ont pas oublié », assure Gustave N’Guessan. Pour mieux le rassurer, ses équipes compilent l’impact sur les réseaux sociaux de chacune de ses sorties politiques. À l’issue des obsèques de Bédié, le nouveau président du PDCI prendra la route pour effectuer une grande tournée nationale. Il sera alors sans doute un peu mieux fixé sur la réalité de sa popularité dans le pays. Et sur le chemin qu’il lui reste à parcourir pour devenir le prochain président de la République de Côte d’Ivoire.
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Six mois après la nomination du gouvernement Beugré Mambé et à dix-huit mois de la présidentielle, pour tous les partis, c’est l’heure des comptes et de la pré-campagne. Ont-ils tiré les leçons des élections locales de septembre 2023 ? Alassane Ouattara va-t-il se présenter ou va-t-il désigner un dauphin ? La candidature de Tidjane Thiam peut-elle rebattre les cartes ? Le parti de Laurent Gbagbo, qui reste inéligible, peut-il remobiliser ses militants et les électeurs ? De l’hypothèse d’un quatrième mandat d’ADO à l’éventuel retour de Guillaume Soro, voyage à travers un paysage politique et un pays en pleine mutation.
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