L’ONG SOS Disparus dans le collimateur des autorités algériennes
Après la dissolution de plusieurs ONG de défense des droits de l’homme, l’étau se resserre sur SOS Disparus qui représente les familles des milliers de victimes de la décennie noire dont le sort n’a jamais été élucidé.
« J’ai tellement envie d’avoir des nouvelles… Mais je n’ose pas m’approcher du siège de SOS Disparus de crainte d’être arrêtée et de laisser mes enfants dans la tourmente en ce mois de ramadan », confie la sœur d’un disparu pendant la décennie noire du terrorisme. Elle dit redouter que le bâtiment qui, depuis 2001, abrite le siège de cette association qui milite pour connaître la vérité sur le sort des personnes disparues, soit sous étroite surveillance policière.
Ses craintes ont été amplifiées par ce qui s’est passé ces derniers jours : coup sur coup, deux événements organisés par l’association ont été interdits. Le 29 février, ses locaux ont été encerclés pour empêcher la tenue d’une conférence sur la justice transitionnelle. L’accès au bâtiment a été bloqué et interdit aux familles ainsi qu’aux intervenants annoncés, à savoir les avocats Abdelghani Badi, Nourredine Ahmine, Adlane Bouchaid, Nabila Smail ainsi que Cherifa Kheddar, présidente d’une autre association de familles de victimes du terrorisme Djazairouna. Le personnel déjà arrivé sur place a été sommé de quitter les lieux et de fermer le bureau.
Nouvel épisode le 9 mars : en organisant une projection-débat dans ses locaux à l’occasion de la commémoration de la journée internationale des droits de femmes, – un thème sans lien avec ses activités habituelles -, SOS Disparus pense passer sous les radars. Mais à 7h30 du matin, les policiers arrivent sur place. Ils cueillent la femme de ménage, première sur les lieux, devant l’entrée de l’immeuble et la conduisent au commissariat. La projection n’aura jamais lieu.
« Pour les autorités algériennes, le dossier est clos »
« La loi ne nous interdit pas d’organiser des manifestations quand elles se déroulent dans nos locaux », rappelle Nacéra Dutour, présidente de SOS Disparus. Elle s’étonne du contraste entre l’absence d’attention des autorités face aux revendications des familles des disparus et leur promptitude à réagir lors de l’organisation de leurs activités. « Nous voulons simplement savoir où sont les corps de nos enfants pour avoir une tombe sur laquelle se recueillir. Le temps passe, cela fait 27 ans que nous réclamons la vérité », poursuit-elle.
Son fils avait 21 ans quand elle a perdu sa trace. L’année prochaine, il en aurait eu 50. Sa disparition remonte aux années 1990, lors de la guerre qui a opposé l’État algérien à divers groupes islamistes terroristes. Depuis cette époque, les familles des disparus évoquent des policiers arrêtant des citoyens au hasard dans la rue. Quant aux autorités, elles ont toujours nié être derrière ces disparitions et considèrent que ce dossier appartient au passé, puisqu’il a été réglé par la loi d’amnistie votée en référendum en 1999. « Pour les autorités algériennes, il y a un texte voté par le peuple sur ce contentieux, donc on répond aux familles que le dossier est clos », décrypte un spécialiste des questions sécuritaires.
Des peines de prison pour ceux qui ne respecteraient pas le choix de l’oubli
Dès 1998, les familles de disparus ont commencé à se rassembler à Alger. L’année suivante, Nacéra Dutour crée depuis Paris le Collectif des familles des disparus en Algérie, avant de fonder SOS Disparus à Alger, dont le slogan demande « Vérité et justice ». Mais lorsqu’il accède au pouvoir en 1999, Abdelaziz Bouteflika propose une loi sur la Concorde civile qui sera finalement approuvée par référendum à 90 %. Il renforcera cette amnistie en 2005 avec une « Charte pour la paix et la réconciliation nationale » qui prévoit des peines de prison à l’encontre de ceux qui ne respecteraient pas le choix de l’oubli.
Avec le temps, certaines familles ont fini par accepter des compensations financières. Certaines n’ont su que plus tard qu’en signant le document qu’on leur avait soumis, leurs proches disparus étaient déclarés terroristes. Leurs efforts pour revenir sur cette erreur sont restés vains, et certains parents âgés sont décédés à leur tour. Il ne reste à ce jour qu’une poignée de personnes – des femmes essentiellement – pour porter ce combat. Au fil des années, l’association s’est structurée, constituant minutieusement des dossiers sur les disparus : à ce jour, elle a recensé 8 000 cas quand la Ligue algérienne des droits de l’homme parle de 20 000 disparitions.
Face à un pouvoir qui souhaite tourner la page de ces fantômes encombrants, des familles, tenaces, estiment leur deuil impossible tant que l’entière vérité n’est pas établie. « Les dossiers sont dans une base de données qu’on ne peut pas détruire. On a préparé la relève, même après notre mort, on va continuer à réclamer la vérité », promet Nacéra Dutour.
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