Droit des affaires : les avocats africains montent en puissance
Dans les grands cabinets parisiens, seule une poignée de juristes originaires du continent occupe des postes de premier plan. Mais les juniors y sont de plus en plus nombreux. Pour s’aguerrir avant de rentrer s’installer dans leur pays d’origine ?
Après une enquête auprès d’une quinzaine de cabinets d’avocats parisiens, le constat est sans appel : parmi les quelque vingt-cinq associés de leurs équipes qui se consacrent à l’Afrique, seuls trois sont originaires du continent. « À de rares exceptions près, les cabinets internationaux n’avaient encore récemment que bien peu d’intérêt pour l’Afrique », se rappelle le Français Stéphane Brabant, directeur de la cellule africaine (forte de vingt-cinq années d’expérience) de Herbert Smith Freehills.
Être africain et avocat d’affaires aujourd’hui, c’est un avantage
Une impression à laquelle Sena Agbayissah, le tout premier Africain à avoir été nommé associé d’un cabinet d’avocats d’affaires à Paris, en 1998, « souscrit complètement ».
À l’échelon inférieur, on compte une dizaine d’avocats d’origine africaine, âgés de 30 à 40 ans. C’est bien peu ! Mais tout porte à croire que cela devrait changer dans les années à venir, puisque chez les plus jeunes les Africains font leur apparition.
Les 15 avocats d’affaires qui ont marqué 2013
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Génération
On observe depuis deux ou trois ans « une éruption sur le marché », pour reprendre les mots du Guinéen Baba Hady Thiam, junior chez Gide Loyrette Nouel. Président de l’African Business Lawyers’ Club (ABLC, une association de jeunes juristes africains spécialisés en droit des affaires) et lui-même récemment recruté par un grand cabinet britannique, Cédric Sinarinzi calcule qu’ils sont plus d’une vingtaine dans sa génération à officier au sein des meilleures structures de la place parisienne.
Et d’après Jacques Jonathan Nyemb, avocat chez Cleary Gottlieb Steen & Hamilton et cofondateur de l’ABLC, « ce nombre a vocation à s’accroître encore plus rapidement si nous parvenons à créer une véritable chaîne de transmission d’expérience entre associés, seniors, juniors et étudiants en droit d’origine africaine ».
Talents
Ces jeunes avocats ont pour point commun d’avoir grandi en Afrique, où ils ont passé leur baccalauréat avant de venir étudier à Paris et de décrocher les meilleurs masters – par exemple celui en banque et finance de l’université Paris-II Panthéon-Assas. Une formation fréquemment doublée d’un LL.M (diplôme anglo-saxon équivalent au MBA pour les métiers juridiques) obtenu en Grande-Bretagne ou aux États-Unis.
Cédric Sinarinzi souligne que la plupart de ces juristes ont une pratique diversifiée, à l’image de leurs collègues français, et ne travaillent pas exclusivement sur des dossiers africains.
Intégration
Investissements : les États africains prennent des avocats
Alors qu’ils ont longtemps été réticents à se laisser conseiller par des experts étrangers, les pays du continent comprennent désormais la nécessité d’y avoir recours sur des dossiers complexes, face à d’autres États ou à des investisseurs étrangers.
Une nouvelle tendance soutenue par les bailleurs de fonds comme la Banque mondiale ou la Banque africaine de développement (BAD).
Parmi les cabinets qui en ont embauché le plus grand nombre, Freshfields Bruckhaus Deringer figure en bonne place. Elie Kleiman, associé gérant du bureau parisien de la firme, explique recruter « avant tout des talents », même s’il juge « important d’intégrer des professionnels adaptés aux zones dans lesquelles [ils interviennent], qui en détiennent les clés et sont capables de parler plusieurs langues ».
Mais si la tendance est claire, les motivations des cabinets ne le sont pas toujours. Ainsi, plusieurs interlocuteurs rapportent que certains présentent à des clients ces avocats originaires du continent comme gage de leurs compétences africaines même si ceux-ci ne travaillent pas (ou très peu) dans ce domaine.
Retour
Le recrutement de juristes africains va indéniablement de pair avec la percée des cabinets internationaux sur le continent. Mais ce phénomène pourrait aussi, à terme, profiter à l’Afrique. On note déjà quelques exemples d’avocats qui, après une dizaine d’années dans les meilleures firmes de Paris, sont rentrés dans leur pays d’origine pour fonder leur propre cabinet.
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Trois d’entre eux ayant fait leurs armes dans l’équipe de Stéphane Brabant ont déjà sauté le pas. Habibatou Touré, rentrée au Sénégal il y a cinq ans, a été la première. Puis, en septembre 2012, c’était au tour de Foued Bourabiat de lancer son cabinet, à Alger [voir l’encadré]. Dernier exemple en date, celui de Salimatou Diallo, en passe de commencer ses activités à Conakry.
Diaspora
Cette question est en tout cas un thème récurrent au sein de la jeune génération. Comme l’explique le Camerounais Alex Bebe Epale, avocat chez Hogan Lovells, « le retour des jeunes de la diaspora est l’une des clés du développement de nos pays. Il contribuera à améliorer la gouvernance et permettra peut-être à l’Afrique de s’adapter aux normes internationales ». Une chose est sûre : ces derniers ont toutes les cartes en main. Être africain et avocat d’affaires aujourd’hui, c’est un avantage certain.
Foued Bourabiat : « Je voulais créer une entreprise et des vocations »
En septembre 2012, après près de dix années de carrière chez Lovells puis chez Herbert Smith (devenu Herbert Smith Freehills), Foued Bourabiat a quitté Paris pour fonder son cabinet à Alger. Un an plus tard, il revient sur les raisons qui l’ont poussé à partir et sur le potentiel de son activité en Algérie. Il n’a qu’un conseil à donner : il faut oser partir !
Jeune Afrique : Pourquoi avez-vous décidé de rentrer en Algérie ?
Foued Bourabiat : Cela faisait trois ans que j’y pensais. Je voyais beaucoup de très bons avocats au Maroc et en Tunisie, je me suis demandé pourquoi on ne pourrait pas faire comme eux en Algérie. Comme je traitais de nombreux dossiers liés à l’Afrique, je constatais qu’il y avait une possibilité. Surtout, je voulais créer : une entreprise, un précédent, des vocations…
Quelle réalité avez-vous découvert dans votre pays ?
Il est difficile de trouver des conseils de qualité localement et la différence est très importante avec le niveau international, même si elle tend à se réduire. De plus, il y a une forme de pesanteur dans les cabinets locaux « historiques », où les associés ne donnent pas leur chance aux jeunes. Et tant que les avocats seniors formés en Occident ne rentreront pas, le secteur n’évoluera pas. Nous apportons une vraie relocalisation des compétences.
Avez-vous rencontré des difficultés ?
Je suis en train d’essuyer les plâtres : coupures internet, problèmes de téléphonie… Côté recrutement, ce n’est pas facile non plus. Il y a un problème de compétences en Algérie, à la fois sur le plan linguistique et sur le plan de la sophistication technique. Les jeunes qui sortent de l’université n’imaginent souvent pas le niveau d’exigence des clients. Malgré ces difficultés, nous avons pénétré le marché extrêmement vite.
Les cabinets internationaux savent que nous avons les mêmes normes qu’eux et nous confient souvent de plus grandes responsabilités que celles habituellement déléguées aux conseils locaux. Nous travaillons notamment avec Allen & Overy, Jones Day, Clifford Chance, White & Case ou Cleary Gottlieb Steen & Hamilton. Et, bien sûr, Herbert Smith Freehills.
Que dites-vous à vos confrères restés en Europe ?
J’ai beaucoup échangé avec Salimatou Diallo [une autre ancienne de Herbert Smith], qui vient de décider de lancer son cabinet en Guinée. Nous apportons plus à l’Afrique en étant sur le terrain qu’en restant en Europe. Le mouvement vient de commencer. Il faut foncer, prendre nos responsabilités. Dans trois ou quatre ans, la concurrence va s’intensifier pour le plus grand bénéfice des clients.
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