Dans « Blue Carbon », la pédagogie au secours des mangroves menacées

Dans le documentaire de Nicolas Brown, Jayda G parcourt ces zones frontières entre terre et mer dont les écosystèmes absorbent et stockent des masses de dioxyde de carbone, et sont menacés partout dans le monde. Présenté à l’Unesco, il est diffusé sur Canal Docs ce 27 mars.

Jayda Guy dans le documentaire Carbonne Bleu © Phoebe Fitz.

Jayda Guy dans le documentaire Carbonne Bleu © Phoebe Fitz.

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Publié le 27 mars 2024 Lecture : 3 minutes.

Africaine-américaine et juive européenne, biologiste et DJ née en 1988, Jayda Guy est l’enfant paradoxale de son temps, consommatrice avide des fruits de la modernité mais angoissée par les dérèglements de la planète que cette modernité entraîne.

Engagée à plein temps pour la défense de la nature, la Dr Guy la place sous son microscope d’environnementaliste quand la DJ Jayda G l’enchâsse au cœur de ses compositions musicales.

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Ses zones d’exploration sont celles où la terre rencontre la mer : mangroves, marais, estuaires, lagunes, herbiers, forêts d’algues, ces jardins de Poséidon dont la fertilité fait vivre des dizaines de millions de familles et qui se révèlent, à la lumière des recherches récentes, des capteurs majeurs de dioxyde carbone stocké sous le couvercle de l’eau : le carbone bleu.

Restauration des écosystèmes côtiers

Dans le documentaire Blue Carbon, réalisé par l’Américain Nicolas Brown et diffusé sur Canal Docs le 27 mars, Jayda Guy nous entraîne des marais de Floride à la côte colombienne, en passant par le Vietnam, la Camargue, le Sénégal à la découverte d’initiatives locales et internationales pour la restauration de ces écosystèmes côtiers, en particulier les mangroves.

En Afrique, le corset des palétuviers mi-aquatiques mi-terrestres, qui enserre le continent sur ses milliers de kilomètres de côtes tropicales, à la fois nurserie marine et rempart des terres contre les caprices des océans, craque de toutes parts, rongé par la pression humaine, immobilière et industrielle, la surexploitation halieutique, la pollution et la montée du niveau des océans.

Reboisement au Sénégal dans le delta de Saloum

Le cas sénégalais, exemplaire, est scruté de près. Les conséquences encore douloureuses des inondations de Saint-Louis en 2018, aggravées par la déforestation du littoral, sont mises en regard avec deux initiatives remarquables de reboisement côtier. La première vient de villageoises locales du delta du Saloum qui, ayant constaté l’impact direct sur leurs ressources alimentaires d’anciennes pratiques destructrices de la mangrove, ont trouvé des solutions d’exploitation respectueuse et se sont lancées dans la reconstitution des zones dégradées.

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Las, cette démarche qui a sauvé les ressources locales n’apporte pas de travail aux jeunes hommes de la communauté qui continuent de prendre massivement la route d’une migration souvent meurtrière.

À une centaine de kilomètres au nord, à Joal Fadiouth, le Dr Abdoul Karim Sall coordonne un projet de restauration de la mangrove soutenu par l’ONG britannique Wetland International. La solution, ici, emploie une jeune main d’œuvre locale et la rémunère sur les fonds apportés par la multinationale Danone en crédits carbone.

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Ce système permet aux entreprises qui dépassent les émissions autorisées en dioxyde de carbone de compenser cet excès en achetant ces crédits carbones à des entreprises qui en émettent moins ou à des projets qui mènent à l’absorber, comme la reconstitution de mangroves. Mais à Joal Fadiouth, l’approche internationale prend mal en compte les besoins des communautés locales, moins impliquées et moins sensibles à la préservation de leur environnement.

Un carbone bleu au parfum de green washing

La solution équilibrée apparaît enfin en Colombie, qui combine les deux démarches sénégalaises en associant communautés locales et ONG pour un programme de reboisement aussi structurant que pédagogique, financé en crédits carbone. La pédagogie, souligne l’équipe qui a présenté le documentaire à l’Unesco, est la première arme de la lutte contre la dégradation des zones côtières, « ligne de front de la crise climatique ».

Avec Blue Carbon, Nicolas Brown propose une belle œuvre pédagogique. Esthétiquement soigné, cadencé par la musique puissante de RZA du Wu-Tang Clan et animé par la personnalité joyeuse et sensible de Jayda G, le film montre, non sans émotion, que l’espoir subsiste pour le monde mystérieux et menacé des mangroves. Seule ombre au tableau : l’indispensable moteur financier des crédits carbone, un système controversé du « moins-pire », qui, contre quelques millions, peut conduire à exonérer les majors de la pollution des efforts qu’elles devraient faire pour réduire leurs émissions, tout en leur permettant une communication verte bienvenue.

Ce Blue Carbon n’aurait-il pas des reflets de green washing? « Les crédits carbone ne sont qu’une source parmi plusieurs de financement de ces programmes de conservation à long terme », réplique sur l’estrade Maria Claudia Diazgranados, directrice Blue Carbon à l’ONG Conservation international. Et d’ajouter : « Le versement de ces crédits par des entreprises pollueuses ne les blanchit par de leurs responsabilités, elles restent tenues de changer leurs pratiques et nous y sommes vigilants. Le risque en effet existe que des firmes utilisent le crédit carbone uniquement pour laver leur image et il s’agit de vérifier en amont du financement l’intégrité et la bonne volonté de celles qui contribuent à de tels projets. »

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