Colonisation, migration, environnement… Cinq bandes dessinées sur l’Afrique

Une profusion de récits graphiques en lien avec le continent paraissent ces jours-ci. Voici une sélection faite par Jeune Afrique.

Une profusion de récits graphiques en lien avec le continent paraissent en début de 2024.

Une profusion de récits graphiques en lien avec le continent paraissent en début de 2024.

NICOLAS-MICHEL_2024

Publié le 23 mars 2024 Lecture : 6 minutes.

Bienvenue chez les colons belges du Congo

Pour dire la vérité, c’est sans grand entrain que l’on a commencé à lire Congo Blanc, d’Éric Warnauts et Guy Raives, un recueil rassemblant trois histoires signées des deux complices : Congo 40, Fleurs d’Ébène et Congo Blanc. Pourquoi un tel manque d’enthousiasme ? D’abord ce titre, Congo Blanc, associé à une couverture surchargées de clichés. Des colons, dont deux au premier plan en tenue légère, au bord d’un fleuve sur lequel se détache, dans le contrejour du soleil couchant, une pirogue et ses rameurs que l’on imagine noirs.

Le style graphique de l’ensemble fait penser à François Bourgeon (Les passagers du vent, le Cycle de Cyann), sans la maestria érotique de ce dernier. Ceci étant posé, la lecture de Congo Blanc offre une expérience étonnante : Warnauts et Raives nous plongent littéralement dans le petit marigot colonial et la vie mondaine des blancs installés en Afrique. Il y est beaucoup question de sexe, de racisme, de pouvoir, d’exploitation. Les personnages, pour la plupart, ne sont pas sympathiques, emportés par leurs pulsions et leurs ambitions. Que pensent les auteurs de ces mâles blancs, violents, rongés par l’alcool et fascinés par la « peau d’ébène » de femmes noires qu’ils ne peuvent s’empêcher tout à la fois de désirer et mépriser ? Difficile de le savoir à la lecture, mais c’est peut-être là la plus grande réussite de ces trois histoires : le monde malsain qu’elles nous montrent instaure un malaise qui va jusqu’à la nausée. Parce que la colonisation ressemblait sans doute à cette réalité-là et que celle-ci n’a pas changé partout.

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Congo Blanc, de Éric Warnauts et Raives, éditions Daniel Maghen, 192 pages, 35 euros.

Bienvenue dans le parc de Mole, Ghana

Rendus populaires par le génial Joe Sacco – dont le Gaza 1956 – En marges de l’histoire demeure une référence terriblement d’actualité – les reportages dessinés sont à la mode. Une revue française, La Revue Dessinée, en publie chaque trimestre depuis 2013. Le royaume des Kapokiers, du Français Troubs relève de ce genre. L’auteur y raconte son séjour dans le parc national de Mole, dans le nord-ouest du Ghana, qui « abrite pas moins de 742 espèces de plantes, 90 de mammifères (dont cinq de primates), 334 d’oiseaux, 33 de reptiles, neuf de batraciens et quelque 120 de papillons… »

Mais la question qui sous-tend cette BD de plus de 130 pages, c’est avant tout celle de la relation que les habitants entretiennent avec un parc naturel où ils pouvaient autrefois chasser. Sachant que ledit parc naturel n’est pas clôt de barrières et que les éléphants, par exemple, peuvent parfois en sortir et saccager en quelques secondes des champs entretenus à grand peine… Dessinateur au trait alerte et sans fioritures, Troubs croque ses différentes rencontres avec des rangers, des membres d’ONG écologistes, des chercheurs, des élèves des écoles locales. Sympathique et pédagogique, Le Royaume des Kapokiers montre, sans moralisme, ce qu’il est possible de faire au niveau local pour protéger l’environnement. Et ce n’est pas la moindre des qualités.

Le Royaume des Kapokiers, de Troups, Futuropolis, 144 pages, 22 euros.

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Bienvenue dans le camp de Bentiu, Soudan du Sud

Deux planches tirées de "LŒil du Marabout", de Jean-Denis Pendanx, aux éditions Daniel Maghen. © Daniel Maghen 2024, Pendanx

Deux planches tirées de "LŒil du Marabout", de Jean-Denis Pendanx, aux éditions Daniel Maghen. © Daniel Maghen 2024, Pendanx

En avril 2016, Jean-Denis Pendanx a été invité par l’Unicef au Soudan du Sud pour des ateliers tests dans le camp de déplacés de Bentiu, dans le nord du pays. Il y a dirigé des ateliers et formé des instituteurs pour donner des cours de dessin. « Ce séjour a été une grande expérience émotionnelle pour moi et, durant ces dernières années, j’ai voulu la faire partager sous la forme d’un livre, d’une bande dessinée, écrit-il. […] Après beaucoup de lectures sur le conflit et cette petite expérience sur le terrain, l’idée de croiser des personnages réels dans un récit de fiction s’est peu à peu imposée, l’intention étant de placer le lecteur en immersion aux côtés de nos deux jeunes héros de la façon la plus réaliste possible. »

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LŒil du marabout est de cette intention : ce n’est donc pas un reportage, mais une fiction nourrie par un reportage et les rencontres de l’auteur – notamment celles avec deux enfants, le grand Georges et la petite Nialony. Avec beaucoup de respect pour ses personnages, Pendanx nous plonge dans le quotidien d’un camp où quelque 120 000 personnes ont trouvé refuge, sans misérabilisme, sans œillères non plus, et avec beaucoup de poésie. Particulièrement maîtrisés, le dessin et la couleur viennent renforcer la portée humaniste d’une œuvre sincère et, malgré tout, optimiste.

LŒil du marabout, de Jean-Denis Pendanx, éditions Daniel Maghen, 160 pages, 26 euros.

Bienvenue à la cité olympique d’Alger

Raconter l’histoire à hauteur d’enfant est un exercice périlleux tant il est difficile de trouver un équilibre entre l’anecdotique des souvenirs et le poids pachydermique de l’histoire officielle entretenue, après coup, par les maîtres du récit national – et ce quel que soit le pays dans lequel on vit. Avec Rwama, Mon enfance en Algérie (Tome 1), le dessinateur Salim Zerrouki réussit cet exploit haut la main.

Né en 1978, il a passé son enfance et son adolescence dans un immeuble en forme d’arc de cercle, perché sur 16 piliers, dans la Cité olympique du 19 juin 1965 créée par le président Boumediene pour accueillir le Jeux méditerranéens d’Alger en 1975. Tout en racontant la vie quotidienne telle qu’elle était alors, Salim Zerrouki décrit avec lucidité l’évolution de son pays. Bagarres et jeux entre enfants, pénuries d’eau, premiers amours, vie familiale, religion sont abordés au jour le jour et habilement reliés aux grands événements politiques des années 1975 à 1992.

Zerrouki maîtrise un trait simple, efficace, élégant. Expressifs, ses personnages évoluent dans un monde à la géométrie architecturale dans lequel ils semblent, souvent, enfermés – mais s’en sortent la plupart du temps grâce à cette inventivité enfantine sans limite qui permet de transformer en jouet même de vieux résidus de fils électriques. Rwama, néanmoins, demeure une bande dessinée d’une cruelle sévérité pour les pouvoirs en place en Algérie depuis l’indépendance. Et ce premier tome s’achève alors que commence la décennie noire, une guerre que Zerrouki dessine sous forme de parabole : des hyènes et des vautours se disputent les cadavres d’inoffensifs herbivores…

Rwama, mon enfance en Algérie. Tome 1., de Salim Zerrouki, Dargaud, 176 pages, 22 euros.

Bienvenue en exil

La douceur aquarellée des dessins de Francesca Vartuli, la violence du récit de Quitterie Simon. Ce que je sais de Rokia, paru aux éditions Futuropolis, raconte l’exil de Rokia Kolie, migrante ayant fui le Liberia, passée par la Libye et arrivée en France, à La Rochelle, via l’Italie. Ainsi présentée, l’histoire ressemble à celle de tant d’autres histoires de migrants, jalonnées d’épreuves sordides, de passeurs véreux, avec en embuscade la mort solitaire dans le désert ou dans les eaux de la Méditerranée. Ou, si la chance s’en mêle, l’arrivée en Europe et la garantie d’années de galère administrative et de cache-cache avec la police.

Ce que nous raconte Quitterie Simon, c’est évidemment tout cela, mais bien plus que cela. Ce que je sais de Rokia évoque l’accueil d’une jeune migrante illégale dans une famille française bien pensante : les difficultés de communication, l’incompréhension mutuelle, les silences, la lente acclimatation, les mensonges et les non-dits, les questions, les liens qui se nouent lentement, se brisent, se tissent de nouveau. Sincères dans leur démarche, sans rien occulter, Quitterie Simon et Francesca Vartuli décortiquent les sentiments divers, plus ou moins honorables, qui traversent une famille disposée à « accueillir l’ailleurs ». « Que sais-tu des dynamiques nécessaires pour quitter une famille, un pays, un continent ? Et de celles qu’il faut pour s’intégrer dans une monde différent ?, demande un personnage. Ne cherche pas à tout savoir, à plonger dans les abysses. Tu comprendrais à la française. La diversité, ça ne se gère pas, ça s’accueille. En faisant preuve de créativité. »

Ce que je sais de Rokia, de Quitterie Simon et Francesca Vartuli, Futuropolis, 176 pages, 23 euros.

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