Stanis Bujakera Tshiamala : « En me condamnant, ils ont tenté de faire peur à tous les journalistes »

Pressions des enquêteurs, conditions de détention, difficultés actuelles de la profession… Tout juste libéré après six mois de détention à la prison de Makala, notre correspondant en RDC, également collaborateur de l’agence Reuters et directeur adjoint du site Actualite.cd, revient sur l’épreuve judiciaire qu’il vient de traverser.

Le journaliste Stanis Bujakera Tshiamala, le 22 mars 2024. © DR

Le journaliste Stanis Bujakera Tshiamala, le 22 mars 2024. © DR

Publié le 21 mars 2024 Lecture : 6 minutes.

Jusqu’aux dernières minutes de son emprisonnement, Stanis Bujakera Tshiamala a exercé son métier de journaliste. Incarcéré durant six mois dans la sinistre prison de Makala, à Kinshasa, qu’il décrit comme une « antichambre de l’enfer », il a compilé des informations sur ses conditions de détention, visité les différentes ailes du bâtiment, interrogé des prisonniers, dont il se fait aujourd’hui le porte-voix.

Il dit sortir fort et déterminé de cette épreuve, qui lui a valu une condamnation à six mois de prison le 18 mars, par les juges du tribunal de grande instance de Kinshasa-Gombe, pour « contrefaçon », « faux en écriture », « usage de faux », « propagation de faux bruits » et « transmission d’un message erroné ». Un jugement dont il ne fera pas appel, estimant ne pas disposer de garanties sur une véritable indépendance de la justice. En attendant, il s’apprête à revenir « fort, avec la même rigueur et le même professionnalisme ».

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Jeune Afrique : Après avoir traversé cette épreuve, quel est votre état d’esprit aujourd’hui ?

Stanis Bujakera Tshiamala : Par la grâce de Dieu, je vais bien. J’ai pu tenir grâce à toute la mobilisation et à mes amis qui étaient là. Je suis soulagé parce que j’ai retrouvé mes proches et que je peux enfin reprendre mon travail sans problème. Je suis debout et fort.

La soirée du 19 mars a été pleine de rebondissements, jusqu’à ce que le ministère public se désiste de son appel. Comment l’avez vous vécue ? 

Je m’attendais à tout. Lorsqu’on m’a arrêté le 8 septembre, je me suis dit que je faisais un saut dans l’inconnu. Face à des gens sans foi ni cœur, il faut se préparer à tout. Alors, le 19 mars, quand on me dit que le document ordonnant ma libération est prêt, j’attends de voir, sachant que la situation peut rebondir à tout moment.

Je sors d’un enfer. C’est déplorable et inhumain ce qu’il se passe dans cette prison, il faut que les autorités agissent au plus vite.

Stanis Bujakera TshiamalaJournaliste
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Et voilà que ça rebondit. Je retourne donc dans ma cellule vers 21 heures et je reçois un appel d’un contact qui m’informe que je sors finalement le lendemain à 8 heures. Moi-même, une trentaine de minutes plus tard, je téléphone à une autre autorité compétente qui me dit : « prépare ta valise car tu quittes Makala cette nuit. » Dix minutes plus tard, un autre responsable m’appelle et m’informe qu’il est en chemin pour venir me chercher. C’est à ce moment que j’ai compris que quelque chose se passait.

À 22 heures et alors que la prison est fermée depuis 18 heures, les militaires sont envoyés afin d’ouvrir le pavillon 8, dans lequel j’étais incarcéré. Après les formalités d’usage, ils me sortent de là et m’amènent dans le bureau du directeur, qui a donc fait revenir toutes ses équipes. Ce dernier me remet l’ordre de libération et c’est un soulagement. Je revois la scène. Mon confrère de Actualite.cd, Patient Ligodi, qui est avec moi, me prend dans ses bras. Il y a beaucoup d’émotion. Nous partons très vite, craignant un nouveau rebondissement !

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Vous avez évoqué des conditions de détention « inhumaines » à Makala. Pouvez-vous les détailler ?

Qu’on ne s’y trompe pas, Makala c’est l’antichambre de l’enfer. Dans le pavillon 8, qui héberge une centaine de détenus, vous avez quatre chambres de 5 mètres sur 7 que se partagent 15 à 30 personnes. Vous utilisez quatre toilettes combinées aux douches et un seul lavabo, pour lequel vous attendez longuement votre tour, comme à l’école primaire.

À mon arrivée, je me suis dit : « mais c’est cela le fameux pavillon VIP ? » Alors trois semaines plus tard, j’ai décidé de visiter les autres pavillons, il y en a au moins onze. Et je vous le dis, c’est la mort. Les gens sont dans des situations ignobles. Construite pour une capacité d’accueil de 1 500 personnes, Makala en renferme plus de 14 400. Évidemment la prise en charge pose problème, et la direction se démène tant bien que mal. Makala, c’est aussi deux à quatre décès par jour. Ce sont des faits, je suis journaliste, je l’ai vu.

Parmi tous ces détenus, près de 9 000 n’ont jamais été jugés. D’autres l’ont été, mais attendent le prononcé des différentes juridictions depuis plusieurs années. Parmi ceux qui ne connaissent pas leur sort, je vais vous parler d’un cas, celui du plus vieux prévenu de Makala : Damas Ngoy Nkungu. Il est arrivé dans le cadre d’un dossier de vol à main armée après avoir été arrêté par le parquet militaire. Et cela fait 21 ans qu’il est là, sans aucune explication.

Enfin, Makala c’est aussi un petit hôpital pour tous ces prisonniers, dépourvu de médicaments et de matériel nécessaire. Je sors d’un enfer. C’est inhumain ce qu’il se passe dans cette prison, il faut que les autorités agissent au plus vite.

Vous avez partagé votre cellule avec Jean-Marc Kabund, l’ancien chef du parti présidentiel condamné à sept ans de prison… 

Lorsque je suis entré dans la chambre 2, il y avait effectivement Jean-Marc Kabund. On s’est salués, puis il a demandé à discuter avec moi après mon entretien avec le gouverneur de la prison. On a passé une heure ensemble, durant laquelle il a exprimé sa compassion à mon égard et son indignation de me voir subir cette injustice. Installés dans des lits opposés, nous avons eu chaque jour des discussions intenses, nous parlions de tout et de rien. J’ai laissé un homme déterminé à poursuivre son combat dans l’opposition contre le pouvoir actuel.

J’ai refusé jusqu’au bout de dévoiler mes sources et c’est ainsi que l’on m’a attribué la responsabilité du document contesté par le gouvernement, c’était une façon de me mettre la pression.

Stanis Bujakera TshiamalaJournaliste

Vous avez subi des pressions afin de dévoiler vos sources. Estimez-vous qu’à travers vous, c’est le journalisme indépendant qui était visé ?

On tente effectivement de faire peur aux journalistes afin qu’ils ne puissent plus vraiment exercer leur travail dans ce pays. Quand on m’a arrêté, on m’a tout de suite demandé de divulguer le nom de mes sources, de ceux qui partagent avec moi des informations au sein des institutions, de mes contacts.

J’ai été arrêté un vendredi. Le lundi, cinq jours avant, une source m’a alerté de ce qu’il se tramait. Elle m’explique alors qu’ils n’arrivent pas à comprendre comment j’ai accès aux informations les plus sensibles et qu’ils comptent vérifier mes téléphones. Comme je n’avais rien à me reprocher, j’ai décidé de rester à Kinshasa, car le Congo c’est chez moi.

Quand on m’a finalement arrêté, on m’a amené devant la commission Okende [chargée d’enquêter sur le meurtre de l’ancien ministre et député congolais Chérubin Okende, ndlr]. Et là, on m’a dit : « donne-nous tes sources, donne-nous des noms. » Le journaliste ne peut pas être mis dans ces conditions, ce n’est pas possible. J’ai refusé jusqu’au bout de dévoiler mes sources et c’est ainsi que l’on m’a attribué la responsabilité du document contesté par le gouvernement, c’était une façon de me mettre la pression.

Pour l’honneur et pour l’avenir du journalisme indépendant dans ce pays, j’ai accepté de prendre sur moi cette condamnation inique et honteuse, car je sais que les juges m’ont acquitté. Sauf qu’un ordre a été donné quelque part, et le jugement qui a été rendu a été dicté. Malheureusement l’indépendance de la justice en RDC est aussi un combat.

C’est pour cela que vous avez décidé de ne pas faire appel ?

Oui, car je n’ai pas de garanties d’une justice réellement indépendante. Mais cela ne veut pas dire que j’abandonne. Je ferai de mon mieux, même 20 ans ou 30 ans plus tard, pour obtenir coûte que coûte l’annulation de ce jugement, que l’on m’a collé pour protéger certains hommes forts. Nous restons forts pour protéger l’avenir du journalisme indépendant en RDC.

Pourquoi est-ce si difficile d’exercer son métier de journaliste en Afrique aujourd’hui  ?

Vous voyez le prix qu’il faut payer. On veut vous soumettre, encadrer votre travail, vous placer dans une situation de dépendance. Et si vous ne coopérez pas, on vous met en prison. Nous ne voulons pas de ce genre de journalisme en Afrique, on ne peut pas laisser perdurer ces pratiques qui visent à intimider, menacer, voire tuer des journalistes, comme ce fut le cas pour Martinez Zogo au Cameroun. Nous revendiquons le droit de pouvoir exercer notre métier librement, sans pression ni intimidation. Notre travail ne consiste qu’à collecter, traiter et diffuser.

Vous êtes libre, qu’allez-vous faire désormais ?

Je vais d’abord me reposer en famille avant de revenir vite, car l’information n’attend pas. Je sens que les gens ont soif d’informations certifiées et qu’ils attendent beaucoup de nous. Je vais revenir fort, avec la même rigueur, le même professionnalisme et surtout la même détermination afin de faire triompher à jamais le journalisme indépendant en RDC et partout en Afrique.

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