Slim Douiri, le chef tunisien esthète qui met le bistro au top
Deux ans seulement après son ouverture, Cult, le restaurant bistronomique et créatif du jeune chef tunisien a trouvé sa place dans le classement des 50 meilleurs restaurants en Afrique du Nord et au Moyen-Orient.
Entre neuf heures du matin et minuit, Slim Douiri quitte rarement ses fourneaux. Baskets colorées aux pieds et blouse de chef sur les épaules, il reçoit dans sa cuisine favorite, celle de Cult Bistro, son restaurant dont la baie vitrée surplombe à 180° la banlieue nord de la capitale tunisienne. En admirant la vue sur la cathédrale de Carthage, on peut y déguster des baos au tartare de thon, kumquat et kimchi maison, ou encore un canard poêlé avec des brochettes de chou, du jus de bœuf et des pleurotes laquées à la mélasse de caroube – la graine du caroubier, arbre symbolique du pourtour méditerranéen.
Un spectacle culinaire relevé et épicé
Entre cuisine française de bistrot et influences tunisiennes et asiatiques, les plats de Slim Douiri dénotent en Tunisie, où les nourritures locales et méditerranéennes sont souvent les grandes favorites. « L’idée n’est pas de revisiter la cuisine tunisienne, car elle est déjà riche et diversifiée. Je voulais plutôt miser sur mes influences culinaires et une présentation plus originale et travaillée des plats », explique Douiri.
Issu de la génération Top Chef et des shows culinaires – auxquels il a participé plusieurs fois –, le cuisinier fait de ses plats de véritables œuvres d’art, pour lesquels l’esthétique ou bien le côté « instagrammable » de la présentation joue autant que l’aspect alléchant. Alors que les restaurants de la capitale présentent souvent des assiettes bien garnies mais de façon classique, le dressage à la fois simple et percutant des plats de Cult se démarque et fait mouche sur les réseaux sociaux.
Un chou-fleur fumé servi couvert d’une cloche transparente dont s’échappe la vapeur une fois découvert, une boule de chocolat blanc qui fond sous la coulée d’une sauce framboise chaude versée à la minute… Dans chaque plat, le jeu des couleurs équilibre savamment les différentes saveurs, avec des produits faits maison et des ingrédients frais. Si le concept du spectacle culinaire n’est pas nouveau, le succès du Cult Bistrot repose aussi sur la préservation de certaines saveurs favorites des Tunisiens : la dimension relevée et épicée, les textures charnues du poulpe et des viandes et une légère acidité. Le tout en introduisant de nouveaux goûts comme le sésame noir pour une pavlova sésame noir framboise en dessert ou bien un chou-fleur parfumé de vanille.
Passé par l’Atelier de Joël Robuchon
Lorsqu’il décroche un baccalauréat mathématique et part en Allemagne pour des études d’ingénieur en électromécanique, Slim Douiri se rend vite compte de son erreur de parcours et il laisse tomber au bout de trois mois pour se reconvertir dans l’hôtellerie. Amoureux de cuisine et des tartes sucrées de sa mère depuis son adolescence, il décide d’apprendre l’art culinaire en passant par l’Institut des hautes études touristiques de Sidi Dhrif. Il fera ensuite un séjour à Paris à l’école culinaire Le Cordon bleu et à L’Atelier de Joël Robuchon, restaurant gastronomique parisien du célèbre chef décédé en 2018. Il y apprend à préparer la fameuse purée de pomme de terre, des ravioles langoustines-foie gras ou encore une salade haricot vert et foie gras wasabi.
Le chef voyage aussi en Tanzanie, où il y découvre une cuisine aux influences arabes et indiennes. Séduit, il y réside pendant plus d’un an jusqu’à participer, en 2019, à l’édition de Top Chef Mena, où il est finaliste, après avoir aussi terminé en demi-finale de l’émission égyptienne The Taste, en 2015.
À partir de ses expériences dans différents pays et à la télévision, Slim Douiri construit sa propre identité culinaire, aussi influencée par son héritage : la cuisine de sa grand-mère, à Douiret, dans le sud tunisien. « C’est très différent de la cuisine tunisoise, on ne prépare pas le couscous de la même façon, les épices sont différentes selon les plats, on fait beaucoup de ragoûts de légumes. Tout cela m’a permis de varier les recettes dans les menus que je propose en m’inspirant toujours du patrimoine tunisien », explique le chef, qui peaufine pendant la période de la pandémie l’idée d’un restaurant à son image en Tunisie. En 2021, associé avec un ami, il lance Cult.
Derrière les fourneaux de plusieurs restaurants
Le bouche-à-oreille et les réseaux sociaux font le reste. Le restaurant affiche rapidement complet et réussit un autre pari : servir des plats raffinés, avec des tarifs élevés, entre 25 et 70 dinars (de 5 à 25 euros) sans les accompagner d’alcool. Dans le pays, la licence est difficile à acquérir pour les restaurants situés en dehors des zones touristiques ou ne dépendant pas d’un complexe hôtelier. « Nous ne savions pas si ça allait marcher, mais au final, la clientèle vient avant tout pour le concept et la nourriture, c’est le plus important », estime Douiri, qui attire aussi une clientèle étrangère.
Pour jouer sur les accords mets et vins, il a monté le concept de La Table du Golfe, dans un autre restaurant, Le Golfe, où les clients viennent déguster des bouchées autour de différents vins. Dans un autre restaurant, L’Olivia, à Gammarth, dont il signe le menu, il propose des recettes plus méditerranéennes, comme un ceviche de poisson à l’orange, lait d’amande et sauce gravlax, un vitello tonnato ou encore un poulpe grillé accompagné d’une purée d’artichaut et de petit pois grillés. Une façon de jongler avec sa créativité et de s’adapter à chaque concept. « C’est pourquoi je ne quitte jamais les cuisines, quand je ne suis pas à Cult, je suis à L’Olivia et vice-versa, sinon je m’ennuie », plaisante-t-il.
Bientôt un restaurant dans le sud de la France ?
Derrière les fourneaux, une équipe de jeunes Tunisiens, tous venants d’écoles hôtelières ou de l’Académie des chefs, une école privée de professionnels de la cuisine et de la pâtisserie. « Je les forme aussi en plus de ce qu’ils ont déjà appris et ensuite, je les répartis dans les différents restaurants, cela me permet de décliner ma cuisine sur différents concepts », déclare le jeune chef, qui partage volontiers les secrets de ses recettes et même certaines astuces de dressage. En témoigne l’ambiance en cuisine, à la fois assidue et décontractée et perfectionniste.
« Le fait d’avoir une cuisine ouverte sur le restaurant permet d’avoir les effluves et les arômes qui circulent, mais cela impose aussi une discipline, une rigueur et une hygiène pour l’équipe », explique Douiri, qui hausse rarement la voix et plaisante spontanément avec les commis.
À rebours de certains jeunes qualifiés qui rêvent de partir, Slim Douiri valorise le fait d’avoir investi en Tunisie « après avoir beaucoup appris aussi à l’étranger ». Il s’adapte aux pénuries qui rythment le quotidien des Tunisiens, plongés dans la récession économique. « Quand il n’y a pas de beurre, de lait ou de sucre, ça rend les choses compliquées pour nos pâtisseries, mais on essaye de faire avec », déclare le chef qui sert aussi ses plats sans pain, dans un pays où la consommation de la baguette est l’une des plus élevées au monde. « Bien sûr le pain reste disponible à la demande du client, assure-t-il, mais nous tentons quand même de lui faire savourer les plats sans ajouter du pain. »
Aujourd’hui, être classé à la 47e place dans les cinquante meilleurs restaurants de la région Mena offre une reconnaissance et une visibilité hors des frontières tunisiennes. Un plus pour Slim Douiri qui rêve d’ouvrir un restaurant dans le sud de la France. En attendant, il prépare le menu de rupture du jeûne pour le mois de ramadan, plus focalisé sur la cuisine tunisienne traditionnelle, mais avec un dressage original, pour conserver sa marque de fabrique.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Algérie : Lotfi Double Kanon provoque à nouveau les autorités avec son clip « Ammi...
- Stevie Wonder, Idris Elba, Ludacris… Quand les stars retournent à leurs racines af...
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- En RDC, les lampions du festival Amani éteints avant d’être allumés
- Bantous : la quête des origines