Les pirates ont le blues
Loin des clichés romanesques sur leur activité, nombre de pirates du port somalien de Hobyo jurent qu’ils troqueraient volontiers la flibuste pour un emploi stable et rémunéré. Encore faudrait-il que cela existe dans leur pays livré au chaos.
Le jeune Ahmed Osoble ressemble à beaucoup de jeunes de cette ville côtière de l’Océan Indien, au nord-est de la Somalie, devenue en quelques années un des centres mondiaux de la piraterie. Il a grandi comme pêcheur et croyait faire cela toute sa vie. "Vers 2003, les quantités de poisson ont commencé à diminuer sérieusement dans nos eaux et il est devenu presque impossible de vivre de la pêche", raconte-t-il d’une voix douce. Ahmed se souvient du jour de 2008 où il a abandonné ses filets pour sa première mission de pirate. "Je n’avais pas peur, c’était ça ou rien. Je n’avais plus rien à manger".
Lors d’une autre mission l’année suivante, Ahmed et ses compagnons se sont égarés loin au large dans l’Océan Indien. "Il pleuvait beaucoup. Nous n’avions aucune idée de l’endroit où nous étions lorsque nous avons aperçu des petits voiliers. C’était des touristes, je crois (…) ils nous ont dit que nous étions aux Seychelles. Nous étions dans un tel désarroi que nous n’avons même pas pensé à les kidnapper", se souvient-il. "Plus tard, nous avons vu deux bateaux de patrouille et un hélicoptère venir vers nous, et c’en était fait de nous", raconte Ahmed.
"Si je pouvais trouver un emploi, je commencerai aussitôt"
Après plusieurs mois de captivité aux Seychelles, Ahmed est revenu dans un groupe de pirates à Hobyo, même s’il ne prend plus la mer. "Si je pouvais trouver un emploi dans une pêcherie près de Hobyo avec une paie mensuelle, je commencerais aussitôt", assure-t-il. Mais il n’y a pas d’usine qui tourne ni à Hobyo, ni dans les environs.
Ecoterra International, une organisation non gouvernementale qui milite pour la protection des droits et des ressources des communautés côtières dans la région, a voulu lancer un projet, sans parvenir à ce jour à obtenir les fonds nécessaires.
La région de Galmudug, qui a proclamé son autonomie tout en reconnaissant le gouvernement fédéral de Mogadiscio, appelle également les pays riches à mettre la main à la poche. "Tant que nous ne serons pas davantage aidés, la piraterie restera une réalité", prédit Ismail Haji Noor, chargé de la lutte contre la piraterie dans l’"Etat" de Galmudug. "Mais ce que les Européens offrent pour le moment c’est une peine de prison ou une balle". "Je pense que si ces gars avaient la chance d’obtenir un salaire mensuel, ils arrêteraient de prendre la mer pour capturer des navires".
De pirate à garde-côte ?
Face à l’essor de la piraterie au large de la Somalie, les puissances occidentales ont déployé des douzaines de bâtiments de guerre et concentré leurs efforts à arrêter et faire juger les suspects, au détriment de toute aide à la création de formes alternatives d’emploi.
Aujourd’hui, les principaux chefs des pirates ont pris goût au pouvoir et un homme comme Mohamed Garfanji -le plus puissant d’entre eux – contrôle une petite armée. "Je ne crois pas que Garfanji puisse revenir à la pêche", admet Mohamed Aden "Tiiceey", président d’une autre région à l’autonomie auto-proclamée, celle de Himan et Heeb. "Mais si nous trouvions de l’aide pour construire notre administration, il pourrait obtenir une place comme chef des garde-côtes. Il connaît déjà toutes les ficelles", estime-t-il.
"J’aimerais bien être garde-côte même si le salaire était petit", assure en écho Aweys Ali Jimaale "Madehe" (Grosse tête, en langue somalie), autre chef pirate bien connu à Hobyo.
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