En Algérie, pourquoi Abdelmadjid Tebboune précipite-t-il l’élection présidentielle ?
Alors que le scrutin présidentiel était prévu en décembre 2024, le chef de l’État décide, contre toute attente, de l’organiser trois mois plus tôt. Si Tebboune se déclare candidat, l’affaire semble pliée d’avance. Mais il ne s’est toujours pas exprimé sur le sujet.
Ce vendredi 22 mars, 44 millions d’Algériens se demandent encore ce qui a bien pu se passer au sommet de l’État pour que le président Abdelmadjid Tebboune décide d’annoncer la tenue d’une présidentielle anticipée, le samedi 7 septembre 2024, alors que son mandat actuel expire le 12 décembre prochain.
Depuis l’annonce, tombée le jeudi 21 mars en fin de journée, simples citoyens, opposants, initiés du pouvoir et diplomates étrangers cherchent désespérément des informations, des explications et des analyses pour comprendre les raisons qui motivent le changement de date et surtout ses implications, aussi bien sur la candidature ou non du chef de l’État à sa propre succession que sur la vie politique en Algérie. Sonnés, abasourdis, interloqués. Ce sont les mêmes mots qui reviennent dans la bouche de ceux qui suivent de près l’actualité algérienne.
La surprise est d’autant plus vive qu’il y a moins d’un mois, le 27 février, un commentaire de l’agence officielle Algérie presse service (APS) – qui est directement reliée à la direction de la communication de la présidence de la République – répondait aux rumeurs faisant état d’un possible report du scrutin présidentiel en précisant que « les élections auront lieu en temps, tel que c’est prévu par la Constitution, et ce, par respect pour le peuple algérien, seul détenteur de la souveraineté ». Vingt-quatre jours plus tard, changement de cap aussi surprenant qu’inattendu. Il n’est plus question de report, mais bel et bien d’un scrutin par anticipation. Que s’est-il donc passé pour que le président Tebboune avance la date du vote de trois mois ?
Le pays ne traverse ni crise politique, ni crise institutionnelle, ni dissensions majeures au somment de l’État qui justifieraient aujourd’hui cette décision, comme ce fut le cas en septembre 1998. Le président Liamine Zeroual avait alors décidé de démissionner et d’organiser une élection présidentielle en avril 1999 alors que son mandat devait expirer en novembre 2000, dans un contexte qui n’a rien à voir avec celui de 2024. Zeroual était lassé du pouvoir, en désaccord avec une partie de l’establishment militaire. Tel n’est pas le cas avec l’actuel chef de l’État.
L’hypothèse d’un second mandat
Mais alors comment comprendre l’annonce de ce jeudi 21 mars, alors qu’officiels, médias et relais du pouvoir répètent à l’envi que « l’Algérie nouvelle » promise par Abdelmadjid Tebboune depuis son accession au pouvoir en décembre 2019 est sur la bonne voie ? Les réserves de change culminent à près de 80 milliards de dollars grâce à l’envolée des cours du pétrole. Sur le plan économique, les indicateurs sont encourageants. Mardi 20 mars, le Palais d’El Mouradia annonçait que 6 103 projets d’investissements ont été réalisés entre novembre 2022 et février 2024, générant 150 000 emplois directs.
D’ailleurs, le 26 décembre décembre dernier, au lendemain du discours prononcé par Abdelmadjid Tebboune devant le Parlement pour dresser un bilan reluisant de ses quatre années de mandat, la presse étaient dithyrambique. « Les élus du peuple demandent un deuxième mandat pour Tebboune », « L’Algérie se porte bien », « Un discours pour l’Histoire », ou encore « L’Algérie se développe, ayez confiance en notre peuple », tiraient les journaux. Ce jour-là, au Parlement, les élus du peuple ont invité à maintes reprises Abdelmadjid Tebboune à briguer un second mandat. Ce à quoi il a répondu par cette phrase : « La parole revient au peuple, et que Dieu nous prête la santé nécessaire. »
Si le président ne s’exprime jamais ni en public ni face à ses visiteurs sur ses intentions futures, il ne fait pas mystère de son envie de durer encore au pouvoir. À l’un de ses hôtes qu’il avait reçu en décembre 2023, le président expliquait subtilement qu’il n’avait pas eu suffisamment de temps pour accomplir son œuvre au Palais d’El Mouradia. Il y a eu la pandémie du Covid-19, dont il a lui-même été victime en octobre 2020, ce qui a nécessité une hospitalisation et une longue convalescence en Allemagne.
De l’avis même du principal intéressé, qui fût jadis un gros fumeur, il en a réchappé miraculeusement grâce aux médecins allemands. Depuis, toutes les précautions sont prises à la présidence, avec port du masque et test PCR obligatoires pour tous ceux qui approchent de près le président. Évidemment, les séquelles de cette maladie ainsi que l’âge du capitaine – qui fêtera ses 79 ans en novembre prochain – pèsent lourds dans l’équation, quand bien même ces deux questions relèvent du tabou.
Mais alors, qu’est-ce qui justifie que cette présidentielle soit avancée de trois mois ? S’agirait-il alors d’un coup de force ? Mené par qui, et pour barrer la route à qui ? Le président lui-même a-t-il voulu mettre tout le monde devant le fait accompli ? Se pourrait-il que la candidature d’Abdelmadjid Tebboune pour un nouveau mandat n’ait pas obtenu un large consensus au sein de l’institution militaire et que certains cercles au sein du pouvoir songent à un plan B pour contrer ou gêner sa reconduction à la tête de l’État ?
Imposer son calendrier à l’armée ?
Certes, l’armée affiche homogénéité et cohésion. Certes, encore, Saïd Chengriha est un chef d’état-major qui ne souffre pas de contestation et ne manque jamais une occasion de s’afficher aux côtés du président. Mais la Grande Muette est aussi traversée par des courants qui n’épousent pas forcément le discours officiel qui voudrait que tout va bien en Algérie, et qui s’interrogent sur la perspective de voir Abdelmadjid Tebboune terminer son second mandat à l’âge de 85 ans. Dans cette hypothèse, on comprendrait alors que Tebboune ait décidé de couper l’herbe sous les pieds de ceux qui pourraient envisager un futur pour l’Algérie sans lui. En décidant d’avancer le scrutin, il signifierait ainsi à tout monde qu’il est le véritable patron, le maître des horloges, le grand ordonnateur de cette présidentielle, l’homme de la situation.
La décision d’organiser ce scrutin le 7 septembre est aussi une habille parade pour éviter que la campagne électorale n’intervienne en pleine rentrée scolaire et sociale, période traditionnellement riche en marasme, grognes, grèves et autres tensions. Même si les mouvements de contestation et de protestation sont sous contrôle total depuis l’étouffement du Hirak à coups de répression et d’emprisonnements, le pays n’est jamais à l’abri d’une irruption. Il fait se souvenir que personne, absolument personne, n’a vu venir le Hirak de février 2019 qui a fait tomber le régime de Bouteflika en moins de six semaines.
La campagne électorale pour cette présidentielle de septembre 2024 se déroulera donc en période de vacances estivales, certainement dans un climat caniculaire peu ou pas propice aux activités politiques et aux meetings en plein air ou dans les salles. C’est la première fois en Algérie qu’une campagne électorale se tiendra au cœur de l’été. Déjà désabusés de la politique depuis la mort du Hirak en février 2022, les Algériens le seront encore davantage avec une présidentielle qui interviendra au sortir d’un été qui s’annonce étouffant.
Reste une inconnue : Abdelmadjid Tebboune sera-t-il bien candidat à sa propre succession ? Si c’est le cas, le suspense est mort et l’affaire pliée d’avance. À chaque fois que son prédécesseur, Abdelaziz Bouteflika, s’est représenté en 2004, en 2009 et en 2014, il avait taillé la concurrence en pièces avec des scores soviétiques. Il n’y a pas de raison que cela change le 7 septembre prochain, même si une surprise peut toujours s’annoncer. Après tout, qui aurait dit au matin du jeudi 21 mars qu’Abdelmadjid Tebboune allait annoncer une présidentielle anticipée ?
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