En Côte d’Ivoire, Robert Beugré Mambé, un Premier ministre confirmé
Nommé à la primature en octobre 2023, à la surprise générale, le discret technocrate a réussi la mission première que lui avait confiée Alassane Ouattara : garantir le succès de la CAN. Six mois après sa prise de fonction, il semble avoir relevé un autre défi, celui de faire l’unanimité au sein de la majorité.
Côte d’Ivoire : une nouvelle donne
Six mois après la nomination du gouvernement Beugré Mambé et à dix-huit mois de la présidentielle, pour tous les partis, c’est l’heure des comptes et de la pré-campagne. Ont-ils tiré les leçons des élections locales de septembre 2023 ? Alassane Ouattara va-t-il se présenter ou va-t-il désigner un dauphin ? La candidature de Tidjane Thiam peut-elle rebattre les cartes ? Le parti de Laurent Gbagbo, qui reste inéligible, peut-il remobiliser ses militants et les électeurs ? De l’hypothèse d’un quatrième mandat d’ADO à l’éventuel retour de Guillaume Soro, voyage à travers un paysage politique et un pays en pleine mutation.
En apprenant la nomination de Robert Beugré Mambé au poste de Premier ministre, le 16 octobre 2023, combien ont fait part d’un étonnement si prononcé qu’il en était presque moqueur ? Qui avait réellement pris au sérieux l’ancien gouverneur du district autonome d’Abidjan, avec ses épais cheveux grisonnants et ses références bibliques ?
Six mois après cette nomination surprise, Robert Beugré Mambé a mis tout le monde d’accord. Aujourd’hui, la bonhomie de celui qu’un membre du premier cercle du président décrit comme « taiseux et travailleur » semble même rassurer l’exécutif. Appelé à la rescousse pour faire de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) un succès, il a pleinement réussi sa mission et profité de la victoire des Éléphants. Ce n’est pas pour rien que, lorsqu’il a reçu le trophée de la compétition des mains des joueurs de la sélection, le 13 février, au palais présidentiel, le président Alassane Ouattara (ADO) lui a adressé des remerciements appuyés.
Remplaçant de Patrick Achi et de Paulin Danho
Début octobre, les autorités n’en menaient pourtant pas large. Le 12 septembre, la rencontre amicale entre la Côte d’Ivoire et le Mali, disputée au stade olympique Alassane-Ouattara d’Ébimpé, situé dans le nord-ouest d’Abidjan, avait dû être stoppée en raison des intempéries après seulement quarante-cinq minutes de jeu. Ce couac causé par une forte pluie, inondant la pelouse et laissant entrevoir un problème de drainage, avait provoqué la colère du chef de l’État et mis en exergue le travail colossal qui restait à accomplir avant d’accueillir la CAN, une compétition déjà décalée de six mois.
Le 16 octobre, en plus de la primature, Robert Beugré Mambé récupère le maroquin des Sports, au détriment de Claude Paulin Danho qui, comme l’ex-Premier ministre Patrick Achi, fait les frais du « fiasco d’Ébimpé ». « Je rappelle qu’en 2017, alors ministre des Jeux de la francophonie, vous avez en très peu de temps permis à notre pays d’organiser avec grand succès la 8e édition de ces jeux », lance ADO au nouveau chef du gouvernement, à l’issue du Conseil des ministres, deux jours après sa nomination.
Beugré Mambé imprime immédiatement sa marque pour redynamiser le Comité d’organisation de la CAN (Cocan), assurer le suivi des travaux d’aménagement des stades sélectionnés et la préparation des Éléphants, la sélection nationale. Il parvient à fluidifier la cohabitation avec François Albert Amichia, le président du Cocan, qui entretenait des relations houleuses avec Claude Paulin Danho. Rassembleur, il ratisse large et rencontre les représentants de toutes les communautés et confessions du pays pour les impliquer dans l’organisation de la compétition.
« Beugré Mambé a eu une vraie influence. Des enquêtes ont été menées sur la qualité des stades. C’était inquiétant. Les équipements étaient de piètres qualités. Le PM [Premier ministre] a rectifié le tir », estime un membre de la primature en poste sous Patrick Achi.
Unanimité au sein du RHDP
Dans le camp présidentiel, Robert Beugré Mambé fait désormais l’unanimité. Tout le monde le trouve très compétent, très bon technicien. »Mambé, c’est un mobilisateur, ses actions sont bien articulées, il n’y a rien à redire sur ses compétences », juge un cadre du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP, au pouvoir). « ADO a encore prouvé qu’il savait trouver une place pour chacun, la bonne place. Personne n’aurait pensé à le nommer », reconnaît un ministre.
Alassane Ouattara apprécie le profil de cet homme singulier. Ingénieur en génie civil de formation, il fait ses gammes au Bureau central d’études techniques et de développement (BNETD) en tant que chef de département des grandes infrastructures, poste qu’il conservera jusqu’en 1981. Il s’occupe notamment de la conception et de la réalisation de ponts, de grandes voiries et d’ouvrages d’assainissement à travers le pays. Il a également dirigé plusieurs cabinets ministériels et a été consultant pour la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD) sur des projets impliquant des collectivités territoriales en Côte d’Ivoire et en Afrique centrale.
Fils de pasteur, Robert Beugré Mambé accorde une place importante à la foi. Dans son premier discours en tant que chef du gouvernement, ce prédicateur de l’Église méthodiste unie de Côte d’Ivoire avait demandé à Dieu de lui accorder « la foi d’Abraham […], le courage et la proximité de David avec tout ce qui est divin […], la sagesse et l’intelligence de Salomon […], l’humilité, la pugnacité et la rigueur de Joseph auprès du pharaon ».
Ministre-gouverneur du district autonome d’Abidjan de 2011 jusqu’à sa nomination à la primature, Mambé, comme son prédécesseur Patrick Achi, est un transfuge du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI). Originaire du sud du pays, membre influent de la communauté atchan (ébrié), il est élu local depuis une trentaine d’années. En septembre 2023, il a été élu maire de Songon, une sous-préfecture de son district, dont il était déjà député (depuis 2021) sous l’étiquette du RHDP, le parti au pouvoir, qu’il a décidé de rejoindre lors de la rupture entre Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié, en 2018.
Loyal à Alassane Ouattara
Mais au contraire de Patrick Achi, Robert Beugré Mambé a réussi à se faire une place dans cette formation fondée sur les cendres du Rassemblement des républicains (RDR). Vice-président du directoire du RHDP, il en est aujourd’hui la troisième personnalité. Il est aussi considéré comme plus loyal au chef de l’État que ne l’est Achi, dont les ambitions présidentielles sont assumées. Encore aujourd’hui, le président du conseil régional de La Mé estime être le mieux à même de préserver et perpétuer l’héritage d’Alassane Ouattara.
Ces dernières semaines, l’hypothèse d’un retour de Patrick Achi dans le « système Ouattara » a circulé. D’aucuns ont remarqué que le chef de l’État avait pris soin de le placer au plus près de lui à chaque match de la CAN auxquels il a assisté. Et, mi-mars, en marge du dîner de gala de la fondation de Dominique Ouattara, Children of Africa, l’ancien Premier ministre et son épouse faisaient partie des happy few reçus par le couple présidentiel dans un salon du Sofitel Abidjan Hôtel Ivoire.
Robert Beugré Mambé devrait de son côté poursuivre sa mission encore plusieurs mois. En privé, le chef de l’État vante le travail de ce technocrate qui, au contraire de Patrick Achi, « décide ». « Achi était incapable de trancher. Alassane [Ouattara] était obligé de tout faire, tout remontait à lui. Pour le moment, Beugré Mambé lui donne pleine satisfaction. Il n’a aucune raison de changer à nouveau de Premier ministre, conclut un proche du président. Il pourra revoir son architecture en fonction de la configuration qui sera établie pour 2025. »
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Côte d’Ivoire : une nouvelle donne
Six mois après la nomination du gouvernement Beugré Mambé et à dix-huit mois de la présidentielle, pour tous les partis, c’est l’heure des comptes et de la pré-campagne. Ont-ils tiré les leçons des élections locales de septembre 2023 ? Alassane Ouattara va-t-il se présenter ou va-t-il désigner un dauphin ? La candidature de Tidjane Thiam peut-elle rebattre les cartes ? Le parti de Laurent Gbagbo, qui reste inéligible, peut-il remobiliser ses militants et les électeurs ? De l’hypothèse d’un quatrième mandat d’ADO à l’éventuel retour de Guillaume Soro, voyage à travers un paysage politique et un pays en pleine mutation.
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