En Tunisie, le journaliste Mohamed Boughalleb à nouveau ciblé par la justice
Régulièrement convoqué et mis sous pression par les autorités, le journaliste audiovisuel est à nouveau en garde à vue pour s’être interrogé sur la gestion des deniers publics par le ministère des Affaires religieuses.
En Tunisie, il ne fait pas bon être journaliste. La profession, dont on sait qu’elle n’est pas appréciée des pouvoirs autoritaires, est dans le collimateur des gouvernants. Clap de fin de la parenthèse démocratique ? Sans doute pas. Ni la corporation, ni la société civile, ni les Tunisiens n’accepteraient un retour au musellement ou à une information formatée.
Il n’empêche, la nouvelle affaire Mohamed Boughalleb est celle de trop : cette fois, ce n’est pas un ministre qui le poursuit – en l’occurrence Ibrahim Chaïbi, ministre des Affaires religieuses, avec lequel il avait eu maille à partir d’avril 2023, et qui avait été débouté par la justice.
La nouvelle plainte en diffamation déposée contre Boughalleb est le fait d’une fonctionnaire de ce même ministère. Dans un échange avec son confrère Amine Dhbaibi sur Cap FM, Boughalleb s’était interrogé sur la gestion des deniers publics par le ministère des Affaires religieuses, dont le ministre ne se prive d’aucune mission à l’étranger accompagné d’une fonctionnaire de son département dont le nom n’a pas été cité.
Ibrahim Chaïbi fait d’ailleurs face à de nombreuses critiques : sans réel bilan, il a fait publier pas moins de 8 317 photos sur les réseaux sociaux pour illustrer 29 mois d’activités pour le moins superficielles.
Me Abdelaziz Essid également convoqué
Dans ses grandes lignes, l’affaire est terriblement banale : en Tunisie, les membres du gouvernement portent plainte dès qu’un syndicaliste ou un journaliste dénoncent ce qui pourrait s’apparenter à une dérive ou à un abus. La mise sous pression concerne aussi les avocats : Me Abdelaziz Essid doit ainsi comparaître, le 27 mars, devant la huitième chambre correctionnelle près le tribunal de première instance de Tunis à la suite d’une plainte de la ministre de la Justice, Leïla Jaffel.
Les affaires en diffamation ou en diffusion de fausses informations n’en finissent pas de s’accumuler et sont d’ailleurs plus rapidement traitées que celles portées par de simples citoyens pour des motifs similaires ou plus graves.
Le rapport de force est déséquilibré et Mohamed Boughalleb le sait bien, lui qui a eu à en subir plusieurs fois les conséquences ces deux dernières années. Placé en garde à vue et menotté, comme s’il s’agissait d’un criminel, le journaliste, atteint de maladies chroniques, aurait pu être entendu et maintenu en liberté.
Une prémonition dans « Denya Zina »
Mais les opposants politiques le savent : en Tunisie, les convocations du vendredi sont bien trop souvent suivies d’un placement en détention provisoire. Histoire de faire tâter de la prison au prévenu pendant 48 heures avant qu’il puisse être présenté devant un juge. Une stratégie qui augmente la pression, avec l’objectif de briser la résistance des fortes têtes.
Lors de sa dernière apparition dans l’émission « Denya Zina », sur la chaîne Carthage Plus, Boughalleb confiait d’ailleurs qu’il pressentait qu’il passerait le week-end sous les verrous. Il avait vu juste, mais il n’avait pas anticipé l’ampleur de ce qui l’attendait.
Il a bien été placé en garde à vue mais celle-ci a été prolongée de 48 heures. Le parquet, pour cadrer l’enquête qu’il diligente, l’a placé sous le coup de chefs d’inculpation très variés relevant de diverses dispositions pour pouvoir ordonner les investigations les plus larges : « l’article 3 de la loi n° 58 sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes pour violence morale, de plusieurs articles du code pénal, de l’article 86 du code des communications, de l’article 24 du décret 54 sur la lutte contre les délits liés aux systèmes d’information et de communication, ainsi que d’articles du décret 115″, liste l’avocate Leïla Ben Debba.
La Haica rendue inopérante
Le procureur de la République se prononcera sur le fond à l’issue de la garde à vue, mais l’affaire semble mal engagée. « La stratégie est de faire encore plus de bruit pour couvrir les vraies questions, en l’occurrence celle sur la gestion de deniers publics qui est contraire aux directives présidentielles », relève un spécialiste de la gestion de crise.
Au-delà de Boughalleb, et de la vingtaine de journalistes qui ont été inquiétés depuis deux ans, il semble qu’il faille à tout prix faire un exemple pour signifier aux plus téméraires tentés de sortir des clous que les autorités disposent de tout un arsenal coercitif pour les contraindre au respect des nouvelles normes par le silence.
Sans compter, comme le démontre l’universitaire et spécialiste des médias Larbi Chouikha dans son récent ouvrage Médias tunisiens, le long chemin de l’émancipation, le détricotage de toute structure de contrôle. La Haute Autorité indépendante de la communication audiovisuelle (HAICA), le gendarme de l’audiovisuel, n’a pas été dissoute mais elle a été rendue inopérante.
Rien, finalement, que la corporation ne sache déjà : les journalistes sont indésirables. Globalement, leur travail dérange dans un contexte d’omerta officielle générale, mais aussi parce que le pouvoir, dans le lien direct qu’il veut établir avec le peuple, n’a pas besoin de corps intermédiaires.
Les saillies de Nejib Dziri
Si les journalistes lui ont été utiles pour émerger et remporter aussi bien les élections de 2019 qu’assoir la mainmise sur le système politique en 2021, ils ne le sont désormais plus. Le pouvoir se contente désormais des réseaux sociaux pour diffuser une image ou communiquer ce qui lui convient. Jamais il n’avait autant occulté la sphère médiatique, laissant par conséquent place à des critiques mais également à de la désinformation.
Certains ont trouvé la solution et suivent les interventions de Nejib Dziri, un chroniqueur qui revendique sa proximité avec le président Kaïs Saïed et qui ne lance jamais de petites phrases au hasard. Tout récemment dans « L’émission impossible », diffusée sur Radio IFM, il a ouvert une polémique sur le train de vie supposé dispendieux d’une avocate et chroniqueuse, Sonia Dahmani, qui, a rétorqué l’animateur Borhen Bsaïes, a « étudié et travaillé pour se le permettre ». « Toute la Tunisie a fait des études, nous avons 4 000 chômeurs », a rebondi Nejib Dziri, qui à partir d’une plaisanterie tacle ceux qu’il qualifie de « nantis ».
Ce faisant, le chroniqueur lance en fait un ballon d’essai : d’après des sources proches de la Kasbah, la dernière idée en date pour faire face à la dette écrasante sous laquelle croule l’État tunisien est de piocher dans le bas de laine des Tunisiens. La méthode envisagée étant de contraindre les citoyens à mettre leurs avoirs à disposition de l’État, et ce sous la forme d’une participation à un emprunt obligatoire. Chacun aurait tout de même le droit de conserver un minimum d’argent sur son compte, selon un niveau défini, là encore, par les autorités.
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